Hate watching : 24: Legacy, une série dangereuse ?

Hate watching : 24: Legacy, une série dangereuse ?

photo de profil

Par Adrien Delage

Publié le

Si les œuvres sérielles tiennent de la fiction, elles intègrent toujours un contexte qui fait écho à notre histoire. Mais parfois, les scénaristes le font de la mauvaise manière et véhiculent un message nauséabond. 

À voir aussi sur Konbini

Soirée du 5 février 2017. Coup de théâtre pendant la finale du Super Bowl, où le quarterback Tom Brady réalise le come-back de l’histoire pour ses Patriots de la Nouvelle-Angleterre, qui arrachent la victoire. Heureux ou bien en peine, les spectateurs américains zappent avec excitation à la fin du match sur la Fox, où un nouvel événement important du petit écran survient : le retour de la franchise 24 heures chrono, sans Kiefer Sutherland (resté, de loin, producteur exécutif) et donc sans Jack Bauer, un peu moins de sept ans après la diffusion de l’ultime épisode.

Le nouvel agent de la CTU (Counter Terrorist Unit, CAT en français), Eric Carter, est afro-américain et approche la trentaine. Il est incarné par le prometteur Corey Hawkins, vu dans The Walking Dead et dans le biopic musclé Straight Outta Compton. Aura charismatique, visage fermé, air badass assumé, il est un peu plus frêle que notre Jack Bauer national, mais a toutes ses chances d’assurer la relève à la CTU et dans le cœur des fans. Des spectateurs que l’on devine d’ailleurs sceptiques, et à raison, car plongés dans une ère de Peak TV où les scénaristes recyclent énormément de concepts et de franchises jadis prospères et appréciés du plus grand nombre.

Pour l’occasion, les créateurs de 24 heures chrono, Robert Cochran et Joel Surnow, sont de retour aux commandes du sequel. Les spectateurs ne le savent pas encore, mais Tony Almeida (Carlos Bernard) fera quelques apparitions pour satisfaire les fans de la première heure, probablement déçus de ne pas voir Kiefer Sutherland se prêter au jeu du guest. Tant de bons points qui donnent envie de laisser une chance à 24: Legacy, et ne pas l’envoyer d’entrée de jeu au cimetière des déchets sériels.

Environ quarante minutes plus tard, le verdict tombe : quelle erreur. Pire, près de vingt millions d’Américains viennent d’assister à une production à côté de la plaque, et à des intrigues faites de tensions religieuses et de menaces terroristes. En seulement un épisode pilote (la suite ne sera pas mieux, voire affligeante), 24: Legacy a pris dix ans de retard en pleine poire. Par conscience professionnelle ou sadomasochisme latent, je me suis infligé les onze autres épisodes composant cette saison, pour me convaincre de ne plus jamais regarder un objet sériel aussi pernicieux.

24 heures de trop

C’est quand même un comble de commencer une série et de prier pour qu’elle ne dure pas plus que ses douze épisodes prévus. Contrairement au matériau de base, les scénaristes ont décidé de découper l’histoire de la première saison en une demi-journée (pour prévoir d’une éventuelle annulation, cela va de soi). Par malheur, c’était déjà douze heures de trop.

Au premier abord, l’intrigue de la série est plutôt basique : pensant avoir éradiqué une cellule terroriste au Moyen-Orient, Eric Carter revient chez l’Oncle Sam pour épouser sa femme et vivre une vie paisible. Alors que des membres de son unité sont assassinés au compte-gouttes, Carter prend conscience que des survivants du groupuscule sont venus sur le sol américain pour se venger. Ni une, ni deux, il décide de contacter le CTU pour remonter à la source et couper définitivement les têtes de l’hydre.

L’épisode pilote débute sur une scène déchirante et d’une rare violence pour une chaîne de network. Une famille est massacrée par des terroristes en provenance du Moyen-Orient, dramatisant l’horreur ressentie par la population à l’heure actuelle, où les lieux publics sont particulièrement visés par les membres de Daech. Mais au niveau de l’éthique et du “devoir” de pédagogie d’une œuvre centrée sur un tel sujet, peut-on se permettre d’insérer ce genre de séquence à une heure de grande écoute ?

Resituons-nous dans le contexte américain. Plus d’un mois auparavant, Donald Trump, candidat ultraprotectionniste et xénophobe, s’est assis sur le siège de la Maison-Blanche. Dès les semaines qui suivent, il enclenche la signature d’un décret aux relents racistes, qui interdit aux ressortissants de sept pays musulmans l’accès au territoire américain. Le 4 février 2017, la décision du 45e président des États-Unis est ralentie par le juge fédéral James Robart, alors que le monde s’élève contre ce décret stigmatisant. Dans ce contexte-ci, 24: Legacy ne peut se permettre de catégoriser de manière aussi discriminante les individus identifiés comme musulmans.

