Transhumanisme, quête d’immortalité, humain amélioré : ce que les séries disent de nous

Transhumanisme, quête d’immortalité, humain amélioré : ce que les séries disent de nous

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Par Delphine Rivet

Publié le

Black Mirror, Westworld, Orphan Black ou encore L’Homme qui valait trois milliards… Chacune de ces séries, en imaginant un futur plus ou moins proche, pose en fait la question : qui est l’humain d’aujourd’hui ?

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Robots, androïdes, intelligence artificielle, implants bio-mécaniques, clonage, manipulations génétiques… Toutes ces technologies sont le fruit d’un fantasme aussi vieux que le monde : améliorer l’humain, sans cesse, et rallonger son existence. La rallonger oui, mais pour combien de temps ?

Le courant transhumaniste en est convaincu, l’humain de demain sera éternel, qu’il soit rabiboché de toutes parts grâce aux progrès scientifiques et mécaniques ou qu’il quitte son corps (mortel) pour n’être plus qu’une entité pensante avec l’aide du transfert de conscience. Une utopie décriée, mais qui trouve sa représentation sous des formes très variées dans nos chères séries télé.

Le transhumaniste rêve, le post-humain interroge

Le transhumanisme est un courant composé de scientifiques, d’artistes et de philosophes qui s’intéressent au post-humain. Le crédo de ces penseurs : il ne tient qu’à nous d’influer sur l’humain que nous sommes aujourd’hui, de l’améliorer en intégrant des technologies ou en le modifiant génétiquement, pour le faire accéder au prochain stade de son évolution.

Pendant des millénaires, la médecine a fonctionné sur un modèle exclusivement thérapeutique. Il s’agissait de soigner, de réparer. Les transhumantes proposent de passer d’un modèle thérapeutique à un modèle augmentatif et mélioratif avec l’aide des NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives).

C’est à partir de la Seconde Guerre mondiale que les travaux du mathématicien américain Norbert Wiener sur la cybernétique vont lancer la révolution du numérique et des biotechnologies. Le transhumanisme, né dans les années 1980 en Californie, va ensuite s’engouffrer dans la brèche et rêver d’un futur où l’homme pourra s’améliorer lui-même. Voire, comme le pense le chirurgien Laurent Alexandre, figure de proue de ce mouvement en France, vivre éternellement.

L’auteur du livre La mort de la mort en est sûr : l’homme qui vivra 1000 ans est déjà né. Une vision du futur qui ne fait pas que des adeptes. Le philosophe Pacôme Thiellement met bien en évidence sur son site l’ambiguïté d’un tel courant de pensée :

“Si le transhumanisme s’est d’abord donné comme un mouvement culturel prônant l’usage des biotechnologies pour ‘l’amélioration de la vie humaine’, cette tâche à la fois noble et absolument cohérente avec le serment d’Hippocrate masquait un nouvel enjeu de pouvoir qui, lui, est en complète contradiction avec cette amélioration : le rêve d’immortalité physique de l’élite économique et politique, impliquant évidemment la stérilisation et la mise en esclavage perpétuel des autres.”

On trouve d’ailleurs une très bonne représentation de ces utopistes, aussi écoutés que critiqués, dans Orphan Black. À la tête du mouvement Neolution, le professeur Aldous Leekie, adulé par des milliers de croyants, scientifiques et body hackers (qui se définissent comme des “pirates du corps humain” et se greffent délibérément des implants pour “dépasser leurs limites biologiques”), joue aux démiurges avec la génétique.

La série s’attaque alors à une facette bien plus connotée de la sélection génétique et fait ressurgir toute les peurs qu’elle a inspirées par le passé : l’eugénisme. Pour Hélène Machinal, professeure à l’université de Bretagne occidentale, ce qui est le plus intéressant dans la représentation de ce post-humain dans les séries, ce n’est pas tant de rêver à l’humain de demain mais de réfléchir à ce qu’il dit de nous aujourd’hui.

“La troisième révolution industrielle, celle de l’informatique et des biotechnologies, a déclenché un véritable foisonnement de questionnements sur le devenir de l’humain : entre technophilie et technophobie, le post-humain permet de repenser, sur un mode euphorique ou dysphorique, les frontières et la définition de l’humain.” (Extrait de l’introduction de PostHumains : Frontières, évolutions, hybridités par Elaine Després et Hélène Machinal.)

Le post-humain de corps et d’esprit

Ce post-humain, nous le connaissons déjà sans le savoir. Il a nourri des siècles d’ouvrages de science-fiction et trouve aujourd’hui, dans les séries télé, la meilleure des vitrines. Il est partout et, plus que jamais, il fait partie du quotidien des sériephiles.

