Passage à tabac en plein studio, flirt avec la mafia… Ce qu’on a appris sur la face sombre du gangsta rap avec le docu Welcome to Death Row

Big beef

Passage à tabac en plein studio, flirt avec la mafia… Ce qu’on a appris sur la face sombre du gangsta rap avec le docu Welcome to Death Row

photo de profil

Par Antonin Gratien

Publié le

L'histoire du label qui a propulsé Dre, Snoop et 2Pac n'a rien d'un long fleuve tranquille.

Coup de théâtre. Le 23 septembre dernier Duane “Keefe D” Davis, ex leader du gang des Crips basé à LA, est inculpé pour le meurtre de Tupac Shakur, survenu par tirs à l’arme à feu en 1996. Ce nouvel épisode d’un feuilleton judiciaire qui traîne depuis 27 ans est l’occasion de se pencher sur la trajectoire tourmentée de Death Row Records, le label du défunt rappeur. Un parcours ponctuée de trahisons, d’actes barbares et de jalousies larvées narré à travers les voix d’anciens membres, dans Welcome To Death Row.

Voici les 5 infos phares qu’on a retenu du docu. Histoire de mieux saisir les origines du gansta rap et comprendre – en partie, au moins – comment les plus éminentes de ses figures ont pu trépasser lors de fusillades dignes de règlement de comptes mafieux.

1. À l’origine : des textes qui racontent la rue – la vraie

Remontons la bobine. Avant d’évoquer le destin tragique de Death Row, il faut évoquer la genèse d’un autre label : Ruthless Records. Lorsque Easy-E et Jerry Heller lancent ce qui allait bientôt devenir l’incubateur du gangsta rap, nous sommes en 1987. À l’époque, aucun artiste n’évoque l’expérience de la street dans ses textes – et ce n’est certainement pas Michael Jackson qui va s’y atteler. Alors, lorsque Easy-E, ex-dealer né dans la misère du quartier de Campton, au sud de LA, balance ses hits aux côtés de Ice Cube et Dr Dre, avec qui il forme N.W.A, forcément, ça détonne. Dans les suburds, il se murmure que les portes-paroles d’une communauté afro-américaine précarisée sont nés. Les disques se vendent à même la voiture d’Easy-E, le bouche à oreille fait des miracles, les succès s’enchaînent. Ça y est, la rue a trouvé sa voix.

2. Death Records, né sous la houlette d’un… Mafieux ?

Certains n’hésiteraient pas à parler de “pacte faustien”. Rappel : en 1991, Dr Dre n’a plus rien à prouver, au point que ses productions lui valent la réputation d’une sorte de Midas du hit – tous les disques qu’il touche finiraient a minima platine. Seulement voilà, son génie n’est pas reconnu à sa juste valeur. Dre s’estime sous-payé, et prit en tenaille par le contrat qui le lie à Ruthless Records. Avec la protection pour le moins “musclée” de l’ex garde du corps de Bobby Brown, Suge Knight, le musicien parvient à quitter ce qu’il en était venu à considérer comme un piège. Et les deux hommes fondent leur propre maison de disque : Death Records. Mais l’argent manque, cruellement.

C’est alors qu’un homme, Michael “Harris O” Davis, emprisonné pour trafic de drogues ainsi que tentatives d’homicides, entre en piste. Celui qui est présenté par la presse comme un “parrain” veut laver son nom – pourquoi pas en entrant dans le showbusiness. Il échange à plusieurs reprise avec Suge Knight, et voici que Death Records entre dans le giron d’une nouvelle société, Godfather Entertainment, pilotée en coulisse par… Harris O. Soudain, des moyens techniques à la hauteur de la maestria de Dre sont débloqués. Meilleure isolation de studio, nouveaux sièges, micros dernier cri… Dopé par des apports financiers aux origines troubles, le label déploie ses ailes.

3. Un règne de terreur imposé par Suge Knight

“Suge appliquait les méthodes de la mafia, il dirigeait par la peur (…) un jour un rappeur est venu. Suge lui a dit “vas-y fais nous une démo, mais on si on aime pas, on te frappe”. Le mec a dit trois mots, puis ils l’ont tabassé”, rejoue d’un air grave Nate Dog, ex-prodige de Death Row, au moment d’évoquer l’ambiance qui régnait dans les couloirs Death Row Records. Passage à tabac arbitraire, règlement de comptes… Sous l’emprise d’un Suge Knight de plus en plus proche du milieu des gangs, les studios du label prennent une dangereuse allure de QG mafioso.

4. East Coast VS West Coast : le plus gros beef de l’histoire ?

30 novembre 1994. Alors qu’il se rend au Quad Recording Studios à Manhattan (NY) la nouvelle étoile de Death Records, 2Pac, reçoit 5 balles – dont 2 à la tête. Aucune n’est mortelle. Bien vite, le rappeur accuse Notorious BIG et Puff Daddy, les plus éminents représentants du rap made in West Coast d’avoir orchestré cette tentative d’assassinat. Car voilà des années que les deux “côtes” de l’Amérique se déchirent, à coup de lyrics acérées et de clips moqueurs, pour savoir qui de l’une ou de l’autre mérite le titre de reine du gangsta rap. La tension continue de grimper, jusqu’à ce que les deux icônes du “clash” tombent sous le rugissement des armes à feu. 2Pac en septembre 1996, Notorious Big en 1997. La presse fait alors ses manchettes sur la conclusion tragique d’un supposé “règlement de compte” entre la Californie, et New York. Une version dont la légende perdure, jusqu’à aujourd’hui.

5. Mort et renaissance de Death Row

Après le décès de 2Pac, que reste-il du label ? À cause de contrats (à nouveau) jugés injustes, Dr Dre se fait la malle pour fonder sa propre maison de disque, Aftermath, courant 96. Quant à MC Hammer, il quitte le studio juste après le meurtre retentissant de son ami, Tupac Shakur. Reste Snoop Dog, qui a déjà fait des merveilles en 1993 avec le quadruple platine The Chronic… Mais rien à faire, Death Row a du plomb dans l’aile. Le label est visé par plusieurs poursuites judiciaires, sur la base de soupçons de financements illégaux. Et Suge Knight, entre autre accusé de détournements de fonds, est envoyé en prison pour violation de conditionnelle quelques mois après le départ de son protégé, 2Pac, du label. En 2006, l’homme d’affaire se déclare en faillite et Death Row est racheté à plusieurs reprises. En février 2022, c’est Snoop Dog qui reprend les manettes – mettant ainsi la main sur le studio qui l’a propulsé au sommet. Un label mythologique, dont l’histoire se souviendra tant par les prodiges qu’il a fait naître que par les noires légendes qui l’entourent.

Welcome to Death Row, c’est sur Prime Video. Et si, comme nous, le docu vous a donné envie de fouiller un peu plus loin sur les racines du gangsta rap, ça tombe bien, la plateforme accueille aussi le biopic Straight Outta Compton, qui retrace (presque) fidèlement le parcours de N.W.A, ainsi que la décadence de Death Row. Enjoy !