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Black Panther, Luke Cage, Black Lightning… quand les héros du passé inspirent de nouveaux symboles

Black Panther, Luke Cage, Black Lightning… quand les héros du passé inspirent de nouveaux symboles

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Par Delphine Rivet

Publié le

Leur succès est aussi la marque d’une société aux cicatrices encore béantes, qui s’éveille au changement et prend conscience du chemin qu’il reste à parcourir.

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À moins d’être totalement hermétique aux mutations de nos sociétés, impossible de ne pas remarquer, et saluer, l’émergence de super-héros noirs sur nos écrans. De Black Panther à Luke Cage, en passant par Black Lightning, les studios commencent à comprendre qu’ils ont tout à gagner à varier leurs représentations du justicier masqué.

Ceux qui les ont précédés étaient souvent cantonnés aux rôles de sidekicks (Iron Man, Arrow), ou noyés dans un cast hétéroclite (Legends of Tomorrow), mais surtout, n’étaient jamais ô grand jamais politisés. Black Panther, depuis sa sortie en février dernier, a atteint aujourd’hui la barre du 1,2 milliard de dollars de recettes, est le film ayant généré le plus de revenus en Afrique subsaharienne, et règne sans partage sur les réseaux sociaux en devenant le long-métrage le plus tweeté de l’histoire. Lancée en septembre 2016 sur Netflix, Luke Cage est la plus vue des séries Marvel de la plateforme après Daredevil. Black Lightning, quant à elle, réalise de bons scores qui se maintiennent de semaine en semaine depuis ses débuts en janvier sur The CW (et sur Netflix chez nous).

La révolte du Black Power

Passé l’aspect mercantile de cette diversité durement acquise, la présence à l’écran de ces super-héros noirs est bien sûr éminemment politique. On rêve du jour où offrir des premiers rôles aussi iconiques à des acteurs noirs, ou miser sur des films portés quasi essentiellement par des femmes, voire, soyons fous, par des femmes noires ou issues d’autres minorités, ne sera plus un acte militant. Mais nous n’en sommes pas là, hélas. Pour y parvenir, la pop culture a mené, ces derniers mois notamment, une véritable charge contre l’ordre établi.

L’arrivée de Trump au pouvoir, le mouvement Black Lives Matter, le genou à terre de Colin Kaepernick et la vague d’indignation portée par le hashtag #OscarSoWhite… L’Amérique a toujours été douée pour créer des symboles. Quoi de plus normal, donc, que de poser un nouveau regard sur des super-héros de comics qui furent, à leur époque de papier, le produit d’une société en révolte. Black Panther (1966), Luke Cage (1972) et Black Lightning (1977) sont tous les trois nés dans une Amérique en mutation, des suites du mouvement Black Power et en plein essor du ciné blaxploitation.

Pour Cress Williams, qui incarne Jefferson Pierce, alias Black Lightning, ce retour du super-héros noir dans la pop culture est bien sûr un signe des temps“On a atteint un point où les gens ont soif de diversité” – mais surtout le constat que, depuis leur création en comics, les choses n’ont pas tant changé que ça. Le genre serait, pour lui, “une réponse à ce qu’il s’est passé, politiquement, l’an passé. Ça révèle qu’on n’a pas progressé autant qu’on le pensait, et les gens ont vraiment envie que ça bouge, que ça évolue plus vite. Et il y a beaucoup d’œuvres qui naissent de cette envie.”

La grande réussite de ces trois shows, Black Lightning, Black Panther et Luke Cage, c’est de ne pas montrer l’oppresseur blanc, pourtant grand méchant tout désigné de l’Histoire (la vraie), comme l’ennemi juré de nos héros, et rajouter ainsi de l’huile sur le feu. Sans compter qu’il ne faudrait pas s’aliéner une partie du public, si on veut lui vendre des tickets de cinéma, des abonnements Netflix ou des espaces de pub.

S’ils doivent rassembler (ce sont avant tout des objets de divertissement, avec de gros enjeux financiers derrière), ces deux séries et ce film parlent d’abord à leur communauté, la regardent à la loupe, avec bienveillance, mais sans en masquer les difficultés. Luke Cage ironise sur le fait qu’un homme noir imperméable aux balles est le pire cauchemar des policiers quand, justement, Black Lightning choisit de montrer, dès les premières minutes du pilote, une interpellation policière qui pourrait virer au drame en une fraction de seconde.

