Better Call Saul : mais qui est vraiment Bob Odenkirk ?

Better Call Saul : mais qui est vraiment Bob Odenkirk ?

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Par Anthony Mansuy

Publié le

Pas vraiment un fêtard

“La SIU était connue pour être une ”party school”, où les étudiants venaient plus pour faire la fête que pour apprendre des trucs”, informe Victor Lentini, directeur des programmes de la WIDB époque Odenkirk.

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Cela dit, Bob ne faisait pas partie du groupe des fêtards. Il était de nature plutôt réservée en dehors de l’émission, mais on pouvait déjà sentir qu’il était très concentré sur son truc. C’était plutôt une sorte de scientifique fou de la comédie, qui essayait plein de choses, avec toute une galerie de personnages.

Toute latitude est offerte à Bob, qui a alors une vingtaine d’années, d’inventer, tenter des choses, créer des personnages. Je lui laissais une liberté totale”, poursuit Lentini. Une liberté d’autant plus grande que les audiences de la radio sont maigrelettes : au début des années 1980, pour capter la WIDB, il fallait soit avoir un transistor sur le campus, soit vivre dans la région de Carbondale et posséder une antenne satellite. Victor Lentini parle dequelques centaines d’auditeurs au maximum”.
En 1983, Bob quitte la WIDB sans diplôme pour Chicago, où il intègre sa quatrième fac, le Columbia College. En vérité, le but de la manœuvre est surtout de prendre ses galons dans la foisonnante scène comique de la ville, même s’il finira par obtenir sa licence académique. Il s’imagine d’abord en comédien de stand-up, mais c’est un échec. J’adore le stand-up, mais je n’étais tout simplement pas bon. Et c’est toujours le cas”, a-t-il récemment confié au Chicago Magazine.
Plutôt que de se décourager, Bob le pugnace se met à écrire et il participe au Players Workshop, une école d’improvisation étroitement liée à Second City, la plus célèbre troupe de comiques d’improvisation des États-Unis à l’époque, d’où sont issus Stephen Colbert, Tina Fey, Adam McKay ou encore Steve Carell.

Ses camarades du Players Workshop découvrent alors un jeune homme très drôle, mais pas vraiment fêtard. “Il était le même à 20 ans qu’il est aujourd’hui. Il a toujours été très responsable, mâture”, renseigne Jill Talley, ancienne de Second City qui suivra Odenkirk, quelques années plus tard, sur Mr. Show.

Il n’allait pas vraiment aux fêtes, si bien qu’en trente ans, je ne l’ai jamais vu saoul. Côté boulot, quand tout le monde était parti, il y était encore. Comme un hamster sur sa roue, il ne pensait qu’à ça.

Et pour cause : lorsque l’un de ses partenaires du Players Workshop, Robert Smigel, est engagé par la très prestigieuse émission Saturday Night Live, Bob l’obsessionnel lui envoie presque chaque jour une liste de vannes. Jusqu’à ce que l’une d’entre elles soit prononcée en direct par Dennis Miller, le présentateur de l’époque. Une vanne dont l’auteur n’est alors qu’un simple serveur dans un diner comme l’Amérique en compte des milliers, mais une vanne qui permit à Odenkirk, en 1987, de décrocher lui aussi un job d’auteur pour le SNL.

Une émission culte

En gros, d’une semaine à l’autre, ils devaient écrire un tout nouveau spectacle histoire de convaincre HBO de leur donner une chance à la télé… et ce à plusieurs reprises ! C’était un travail gargantuesque. Bob remontait sans cesse ses manches et continuait à écrire. Beaucoup auraient baissé les bras devant l’ampleur de la tâche, mais il y croyait très fort.

Des audiences faméliques, mais…

Difficile de qualifier l’humour de Mr. Show sans utiliser le terme “absurdiste”. Le magazine Vanity Fair a peut-être trouvé la meilleure formule : “Pour vraiment apprécier Bob et David, il fallait voir ce qu’il y a de drôle dans le satanisme, les suicides d’adolescents, les anneaux péniens, les hermaphrodites, les émissions sur les parents aux soucis mentaux, et le Ku Klux Klan”. Comme sketches mémorables, on notera entre autres celui sur les clones de Hitler ou le fameux “Pre-taped Call-in Show”.
Mais malgré le soutien de façade des pontes de la chaîne et ses évidentes qualités, l’émission ne parvient pas à trouver son audience. “La plupart des gens n’ont jamais entendu parler de Mr. Show”, observe Michael Blieden, qui était l’un des auteurs de Jimmy Fallon et qui a réalisé le clip du titre “Can’t Tell Me Nothing” de Kanye West avec Zach Galifianakis.
“En revanche, dans le monde de la comédie, tout le monde connaît cette émission. Elle a eu une grande influence à l’époque”. Mr. Show était un délire permanent et rétrospectivement, on comprend mieux pourquoi HBO n’assumait qu’à moitié le programme, qui bougeait sans cesse dans la grille, avec des diffusions le lundi soir à minuit. Si bien qu’au bout de quatre saisons, l’inévitable a fini par se produire : fin 1998, HBO se sépare de Mr. Show.

