Comment 3% a rendu réaliste le genre du survival

Comment 3% a rendu réaliste le genre du survival

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3%

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Par Adrien Delage

Publié le

Les personnages de 3% participent à un jeu de massacre ingénieux, innovant et surtout plausible. Attention, spoilers.

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Pour sa première production brésilienne, Netflix n’a pas fait les choses à moitié. La plateforme américaine s’est dotée du célèbre réalisateur uruguayen César Charlone, de jeunes acteurs talentueux et d’un pitch dystopique mettant en lumière les inégalités sociales du Brésil.

L’intrigue part d’une idée simple, maintes fois exploitée mais rarement traitée avec autant de réussite : dans un monde futuriste, la population est divisée en deux catégories, les plus riches et les plus démunis. Ainsi, 97 % de la population s’entasse sur le Continent et habite dans la misère. Les 3 % restants sont des technocrates totalitaristes qui vivent dans l’opulence de l’autre côté de l’océan, sur une île mystérieuse appelée l’Autre rive.

Une fois par an, les jeunes du Continent ont l’opportunité de rejoindre l’élite après avoir atteint la vingtaine. Pour ce faire, ils doivent subir une série de tests physiques et psychologiques et prouver leur valeur aux yeux du Conseil, les dirigeants de l’Autre Rive. Ce procédé est appelé le Processus et seuls 3 % des aspirants parviennent au bout de ces épreuves éprouvantes. Cette série raconte une histoire à la sensibilité beaucoup plus réaliste et profonde que ne le parvient la tétralogie Hunger Games, au pitch proche. 3% pose des questions existentielles sur la condition humaine et les inégalités sociales, sur l’existence ou non du libre arbitre, de la destinée etc.

Ces adulescents enfermés dans le Processus, qui se battent avec hargne pour ne pas retourner dans la pauvreté, sont des survivants. Pas comme ceux de The Walking Dead ou même de The 100, non. Ils se battent pour éradiquer le concept de la méritocracie poussée à l’extrême, pour mettre un terme à cette sélection sauvage et barbare imposée par Ezequiel, le maître du Processus. Un dictateur qui leur fait croire à tous que “chacun crée son propre mérite” lors de son discours d’ouverture du programme. Avant qu’il ne redouble de coups bas et de manipulations pour pousser les participants dans leurs derniers retranchements.

Une pression sociale insupportable

Dès leur arrivée au Processus, tout est mis en œuvre pour que les participants perdent leur sang-froid. Le premier effort à fournir semble d’une facilité déconcertante : les examinateurs leurs posent des questions aussi banales que lors d”un entretien d’embauche, qui vont de l’énumération des qualités/défauts à leur avis sur leur avenir. Pourtant, au moindre faux pas, à la moindre grimace des interrogateurs et sous l’œil avisé du Conseil de l’Autre rive, les candidats sont éliminés. Ce test, censé permettre aux participants de prouver leur motivation, pose surtout les premières bases d’une sélection rigoureuse.

Si leurs réponses sont toutes faites, si une certaine forme d’insuffisance ou un trop-plein d’assurance ressort de leur speech, les candidats sont rapidement remerciés. On les voit alors sombrer, pleurer, hurler, voire se suicider, honteux de ne pas être à la hauteur. 3% met en avant la pression sociale que subissent quotidiennement ces personnages, pour qui l’espoir est une notion éphémère qui se résume aux quelques jours passés dans le Processus. Mais cet échange oral n’est rien comparé au reste du Processus.

Vient ensuite une série d’épreuves individuelles, dont le test du cube où les participants doivent assembler en très peu de temps neuf cubes parfaits à partir de plusieurs blocs. Sauf que là encore, le Processus n’en fait qu’à sa tête. Les candidats sont regroupés en groupes de neuf personnes. Or, le nombre de blocs est inférieur aux 81 cubes que sont supposés réaliser les participants.

En conséquence, certains d’entre eux choisissent de tricher afin de surmonter l’impossible, comme Rafael qui vole à l’abri du regard de l’examinateur le cube d’un concurrent. Ezequiel et le Conseil, qui observent l’épreuve via leurs écrans, ne bougeront pas le petit doigt. Avec cette séquence, on comprend que leur système égalitaire est une illusion. Les méthodes biaisées fonctionnent tant qu’on ne se fait pas prendre. Où est passé le mérite quand on dérobe la création d’un autre ?

Enfermement et privation des libertés

Plus tard dans la série, les candidats font face à une épreuve groupée, où ils doivent s’organiser telle une micro-société. Au début, des leaders sortent du lot et les participants acceptent de se plier à leurs décisions. Mais Ezequiel, qui ne supporte pas de les voir tous réussir, décide de corser l’examen. Il les prive peu à peu de nourriture et d’eau. À partir de ce moment-là, la micro-société éclate en morceaux. Les candidats répètent alors le schéma hiérarchique dans lequel ils sont enfermés depuis plus d’un siècle : les plus forts se rassemblent et massacrent les plus démunis, opérant la sélection eux-mêmes, et transformant la séquence en un sanglant clin d’oeil à Battle Royale.

