Gros plan : “Two Storms”, l’épisode (presque) one shot de The Haunting of Hill House

Gros plan : “Two Storms”, l’épisode (presque) one shot de The Haunting of Hill House

Image :

© Netflix

photo de profil

Par Florian Ques

Publié le

Au-delà de sa trame fascinante et complexe, la série horrifique de Mike Flanagan nous a bluffés avec les prouesses techniques de son épisode 6.

À voir aussi sur Konbini

De bout en bout, The Haunting of Hill House, ajoutée au catalogue Netflix le 12 octobre dernier, s’est révélée comme une œuvre stupéfiante. Tout d’abord vendue comme une énième série d’épouvante à dévorer en préparation d’Halloween, celle-ci s’est avérée être bien plus que cela, jonglant avec les codes de multiples genres, avec plus ou moins de subtilité. Plus qu’une série de fantômes, le chef-d’œuvre épisodique de Mike Flanagan est avant tout le portrait déchirant d’une famille en deuil qui tente bon gré mal gré de se reconstruire.

En somme, on a été émus à bien des niveaux : on a ri, on a pleuré, on a sérieusement flippé. Mais surtout, on a été époustouflés par l’audace technique de The Haunting of Hill House, qui s’est particulièrement illustrée dans son sixième chapitre. Intitulé “Two Storms”, ce dernier s’intéresse, comme son titre transparent l’indique, à deux tempêtes ayant lieu sur deux timelines différentes. La première, dans le passé, avec la vaste demeure plongée dans l’obscurité suite à une coupure de courant. La seconde, dans le présent, avec les survivants de la famille Crain réunis dans l’entreprise de pompes funèbres de Shirley en amont de l’enterrement de leur sœur.

Bien que sa narration n’ait rien de surprenante – après tout, la série alterne entre les deux époques depuis son épisode inaugural –, c’est grâce à ses prouesses techniques que cet épisode parvient à nous en mettre plein les yeux. Celui-ci est comme un one shot : le spectateur a en effet l’impression que la caméra ne s’arrête jamais pendant la cinquantaine de minutes qui compose ce volet. Mais dans les faits, cet épisode est composé d’exactement cinq plans-séquences rattachés lors de la phase de montage.

© Netflix

Après avoir pris conscience que “Two Storms” avait éveillé la curiosité de nombreux fans de The Haunting of Hill House, son showrunner Mike Flanagan s’est lancé dans un long thread sur Twitter afin d’expliquer en détail la conception de cet épisode miraculeux. Et ce qu’il faut savoir en premier lieu, c’est que ce dernier était planifié depuis le début, et a même été vendu comme tel à Netflix bien avant que la série ne soit commandée par le géant du streaming. Les plateaux de tournage – la maison funéraire de Shirley et le manoir de Hill House – ont été bâtis côte à côte, séparés par un couloir, afin de faciliter la logistique de ce sixième épisode.

À cause d’un budget laissant peu de place à un quelconque écart, l’équipe de la série devait opérer de la façon la plus réfléchie possible pour ne pas perdre de temps. Car le temps, surtout dans le milieu de la production, c’est de l’argent, vite gaspillé s’il n’est pas bien géré. “On répétait une scène pendant que l’autre était en préparation pour la lumière et ensuite on échangeait, évoque Mike Flanagan. Les plateaux étaient encore en train d’être peints et construits pour accommoder l’épisode.”

Pour ça, le créateur a fait appel à des doublures pour chaque membre du cast principal, afin de planifier les moindres angles de caméra, les déplacements des comédiens ou encore l’éclairage. C’est notamment sur ce dernier aspect que le showrunner de la série semble avoir mis l’accent :

“Il y avait des centaines de signaux individuels pour l’éclairage, non seulement pour les effets mais aussi pour des raisons esthétiques. Si un des signaux était en retard, un acteur ne serait pas bien éclairé. Si un acteur ratait sa marque, ou si un signal arrivait trop tôt ou trop tard, ça voulait dire que les acteurs étaient dans l’ombre ou bien on risquait de voir l’ombre d’une caméra.”