Dans nos fictions, le post-humain peut être mécanique (L’Homme qui valait trois milliards), amélioré à coups de biotechnologies (Almost Human), de nanotechnologies (Jake 2.0), voir ses capacité intellectuelles décuplées par imprégnation (Chuck) ou par implant (Intelligence), être génétiquement modifié (Dark Angel) ou cloné (Orphan Black)…

“Les séries, en tant que forme de culture populaire contemporaine, réinterrogent la définition de l’humain”

Et si l’on en croit les séries, le futur qui nous pend au nez, c’est l’assimilation, c’est-à-dire l’absorption de ces technologies pour devenir un être hybride, mi-homme, mi-machine. Et à bien y regarder, les perspectives ne sont pas toujours réjouissantes et les séries sont rarement optimistes sur le sujet.

“Ce qui m’intéresse, c’est que les séries, en tant que forme de culture populaire contemporaine, réinterrogent la définition de l’humain dans, parallèlement, une redéfinition de notre contexte culturel, politique et collectif, qui est celui d’une société du numérique”, nous a expliqué Hélène Machinal.

Les fictions télé se sont emparées du phénomène il y a bien longtemps, sans jamais le nommer, et pas toujours là où on l’attendait. Si l’on vous dit “super soldat”, “prothèses bio-mécaniques”, “œil bionique”, vous pensez sûrement à une œuvre SF cyber punk ou post-apocalyptique… Perdu !

“Aux États-Unis, avec L’Homme qui valait trois milliards, dans les années 1970 [1974, ndlr] et son spin-off Super Jaimie [1976], on est en plein dans l’humain amélioré”, nous dit Romain Nigita, journaliste spécialisé dans les séries qui collabore régulièrement avec le magazine Science et Vie.

L’Homme qui valait trois milliards est présenté de manière réaliste, on n’est pas dans le futur”

Nous l’avons rencontré pour parler de la relation étroite qu’entretiennent les séries avec le post-humain et comment la science-fiction s’est adaptée aux progrès de la science au fil des décennies. L’Homme qui valait 3 milliards était davantage une série d’action qu’une réflexion sur le post-humain, mais elle en était l’une de ses premières représentations sur le petit écran.

“C’était précurseur dans le sens où c’était grand public, en prime time, avec un héros positif mi-humain, mi-mécanique et que ça marche. Ça marque vraiment un tournant. Et surtout, c’est présenté de manière réaliste, on n’est pas dans le futur.

Le mec passe sur une table d’opération qui ressemble à n’importe quelle table d’opération, on est quelques années après les premières greffes d’organes, les pacemakers existent déjà… c’est quasi crédible”, nous explique Romain Nigita.

Le mythe du super soldat rencontrait alors celui de Prométhée, tel qu’avait pu l’imaginer Mary Shelley dans son Frankenstein.

Une autre série qui fait très bien le lien entre corps augmenté et intelligence artificielle, c’est Almost Human et son duo de flics, l’un blanc, l’autre noir, l’un humain (Kennex) avec une prothèse de jambe biomécanique, l’autre androïde (Dorian), mis au placard pour être remplacé par des modèles plus récents et moins influencés par les émotions humaines.

Almost Human questionne l’instant où le robot développe une conscience ou des émotions, celui où il cesse d’être une machine. Et faire cette démarche intellectuelle, c’est déjà s’interroger sur ce qu’est l’humain.

Les séries qui utilisent la figure du post-humain pour interroger notre société sont légion : de la pilule dopante de Limitless à l’implant qui donne accès à tous ses souvenirs dans Black Mirror, ou celui qui permet de voir le futur dans Fringe, en passant par la main artificielle de Coulson dans Agents of S.H.I.E.L.D. ou les super soldats qui se rebellent de Dark Angel… La liste est longue.

Mais l’homme a vite compris que pour dompter la mort, améliorer sans cesse son corps ne suffirait peut-être pas. Il a alors rêvé de pourvoir transférer sa conscience, comme on sauvegarderait ses fichiers sur un disque dur ou sur le Cloud. C’est peut-être là, au fond, que se cache notre humanité.

“Est-ce qu’on peut éventuellement considérer un robot comme un être proche de l’humain ?”

L’homme est un animal pensant, mais c’est aussi un animal qui ressent. Les souvenirs seraient des données comme les autres. Les connaissances peuvent être quantifiées, numérisées. Mais qu’en est-il des émotions ?

Caprica représente les trois états différents traversés par l’héroïne, Zoe Greystone, après sa mort. Hélène Machinal revient pour nous sur ce prequel de Battlestar Galactica :

“On a ce personnage qui est au départ humain et qui meurt dès le premier épisode. Il y a son avatar dans le monde virtuel, et il y a le robot dans lequel on a téléchargé l’esprit de l’être de départ. Et là, il y a une réflexion assez intelligente : est-ce qu’on peut éventuellement considérer un robot comme un être proche de l’humain ? Souvent, ça passe par la capacité à ressentir des émotions, par la capacité à accéder aux affects. Plus que par la capacité à penser.”

Romain Nigita confirme : “On peut dire que, d’un point de vue philosophique, c’est cette capacité à ressentir la souffrance qui fait de nous des êtres humains.”

L’éveil des machines

“De Galatée à Frankenstein, en passant par le Golem, les mythes abondent en représentations qui révèlent un inanimé qui s’humanise. Lorsque la matérialité d’un corps est ainsi dotée d’une conscience, d’un esprit, l’homme se questionne immanquablement sur sa propre identité, sur la façon de se définir, en tant que corps et esprit.” (Extrait de l’introduction de PostHumains : Frontières, évolutions, hybridités par Elaine Després et Hélène Machinal.)