Au cours de ce carnage, le personnage de Marco prend les rênes parce qu’il se voit comme un candidat prédisposé par rapport aux autres. En réalité, il porte un lourd fardeau, celui de l’héritage laissé par sa famille, dont tous les membres sans exception sont arrivés sur l’Autre rive. Le pari d’Ezequiel est alors réussi : le semblant d’égalité qui régnait entre les candidats lors de leur travail en équipe disparaît au profit de la facette bestiale de l’Homme. Le spectateur assiste pour la première fois à une pure épreuve de survie. Plusieurs participants mourront des suites de cette expérience, même si les persécutés finiront par l’emporter en acceptant de mettre leurs différends de côté et de s’unir à nouveau autour d’une meneuse d’hommes salvatrice.

Au fur et à mesure qu’ils avancent au sein du procédé, on comprend que la pire épreuve est loin d’être celle imaginée par le Processus. Il s’agit de ses conséquences psychiques : le sentiment d’échec et la honte ressentie alors que les conseils du Processus pour survivre sont aussi risibles et basiques que l’énonciation des droits Miranda entendue dans tous les procedurals. Nombre de perdants ne supportent pas de prendre conscience de leur terrible situation, c’est-à-dire de rester enfermés tout au long de leur vie dans les bidonvilles qui s’étendent à perte de vue sur le Continent. Dès le pilote, un des candidats éliminés préfère sauter d’un balcon plutôt que d’affronter la réalité. La seule liberté est alors aussi tragique que dérangeante : c’est celle de la délivrance par la mort.

Sous certains aspects, 3% est également un huit clos angoissant. Les participants vivent enfermés ensemble 24h/24jusqu’aux dernières épreuves. Cette claustration forcée évoque les survival horror tels que Cube et Saw, moins le sadisme et les codes du torture porn.

Il y a également cette idée d’observation des comportements des participants comme s’ils étaient cloîtrés dans une boule à neige. Le cas le plus spectaculaire est celui de l’épisode 3, où le groupe de Michele doit avancer dans un minuscule tunnel qui fait ressortir leurs peurs les plus profondes. Tétanisés par l’inconnu et l’idée de voir leurs plus grands secrets révélés, ils ne peuvent surmonter leur individualité et travailler en équipe sans outrepasser leur phobie. Et c’est là que se dévoile tout l’effet pervers du Processus, qui leur demande de compter l’un sur l’autre, d’avancer ensemble, pour ensuite n’en sélectionner qu’un seul d’entre eux.

À travers ces séquences de travail en équipe, 3% offre aussi sa vision des leaders dans une communauté. Rick dans The Walking Dead, Jon Snow dans Game of Thrones ou Buffy savent que ce n’est pas un travail de tout repos. Difficile de mettre tout le monde d’accord, surtout quand des vies sont en danger de mort. Marco a échoué à mener les autres vers la victoire car il a trouvé une solution à court terme pour son peuple : la satisfaction des besoins naturels. Joana en revanche a rassemblé le reste des participants en leur promettant un sanctuaire et une forme de justice. C’est une porte de sortie que les jeunes du Processus ignorent dans leur monde totalitaire, un droit qu’on appelle “liberté” dans notre civilisation.

Fiction vs réalité du Brésil

Ce n’est pas un hasard si 3% traite des inégalités et de la privation des libertés. Elle parle d’une société brésilienne historiquement inégalitaire où la plus grande partie de la population vit dans des favelas. Selon Telegraph, Rio de Janeiro compte près de mille bidonvilles. Dans des mégalopoles comme São Paulo, les plus pauvres côtoient des ultrariches qui roulent en voiture de luxe et se pavanent dans des hélicoptères. À côté de ça, les habitants des favelas n’ont pas accès à l’eau potable, souffrent de malnutrition et de la criminalité au quotidien.

César Charlone traduit cette désolation en filmant presque constamment ces personnages de travers. Sa caméra ne se pose jamais, créant volontairement une sensation de malaise et de dégoût chez le spectateur. Il insiste sur des plans aussi banals qu’un candidat en train de boire à sa soif dans le Processus, un luxe qu’ils ne peuvent se permettre sur le Continent. César Charlone évite d’ailleurs de survoler les bidonvilles fictifs avec sa caméra, préférant s’immiscer dans l’intimité de ses personnages, dans leurs rues fétides, dans leurs “maisons” insalubres, dans leur quotidien dangereux. Il présente toujours cette réalité avec subtilité, jouant sur le hors-champ et le sous-entendu. À plusieurs reprises, des flashbacks évoquent la réalité des habitants au quotidien : le vol pour survivre, les meurtres voire les viols punitifs dans le cas des femmes.

Au final, cette série dystopique, visuellement inspirée du mouvement cyberpunk, met en scène des séquences aussi poignantes et terrifiantes que le monde futuriste de Black Mirror. Tout comme la création de Charlie Brooker, 3% présente une réalité effrayante car envisageable. La fin de la première saison nous amène vers cette terrible vérité IRL : aujourd’hui, nous sommes tous confrontés au Processus, tous en quête de cette terre promise qui, comme pour les héros de 3%, reste utopique.