Dans les traces de Martin Luther King Jr. et Malcolm X

Cette dernière a d’ailleurs un point commun à peine dissimulé avec Black Panther : le film et la série jouent sur l’affrontement idéologique entre Malcolm X et Martin Luther King Jr. Dans le long-métrage de Ryan Coogler, Killmonger (Michael B. Jordan) marche dans les traces de Malcolm X. Comme lui, son père a été assassiné. Celui du prêcheur activiste a été tué par des suprémacistes blancs. Une injustice qui plantera les graines d’un engagement politique dans la tête du jeune homme, autodidacte, qui va apprendre tout ce qu’il peut sur le colonialisme, l’Histoire des Noirs, l’islam, pour devenir un défenseur des droits civiques des Afro-Américains et un partisan de la riposte armée.

Pour sa première scène, Killmonger est dans un musée des Arts africains où il confronte sa guide sur l’appropriation culturelle. L’antihéros – il est difficile de le voir comme un méchant, tant ses idéaux sont parfaitement défendables, en dépit de méthodes un peu radicales – souhaite rendre, par tous les moyens possibles, le pouvoir aux opprimés, c’est-à-dire les hommes et femmes noir·e·s du monde entier. Il reproche à T’Challa (Chadwick Boseman) — lequel emprunte davantage la posture de Martin Luther King Jr. dans ce rapport de rivalité idéologique — le repli du Wakanda sur lui-même, un État autosuffisant aux nombreuses richesses, qui n’a pas subi la colonisation, pendant que les populations noires subissent toujours le racisme systémique le plus persistant.

L’interprète du super-héros électrique de la CW est, quant à lui, l’incarnation même de cette dualité. Le jour, il est le proviseur Jefferson Pierce, qui veut changer le système de l’intérieur en créant une génération de jeunes gens éduqués, idéalistes et impliqués dans la vie de leur communauté. Une jeunesse qui fait entendre sa voix ces derniers jours, depuis la tuerie de Parkland aux États-Unis, avec Emma González en cheffe de file du mouvement. La nuit, il est le vengeur masqué Black Lightning, un super-héros jusqu’ici à la retraite et qui décide de reprendre du service pour éradiquer les gangs de sa ville. Ses méthodes sont autrement plus expéditives que son alter ego en costard trois pièces. Cette dualité, c’est aussi une représentation du conflit d’idées qui opposait Martin Luther King Jr. et Malcolm X, comme l’explique son interprète dans une interview au Guardian :

“On peut voir Jefferson Pierce comme une manifestation de Martin Luther King et Black Lightning comme Malcolm X. La non-violence est une belle philosophie, et elle devrait toujours être le premier recours, mais parfois vous devez vous protéger. Parfois, vous devez mettre le bordel, être un peu plus actif pour que les choses avancent. C’est cette dichotomie qu’interroge la série.”

Black Lightning qui, dans son coin, révolutionne l’air de rien le genre et la représentation des super-héros non-blancs, compte désormais dans ses rangs une justicière dotée de pouvoirs. Anissa Pierce, alias Thunder, est non seulement une super-héroïne noire, mais elle est aussi lesbienne. Plus intersectionnel, tu meurs. Son interprète, Nafessa Williams, déclarait à la dernière Comic-Con de San Diego, au sujet du positionnement symbolique de la série à travers son personnage : “Il était temps et ça devient nécessaire. On a besoin de ça. On a trop attendu.” Quelques mois plus tôt, Marvel effaçait presque toute trace de la bisexualité de Walkyrie dans Thor : Ragnarok, une impitoyable guerrière incarnée, là aussi, par une femme de couleur, Tessa Thompson.

Que ce soit Black Lightning, Luke Cage, ou Black Panther, aucun de ces trois héros ne prétend détenir la solution ultime contre le racisme, les conséquences de la colonisation, ou le crime organisé. Ils ont tous des idéaux qui se trouvent confrontés à d’autres, tout aussi valables. Ceux de Jefferson Pierce se heurtent aux méthodes de Black Lightning, ceux de Luke Cage (Mike Colter) à l’incorruptible Misty Knight (Simone Missick) et T’Challa, qui s’oppose à la soif de justice et de vengeance de Killmonger, finira par trouver un compromis ente ses certitudes et celles de son rival. Trois œuvres de la pop culture qui questionnent la morale, puisent leur force dans les luttes, souvent violentes, qui ont jalonné l’Histoire des hommes et femmes noir·e·s par le passé et proposent de nouveaux symboles tournés vers un avenir, on l’espère, plus égalitaire.