En 1996 Odenkirk rencontre Naomi, sa future femme. “C’est elle qui l’a courtisé, en quelque sorte », précise Jill Talley, qui connaît très bien le couple. Naomi Yomtov était chasseuse de têtes pour une agence de talents, et un soir, elle a le coup de foudre pour ce gars un peu étrange qui raconte sur scène son enfance dans le Midwest et l’absence de son père, le tout dans une veine tragi-comique implacable.
“Une semaine plus tard, j’étais dans ma voiture, et je me suis dit, comme si de rien n’était : ”C’est ce mec que je vais finir par épouser”, a-t-elle raconté au magazine Playboy l’an dernier, “alors que je ne le connaissais même pas !”. Il lui faudra dix-huit mois pour enfin trouver le courage de lui adresser la parole. Presque vingt ans plus tard, ils sont toujours ensemble, et Naomi est aujourd’hui l’agent de l’actrice Kristen Wiig (qui, pour la petite histoire, était autrefois la babysitter de Nathan et Erin, les deux enfants du couple nés en 1999 et en 2001).

Après l’arrêt de Mr. Show, si la vie personnelle du comédien bat alors son plein, côté professionnel en revanche, Odenkirk semble avoir du mal à trouver sa voie. Entre des petits rôles au cinéma, des pilotes de séries dans les tiroirs, des collaborations fructueuses avec Jack Black ou Sarah Silverman, la réalisation d’un nanar (Let’s Go To Prison, en 2006) et d’un excellent film indé (Melvin Goes to Dinner, 2003, notamment primé au festival d’Avignon), il alterne échecs commerciaux et succès critiques. L’occasion pour le jeune quadra de faire le point.

“Après Mr. Show, j’avais certes la réputation d’un mec bon dans son travail, mais j’avais aussi une réputation de salopard”, a-t-il confié au Chicago magazine.

“Je ne dirais pas que Bob est un salopard, pas du tout”, analyse Michael Blieden, qui tient le premier rôle dans Melvin Goes to Dinner, film qu’il a aussi co-écrit. “Il a juste un peu de mal avec les conventions sociales. Parfois, j’avais l’impression qu’il avait appris par cœur un de ces livres de développement personnel, qui expliquent aux gens comment se faire des amis”.
Cela dit, Blieden parle également d’un homme à l’écoute et à même de forcer sa nature. “Comme Melvin Goes to Dinner était son premier film, il a compris que son rôle était de donner le ton à l’équipe”, se souvient-il. “Quand il fallait parler au crew, il était très efficace. Cela dit, j’ai toujours eu l’impression qu’il le faisait par nécessité, par obligation, que ça ne lui venait pas naturellement”.

La blague Better Call Saul

Quand, en 2009, l’agent d’Odenkirk lui passe un coup de fil, il ne se doute pas que son destin va prendre un tournant inattendu. Et encore moins à devoir ce tournant à Mr. Show, une page déjà tournée depuis longtemps. Au téléphone, son agent lui signifie qu’un rôle lui a été personnellement proposé pour une série dont il n’a jamais entendu parler, et que le tournage aura lieu au Nouveau-Mexique. Il sonde plusieurs de ses amis, qui lui soutiennent que la première saison de Breaking Bad est très prometteuse. Offre acceptée.

En vérité, Vince Gilligan, le créateur de la série, était un fan de la première heure de Mr. Show, si bien qu’au moment où Peter Gould, son co-producteur, lui a pitché le rôle de cet avocat véreux et volubile, censé apporter une maigre dimension comique à la série, il a tout de suite pensé à Odenkirk. “Il a toujours joué ce genre de personnages de mecs en apparence normaux mais qui ont un côté complètement taré”, renseigne Tom Kenny. “Seulement, quand ils sont incarnés par des acteurs trop jeunes, on n’y croit pas. Bob a donc dû attendre d’avoir physiquement l’âge qu’il a toujours eu à dans sa tête pour que le monde voit tout son potentiel”.
Saul Goodman, qui fait son apparition dans l’épisode 8 de la deuxième saison de la série, a initialement été créé pour “résoudre certains problèmes posés par l’histoire, car Walter White avait besoin d’une sorte de conseiller”, rapporte Peter Gould. “Cela dit, il est rapidement devenu évident que Saul, grâce à Bob, avait une dimension dramatique bien plus importante. On ne pouvait plus se passer de lui”.
Si bien que le personnage accompagnera Breaking Bad jusqu’à son terme, et que dès 2010, Gould, Gilligan et Odenkirk discutent, “d’abord sur le ton de blague” puis plus sérieusement, de la possibilité d’écrire une série sur l’histoire de Saul Goodman.

Un an et demi après la fin de Breaking Bad, Odenkirk semble aujourd’hui presque indissociable du personnage de Saul Goodman. Mais il sait bien qu’il a vécu mille vies avant Saul, et qu’il pourrait bien en vivre mille autres après.
Pour le moment, malgré l’ombre et les obstacles posés par les deux Walter qui ont jalonné son parcours, Robert John Odenkirk est au centre de la scène. “Bob peut tout faire, réaliser, jouer, produire, que ce soit dans des comédies ou dans des drames”, théorise Tom Kenny, qui a connu le même genre de carrière avant d’obtenir le rôle de Bob l’éponge.
Et son ancien partenaire de comédie de conclure :

Si bien qu’Hollywood a mis du temps à comprendre que faire de lui. Le show-business aime bien mettre des gens dans des cases. Dans un sens, la vraie tragédie, ç’aurait été que Bob devienne célèbre à 25 ans : il n’aurait pas pu se perfectionner de la manière dont il l’a fait.