L’Amie prodigieuse est un portrait fascinant de la jeunesse napolitaine des années 1950

L’Amie prodigieuse est un portrait fascinant de la jeunesse napolitaine des années 1950

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Par Florian Ques

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Le best-seller de l’autrice Elena Ferrante a droit à une adaptation solide qui place l’amitié féminine au cœur de son intrigue, sur fond de lutte des classes.

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Historiquement, l’iconique HBO s’est consacrée en grande partie à produire des fictions américaines dont beaucoup cartonnent à l’international. On pense à Game of Thrones, Westworld ou encore, et bien avant elles, Les Soprano. Mais ces dernières semaines, la chaîne câblée a prouvé qu’elle pouvait donner naissance à des séries non anglophones tout aussi calibrées, et ce avec L’Amie prodigieuse. Adaptation des romans à succès d’Elena Ferrante, vendus à des millions d’exemplaires aux quatre coins du globe, elle se hisse avec aisance comme l’un des hits sériels du cru 2018.

Dans le cas de L’Amie prodigieuse – ou L’Amica geniale, son titre original –, HBO joue la carte du dépaysement avec une intrigue se déroulant dans le Naples des années 1950. Dans un quartier défavorisé en périphérie de la ville italienne, deux gamines nouent une étrange amitié. Ensemble, tantôt rivales, tantôt meilleures amies du monde, Elena et Raffaella font face aux injustices de leur condition, à la fois celle de personnes issues d’un milieu pauvre mais également celle de jeunes femmes coincées dans une époque assurément machiste.

Ce n’est pas un secret, L’Amie prodigieuse n’est que le premier opus d’une tétralogie. Dans son ensemble, l’œuvre d’Elena Ferrante couvre toute la vie de ces deux personnages féminins, de leur rapprochement à l’école élémentaire jusqu’à leur grand âge. C’est d’ailleurs par là que la série HBO débute, tout comme le livre, avec une Elena sexagénaire qui apprend que sa fameuse amie de longue date semble avoir disparu sans laisser de traces. Et si cette affaire énigmatique pourrait happer le téléspectateur lambda, ce n’est pas ce qui est le plus captivant.

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Je vais être honnête, je n’ai pas lu une seule page du best-seller sur lequel se base la série – à tort, c’est évident. Pour autant, il ne m’a fallu qu’un seul épisode pour évaluer le potentiel énorme de cette histoire tant elle est percutante. L’Amie prodigieuse fait de l’amitié entre ces deux filles son point d’ancrage. On assiste ainsi à l’éclosion d’une relation complexe, contée à travers le point de vue d’Elena. Celle-ci semble idolâtrer Lila (c’est le petit nom de Raffaella) tout en la percevant comme une compétitrice, aussi bien sur les bancs de l’école qu’à la ville.

Pour le coup, on saisit facilement ce qu’Elena peut trouver chez Lila. Cette dernière est un pur électron libre, constamment en train de remettre en question l’ordre établi et de défier le monde avec son regard perçant. Elle est à la fois une âme tourmentée et une rebelle accomplie, une dure à cuire avec une sensibilité qu’elle laisse rarement entrevoir. C’est toute cette ambivalence, appuyée par son physique avantageux, qui fait d’ailleurs d’elle l’objet du désir de plusieurs garçons.

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De manière plus globale, les héroïnes de L’Amie prodigieuse ne sont pas en carton-pâte. Elles ont une réelle profondeur, possèdent leur lot d’imperfections et ne répondent pas aux stéréotypes toxiques qui pullulent sur le petit écran. Des personnages féministes, en somme. En soi, elles sont dans la lignée de la série dans son ensemble, qui s’efforce de proposer une histoire fraîche et pertinente. On en vient alors à l’autre aspect qui rend L’Amie prodigieuse tout bonnement géniale : son approche sensible mais sans concession de la lutte des classes.

Le quartier où grandissent Elena et Lila est entaché par la présence des Solaras, la famille la plus influente des parages associée à la Camorra locale. Ils ont de l’argent et sont loin de le dépenser humblement, là où leurs voisins triment jour et nuit pour non pas vivre, mais survivre. Ce fossé économique nourrit les tensions entre les deux parties, venant ainsi étoffer le récit et creuser les parcours des deux héroïnes. Le léger bémol, c’est qu’un nombre conséquent de personnages gravitent autour de ces dernières, à tel point qu’il est parfois difficile de mettre un nom sur un visage.

Mais ce n’est qu’un maigre détail. Pour peu que l’on garde les yeux rivés sur son écran – la concentration est de rigueur –, L’Amie prodigieuse est une œuvre particulière. Ses personnages, aussi nombreux soient-ils, sont creusés et brillamment incarnés. Son propos est pertinent, maîtrisé et surtout riche d’un point de vue narratif, la lutte des classes faisant partie intégrante du récit et de la construction des personnages. En prime, le tout est bien réalisé, avec des plans minutieux et des décors bluffants. Plus qu’une bonne série d’époque, L’Amie prodigieuse est une (très) bonne série tout court.

En France, la série sera diffusée dès le 13 décembre prochain sur Canal+.