Jane Campion : “C’est libérateur pour une actrice de ne pas avoir à jouer les déesses de l’écran”

Jane Campion : “C’est libérateur pour une actrice de ne pas avoir à jouer les déesses de l’écran”

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SYDNEY, AUSTRALIA – JUNE 15: Jane Campion and Elisabeth Moss at the “Top of the Lake” set visit on June 15, 2016 in Sydney, Australia. (Photo by Vera Anderson/WireImage)

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Par Marion Olité

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Le retour de Top of the Lake

“Les retours très positifs de la première saison m’ont convaincue de poursuivre. Nous avons vraiment créé un ton spécifique et nous savons comment le perpétuer et faire évoluer nos personnages, que nous chérissons. Et les gens ont adhéré, ce qui est rare. J’adore l’implication émotionnelle que me demande Top of the Lake. Je me suis posé la question de continuer ou pas. Par exemple, un bon roman pour moi n’a pas de suite. Parfois, c’est étiré inutilement et ça me met en colère.”

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Une femme réalisatrice à Cannes

Lors du 70e anniversaire du Festival de Cannes, la photo de famille des cinéastes primés n’a pas manqué d’interroger. Au milieu de 15 hommes, Jane Campion était la seule réalisatrice.

“C’était encore pire lors de la célébration des 60 ans du Festival. Il y avait peut-être 40 réalisateurs. Les hommes défilaient, encore et encore, et à un moment, je suis arrivée, et je me suis rendu compte : ‘Oh mon Dieu, mais il n’y a pas d’autres femmes !’ C’est violent.”

Le sexisme ordinaire

“J’ai expérimenté bien pire que les personnages féminins de Top of the Lake, à part peut-être finir dans une valise [rires]. Et oui, ils sont inspirés de ce que j’ai pu vivre, moi ou mes amies. J’ai personnellement passé ce moment où on me cataloguait plus en tant que femme qu’artiste. On ne me traite plus mal maintenant. Rien que ce changement a été extraordinaire [rires].
Quand j’ai commencé en tant que réalisatrice, je n’arrivais même pas à me faire entendre des acteurs. Ils ne voulaient pas faire ce que je leur demandais. On en arrivait à des trucs pas possibles où il fallait que ce soit une actrice de 12 ans qui demande à répéter pour que l’acteur me dise : ‘OK, on va répéter, mais seulement parce qu’elle le demande’. À ce moment-là, pour pas mal d’hommes, c’était très compliqué de travailler avec une femme qui a de l’autorité, qui est leur chef. Même au sein de l’équipe, je me souviens de vrais problèmes de comportement venant d’hommes. Il fallait se montrer maligne et diplomate pour se tirer de ce genre de situation et faire en sorte qu’ils fassent ce que je demandais.
Les gens ont commencé à me voir différemment quand le succès est arrivé. Les gens vous voient autrement.”

Le choix Elisabeth Moss

“Il y a quelque chose qui tient du mystère avec Elisabeth Moss. J’appelle ça avoir une qualité ‘à la Mona Lisa’. C’est quelque chose de presque invisible qui vous attire irrémédiablement. J’ai vu beaucoup de gens avant de caster Elisabeth. Certains étaient vraiment pas mal. Izzie est arrivée et son audition était très calme et, en même temps, c’est la première fois que je me suis sentie happée. Et c’est ce que je recherchais : quelqu’un qui m’impliquerait vraiment dans la scène et l’histoire.
Et j’ai vite compris qu’Izzie pouvait jouer quelqu’un de très fiable. D’une façon ou d’une autre, vous savez que vous faites confiance à Robin [son rôle dans Top of the Lake, ndlr]. Elle est touchante, vous êtes de son côté sans même vous poser la question. Cet aspect-là est renforcé cette saison par la relation qu’elle va avoir avec sa fille. Elle se pose toujours des questions sur la bonne manière d’interagir avec elle. Mais au final, on ne mettra jamais le doigt sur ce qui fait la particularité d’Izzie.”

L’arrivée de Nicole Kidman

Nicole Kidman, amie de longue date de Jane Campion, qui l’a notamment fait tourner dans le sublime Portrait de femme en 1996, débarque dans la saison 2 de Top of the Lake, dans le rôle d’une mère atypique.

“J’avais le personnage de Julia en tête, et Nicole est venue me voir un jour à mon bureau pour me dire : ‘J’adore la série, j’aimerais bien en faire partie.’ Je lui ai dit qu’elle pouvait peut-être prendre le rôle de Julia mais qu’il était un peu mince. On l’a finalement étoffé pour elle et il a fallu réécrire un peu chaque épisode. C’était un challenge à la fois fun et terrifiant. Son personnage est tellement drôle et fort, je suis vraiment contente de ce qu’elle en a fait.
J’ai voulu créer un look particulier pour Julia et Nicole était super enthousiaste là-dessus, d’aller assez loin, jusqu’à ce qu’elle soit à peine reconnaissable. Je pense que c’est libérateur pour une actrice de ne pas avoir à jouer les déesses de l’écran. C’est juste chiant au bout d’un moment quand, sur un tournage, l’obsession est que l’actrice paraisse la plus belle. Nicole était libérée de ça et, en même temps, elle est magnifique et incroyable dans ce rôle. On sent sa vulnérabilité.
Si elle est aussi demandée en ce moment, c’est qu’elle est extraordinaire. C’est une personne audacieuse et courageuse. Elle a connu des moments différents dans sa carrière, des hauts et des bas, et elle se trouve maintenant à un endroit très intéressant.”

À propos du changement de lieu

Le charme de la première saison de Top of the Lake reposait en bonne partie sur les lieux, l’intrigue se déroulant à Laketop, une petite ville néo-zélandaise située dans les Alpes du Sud à l’étrange beauté. En saison 2, Jane Campion s’est saisie de l’urbanité de Sydney. Un pari osé.

“Cette fois, nous avons eu envie d’explorer un univers différent. J’avais très envie de planter le décor de cette nouvelle intrigue à Sydney. Je vis là-bas, ce qui est un avantage [rires, ndlr]. C’est une ville magnifique et très intéressante à filmer. On avait besoin d’un plus grand lac [rires].”

La liberté des séries

“J’ai trouvé ça vraiment libérateur de travailler dans le monde des séries. Les commissionnaires peuvent être assez radicaux, dans le bon sens. Dans l’industrie du cinéma, tout le monde est anxieux tout le temps. Ils se demandent toujours ce que les autres vont penser de ça ou ça… En télévision, en tout cas, la chaîne avec laquelle j’ai travaillé m’a dit : ‘Jane, fais ce que tu veux.’ On veut voir ton histoire et avoir ta vision des choses. Et tu le fais comme tu le souhaites. La seule chose qui les inquiétait, c’était l’utilisation des injures dans les dialogues.
J’ai pu m’exprimer sur des sujets forts, car le medium séries m’a donné carte blanche. Au cinéma, on m’aurait dit : ‘Tu veux faire ça comme ça, c’est un peu agressif, non ?’ Il y a des œuvres sérielles radicales comme The Wire ou Deadwood. Et il y a chez les spectateurs une attente à ce qu’on aille le plus loin possible dans notre propos.”

La saison 2 de Top of the Lake débute sur Arte ce 7 décembre, elle est diffusée tous les jeudis.