“Les cylons, c’est le dernier stade de la fusion de l’homme et de la machine”

En 1950, Alan Turing soumet son fameux test pour prouver la réalité de l’intelligence mécanique par le biais d’une interaction à l’aveugle avec un sujet humain. L’une des craintes les plus communes dans les œuvres de science-fiction prenait forme : et si un jour, les machines devenaient plus intelligentes ? Au point de se retourner contre leurs créateurs ?

C’est l’une des thématiques explorées par Battlestar Galactica, qui questionnait, même au-delà du conflit homme/machine, un avenir intrinsèquement lié entre les deux espèces. Car oui, dans le cas des cylons, il est bien question d’espèce. Les tas de ferraille du début ont laissé place à des êtres bio-mécaniques, doués d’intelligence, imitant à la perfection les émotions humaines, jusqu’à n’avoir même pas conscience d’être  des robots.

Et comme nous, ils ont évolué et ont essayé d’assurer la survie de leur race, comme le rappelle Romain Nigita : “Dans Battlestar Galactica, il y a quand même une cylon (Boomer) et un humain qui font un enfant ensemble : c’est le dernier stade de la fusion de l’homme et de la machine. La dernière version des cylons était très organique. Le truc dans lequel ils naissent d’ailleurs, c’est en gros du liquide amniotique.”

“Les robots qui veulent devenir humain, c’est l’histoire de Pinocchio”

Ce grand fan de Star Trek nous raconte l’histoire très poétique de Data, un personnage de la période The Next Generation :

“Les robots qui veulent devenir humains, c’est l’histoire de Pinocchio. L’exemple principal dans les séries, c’est Data. Dès le début, son ambition est de devenir humain, de comprendre l’humain. Le scientifique qui l’a créé [un dénommé Noonien Soong, ndlr] avait d’abord fait une première version, qui s’appelle Lore — c’est un peu son Evil Twin — et dès le départ, il lui avait mis une puce d’émotivité.

Mais vu qu’il ressent tout de suite des émotions en plus de son intelligence extraordinaire, il est devenu mégalo et il s’est barré. C’est donc un méchant. Du coup, Noonien Soong s’est dit : ‘Pour ma deuxième version, je ne vais pas tout de suite lui donner des émotions, pour qu’il apprenne et qu’il évolue comme un enfant.’

En fait Data, c’est ça : un enfant qui évolue tout au long de la série. Il fait des expériences. Il y a un épisode où il veut se marier avec une femme pour voir ce que ça donne, un autre où il adopte un enfant, ensuite un chat, etc. C’est un enfant qui grandit, comme Pinocchio.”

Mais si Data est un pacifiste en quête d’identité, beaucoup d’autres intelligences artificielles présentes dans les séries ne sont pas aussi conciliantes avec leurs créateurs. Cet “inanimé qui s’humanise” peut alors prendre différentes formes, et l’humain qui voyait en cette nouvelle forme d’intelligence une extension de lui-même se met à craindre le pire.

Person of Interest propose une réflexion sur l’émergence d’une identité numérique, d’une subjectivité numérique, que j’avais rarement vue poussée à ce point-là”, nous confie Hélène Machinal.

Récemment, cette prise de conscience numérique a pris les traits de cowboys, dans le rodéo futuriste Westworld. Condamnée à suivre un script — le programme qui lui a été assigné — et coincée dans une boucle temporelle, Dolores, une androïde destinée à divertir les visiteurs du parc, s’éveille. Celle qui a été conçue pour ne pas faire de mal à une mouche finit par en tuer une qui l’importune. Un bug dans la machine ou la naissance d’une individualité ? Nous sommes, chaque semaine, les témoins de sa lente prise de conscience.

Si l’humain ne cesse de courir après l’immortalité, quitte à se fondre avec la machine comme l’envisagent les transhumanistes, ces robots-là, eux, aimeraient ressentir, comprendre par eux-mêmes, souffrir même. Pour s’approcher de l’humain, ils sont prêts à renoncer à leur immortalité.

Les peurs que peuvent susciter ces êtres artificiels qui ont inspiré de nombreuses œuvres de science-fiction nous ramènent aussi à nos propres limites en tant qu’humains : un soulèvement des machines nous renverrait à notre position d’esclavagistes, ou, par exemple, à notre intolérance face à la différence. C’est le cas notamment avec la série suédoise Real Humans, où les Hubots les plus évolués finissent soit par se rebeller, soit par exiger les mêmes droits que les humains.

Les séries de science-fiction, qui sont d’ailleurs de plus en plus réalistes et proches de nous sur la question (par opposition à des œuvres plus futuristes ou cyber punk), sont un vecteur idéal pour explorer les espoirs et les craintes que nous avons au sujet de la technologie et de notre nature profonde. Elles questionnent l’essence même de l’humanité, ce qui nous distingue de la machine.