Méfiez-vous, le monde futuriste de Black Mirror est déjà là

Méfiez-vous, le monde futuriste de Black Mirror est déjà là

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Par Thibault Prévost

Publié le

Alors que la troisième saison de Black Mirror déferle sur Netflix ce vendredi 21 octobre, un coup d’œil sur les saisons précédentes nous rappelle que l’avenir est déjà là.

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Surtout, ne jamais se croire à l’abri du progrès. Voilà, en substance, l’avertissement que tentait de nous faire parvenir Charlie Brooker, le temps de sept épisodes d’anticipation toute asimovienne, diffusés entre 2011 et 2013 sous l’inquiétant label Black Mirror.

Évoquer les chausse-trappes du progrès technologique, en deviner les effets secondaires : Channel 4 avait mordu à l’hameçon du showrunner, le public le bouffa tout entier et en redemanda. Black Mirror est un remède au soma, une dose de prise de conscience qu’on voudrait projeter en place publique, sur les falaises de pixels habituellement dévolues à la vente de produits de consommation courante.

À l’issue des deux saisons, c’était certain, Charlie Brooker avait inventé un genre, celui de l’anticipation immédiate. Le futur technologique de Black Mirror n’est pas celui qui nous attend, c’est celui qui regarde par-dessus notre épaule. Et dans les horloges de la Silicon Valley, quatre ans font figure d’éternité. La preuve : depuis la sortie de la première saison, en 2011, le progrès a refait son retard avec envie. Désormais, la majorité des technologies sont déjà là. Pas convaincu? Okay, voici la liste.

La résurrection par l’intelligence artificielle

Aussi fictionnel que cela puisse paraître, l’émulation d’êtres humains sous forme d’entités numériques n’est plus un fantasme interdit. À la convergence du deep learning et de la robotique de pointe, l’androïde sera peut-être l’une des solutions pour vaincre Thanatos dans les décennies à venir. De fait, le thème est tellement présent dans les sphères de la high-tech qu’il a même inspiré une religion, le Terasem, qui prône la transcendance informatique comme réponse à la mort biologique.

Côté business, plusieurs entreprises – dont Alphabet, via sa division Verily, – travaillent déjà activement à rendre cela faisable et l’une d’elles, United Therapeutics Corporation, a présenté BINA48, un androïde censé répliquer la femme disparue du fascinant PDG transgenre de l’entreprise, Martine Rothblatt.

Impressionnant ou complètement flippant, c’est selon… Comme ce reportage de The Verge, paru début octobre, sur l’entreprise Luka, dirigée par la Russe Eugenia Kuyda et tout entière dédiée à… faire “revenir” son meilleur ami, Roman Mazurenko, décédé en 2015. Pour construire son intelligence artificielle (IA), Eugenia Kuyda et son équipe se sont basées sur la correspondance en ligne entre Mazurenko et ses amis, mettant tout le monde à contribution. Oui, exactement comme dans “Be Right Back”, le premier épisode de la saison 2.

Dans un autre registre, Facebook propose désormais d’assigner un “contact légataire” pour assurer votre présence en ligne après votre décès. Autrement dit, laisser une version numérique vous survivre.

Pour les yeux bioniques, voyez avec Google

L’un des épisodes les plus fascinants de la série, “The Entire History of You”, s’articulait autour d’une lentille bionique qui permet d’enregistrer toute sa vie en permanence pour en revivre, au choix, les meilleurs ou pires moments. Lors de la diffusion de l’épisode, les Google Glass n’étaient pas encore un échec retentissant, mais l’histoire nous a depuis (curieusement) prouvé que dans certains cas la société civile peut encore refuser en bloc les normes imposées par l’évolution technologique. Mais pour Google, ce n’est qu’un contretemps.

Le 28 avril dernier, l’entreprise déposait un brevet pour… des lentilles connectées, à injecter directement dans les yeux. Si l’idée de base est d’améliorer la vue de tous sans plus avoir besoin de lunettes ou de lentilles traditionnelles, on imagine assez bien les potentielles applications du produit, entre biométrie, paiement et publicité ciblée. Et pour le stockage des données enregistrées, dites-vous ? Pas de problème, on encodera ça directement sur votre ADN, et votre cerveau fera office de processeur. Et nous serons alors notre propre téléréalité.

À vous l’abandon absolu dans une infinie observation de votre propre existence. Peut-être même que dans quelques décennies, nos cerveaux seront des objets connectés comme les autres… exposés à un nouveau type de menace, comme le piratage de souvenirs ou l’implantation de fausse mémoire. Ne levez pas les yeux au ciel, on sait déjà le faire sur des souris.

Pokémon Go ou la prison de la réalité augmentée

Réfléchissez-y : des hordes d’êtres humains massés les uns contre les autres dans la rue, le bras tendu, pointant l’objectif de leur téléphone sur la même zone, ça ne vous rappelle rien ? “White Bear”, probablement l’épisode le plus perturbant de toute la série, mettait en scène une femme amnésique dans un monde où tout le monde la filme avec son téléphone.

Une critique à la fois subtile et acide de notre obsession à vouloir capturer le monde qui nous entoure, particulièrement inédite en 2011. Cinq ans plus tard, difficile de ne pas y voir une dénonciation des dérives de la réalité augmentée, plus particulièrement après la vague Pokémon Go. Bah oui, des gens rivés à leur portable qui courent frénétiquement dans la même direction avec de grands sourires béats, finalement, ça ressemble pas mal à ce qu’on a pu voir l’été passé.

“Fifteen Million Merits”, le pire des cas

La plupart des épisodes de Black Mirror diffusés entre 2011 et 2013 sont donc de fidèles oracles de la réalité actuelle ou à venir, tant dans les débats éthiques qu’ils ouvrent que sur les technologies présentées. À l’époque où il était Premier ministre, David Cameron a probablement grimacé devant “The National Anthem” (d’autant que l’épisode a eu une résonance particulière quand le “Piggate” a éclaté en 2015).

Aujourd’hui, les opposants à Donald Trump n’ont pas hésité à le comparer à la marionnette mégalomane Waldo (l’épisode “The Waldo Moment” de la saison 2). Lorsqu’il s’agit de prévenir des périls de l’avenir immédiat, Charlie Brooker est presque un prophète. Mais qu’en est-il du futur distant ?

La réponse que fournit Brooker réside dans “Fifteen Million Merits”, second épisode de la première saison. L’épisode se distingue des autres par son esthétique et son scénario, clairement plus versés dans la science-fiction que l’anticipation. Il résume comment Charlie Brooker envisage le futur dans le pire des cas, comme pour nous prévenir de ce qui se passera si la société civile laisse vraiment les conglomérats de la high-tech repenser pour nous la définition de la réalité.

Et ce qui met mal à l’aise, c’est que l’infâme dystopie qu’il imagine – mélange de darwinisme infantilisé, de culte du corps et d’aliénation télévisuelle – est un assemblage de technologies que nous utilisons déjà : puces RFID pour contrôler les déplacements, monnaie virtuelle, publicités invasives et personnalisées, télévision à la demande, applications à contenu payant…

Comme le résume le personnage principal de l’épisode, Bing, “on achète de la merde qui n’existe même pas”. Le pire dans tout ça? Lorsque Charlie Brooker a imaginé ces épisodes, la réalité virtuelle, les voitures autonomes, les hoverboards, les fusées réutilisables, l’IA émotionnelle et la modification précise de gènes n’existaient pas encore. C’est dire ce qui nous attend dans la saison 3, et à travers elle, dans l’avenir proche IRL.