Bien entendu, il ne faudrait pas non plus jeter la première pierre aux scénaristes. Ces derniers ne pouvaient prévoir l’élection de Donald Trump (mais au moins l’envisager ?) au cours de l’écriture de la série. De même, nous n’accusons pas l’équipe du show d’être raciste, mais disons plutôt maladroite. Au vu du contexte politique anxiogène et xénophobe de l’Amérique de Trump, montrez le massacre d’innocents par des citoyens musulmans tient de l’irresponsabilité. Elle ne fait que renforcer et alimenter la peur et les appréhensions des civils, qui se sentent symboliquement menacés jusque dans leur vie privée par de telles atrocités. Je mettrais ma main au feu que plusieurs spectateurs se sont empressés de vérifier si leur porte d’entrée était fermée à double tour après avoir vu cette scène.

Scandale à la CTU

L’erreur aurait pu s’arrêter là, mais la nouvelle CTU semble multiplier les bévues. Ellipse temporelle. Quatrième épisode, situé entre trois et quatre heures de l’après-midi. Les audiences de 24: Legacy sont en chute libre. Après un démarrage en trombe à plus de 17 millions de téléspectateurs, les fans fuient le show de Fox comme la peste. Elle perd onze millions entre les deux premiers épisodes, puis plus ou moins un million de viewers chaque nouvelle semaine. Et une scène de l’épisode 4 ne va rien arranger.

Rebecca, Carter et son équipe tentent vainement de stopper les nombreux attentats prévus par Jadalla Bin-Khalid. Au cours d’une réunion avec les membres du gouvernement, l’ex-patronne de la CTU expose une compilation de vidéos prises par des caméras de sécurité. Plongé dans mon visionnage semi-passionné, je bloque. Ces séquences grésillantes et de mauvaise qualité ont l’air terriblement réalistes. Non, ils n’auraient pas osé ? Après quelques recherches, la vérité m’apparaît froide et dure à avaler : il s’agissait bien d’images d’archives enregistrées pendant l’attaque du centre commercial Westgate, à Nairobi, en septembre 2013.

Les excuses des producteurs et de la Fox n’y changeront rien, ni la promesse de supprimer les séquences des rediffusions et des éditions en DVD, la boulette est faite. Ce drame ne fera que nourrir ma curiosité morbide pour voir jusqu’où la série s’est plantée. Ouf de soulagement, ces images d’archives incorporées honteusement resteront la pire erreur des scénaristes. Néanmoins, 24: Legacy reste bourrée d’incohérences, de dialogues inégaux et d’un rythme de croisière morne et lassant.

Sans le charisme de Jack Bauer et les idées innovantes qui faisaient de 24 heures chrono une série d’action solide et bien ficelée, cette production est un sequel fade, sans âme et ennuyeux malgré la bonne prestation de Corey Hawkins. À certains moments, elle a carrément atteint le statut notoire de série dangereuse par sa représentation de l’islamophobie, sa stigmatisation de la religion musulmane et ses idées politiques obsolètes.

Le grand méchant de l’intrigue, Bin-Khalid, n’est qu’une métaphore peu subtile de la mélancolie et la tristesse qui animent encore les États-Unis depuis les attentats du 11-septembre (“Bin” se prononce “Ben” en français, vous suivez mon raisonnement ?). Malheureusement pour eux, la saison 1 d’Homeland, la dramédie Rescue Me ou encore l’épisode “Osama Bin Laden Has Farty Pants” de South Park ont traité ce sujet avec plus de subtilité que 24: Legacy.

Après la lecture de cet article, vous pourrez très bien me dire d’aller me faire voir avec ma bien-pensance. Mais dans tous les cas, la “legacy” que nous laisse 24 aurait dû rester au placard. Cette suite n’a rien à apporter de plus sur le sujet. Jack aura diverti des spectateurs qui sont désormais passés à autre chose, audiences à l’appui. Et quand elle parle de notre époque, elle le fait de manière irresponsable et complètement dépassée. Et en cette ère de Peak TV, qui annonce la mort de l’antihéros, les séries d’action sont plus que jamais à la ramasse et en grand besoin de renouveau.

En France, la saison 1 de 24: Legacy reste inédite.