Vint ensuite le moment d’attaquer les choses sérieuses : fini les répétitions, on allume la caméra. Nous sommes le 6 avril 2018 et le tournage de l’épisode fatidique commence. Sur Twitter, Mike Flanagan revient sur les multiples astuces qu’il a fallu employer hors champ pour mener à bien ces scènes. On pense au 360° autour de Hugh Crain, le père de la famille incarné dans le présent par Timothy Hutton. Lorsqu’il débarque chez Shirley après avoir bravé la pluie torrentielle, il se retrouve face à ses quatre enfants. La caméra tourne alors autour de lui et, dans un effet de style, on aperçoit aussi bien les versions jeunes qu’adultes des personnages.

© Netflix

À ce niveau-là, pas de secret très élaboré : les jeunes comédiens ont dû déguerpir dans la pièce adjacente pendant que la caméra leur faisait dos tandis que les acteurs plus âgés s’empressaient de prendre leurs places. La pression est montée d’un cran lors du tournage du second plan-séquence, soit la première scène se déroulant dans le passé. En effet, les jeunes acteurs et actrices étaient très présent·e·s à l’image, d’où l’inquiétude de Mike Flanagan. Inquiétude qui n’avait pas lieu d’être, car les enfants connaissaient leurs lignes par cœur. Plusieurs prises ont été nécessaires, mais tout fut bouclé en une journée.

C’est finalement lors du tournage de la troisième scène, de retour dans le présent, que les choses se compliquent, comme l’explique Mike Flanagan :

“Le troisième segment a été le plus ardu. 18 pages, tournées dans la maison funéraire et nécessitant énormément d’émotion de la part du cast. Ils ont commencé assis, ce qui veut dire qu’on a dû garder la caméra sur un chariot Peewee pour gérer les différences de taille. On a poussé un chariot sur l’intégralité de la prise. C’était un monstre ! On n’arrivait jamais jusqu’au bout. Le chariot devenait de plus en plus dur à pousser parce que (on l’a appris plus tard) les roues n’étaient pas faites pour le tapis et les fibres du tapis rentraient à l’intérieur durant toutes nos répétitions, créant une pression énorme sur la transmission.

On est partis déjeuner sans avoir une seule prise et les machinistes m’ont dit que le chariot avait un gros souci. La chaîne de transmission était usée et sur le point de lâcher à cause des répétitions. Ils ont supposé qu’on avait peut-être une seule prise devant nous avant qu’il ne casse. Il n’y avait pas de chariot de remplacement.

On ne l’a pas dit au cast, je ne voulais pas que ça leur prenne la tête. On est revenus du déjeuner, et j’ai dit avoir un pressentiment et on a maintenu notre respiration. Croyez-le ou non, on l’a eue. On a eu la prise. Ils ont pris le chariot, tourné les roues et la chaîne a cassé.”

Restaient encore deux plans-séquences à filmer. Une fois le dernier dans la boîte, heureusement le plus court et facile à tourner, Mike Flanagan et toute son équipe ont finalement pu souffler. “C’était la chose la plus difficile que la majorité d’entre nous ait jamais faite, avance le principal intéressé, et le résultat d’efforts combinés de centaines de personnes.” Clairement, d’un point de vue extérieur, tout cela n’a pas été vain puisqu’on tient probablement là l’un des épisodes les plus ahurissants jamais tournés, toutes séries confondues.

© Netflix

Avec du recul, ce sixième volet de The Haunting of Hill House aura probablement été son paroxysme, sa cerise sur le gâteau macabre. On a immédiatement envie d’entamer un nouveau visionnage, ne serait-ce que pour repérer les nombreux fantômes dissimulés dans certaines scènes. “On avait des fantômes maquillés tous les matins prêts à être placés au fil de la journée, explique d’ailleurs le showrunner. Parfois, les acteurs ne les remarquaient pas avant la fin de la prise.” En tout cas, s’il nous avait déjà amadoués avec ses longs-métrages Hush ou encore Gerald’s Game, Mike Flanagan confirme ici son statut de figure montante de la fiction d’horreur.

La première saison de The Haunting of Hill House est disponible dès maintenant en intégralité sur Netflix.