Justin Theroux : “The Leftovers nous réconforte sur notre propre mort à venir”

Justin Theroux : “The Leftovers nous réconforte sur notre propre mort à venir”

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Par Marion Olité

Publié le

L’acteur Justin Theroux était de passage à Paris à l’occasion de la présentation en avant-première à Séries Mania du début de la saison 3 de The Leftovers. L’occasion de parler avec lui de son énigmatique personnage, de la foi ou tout simplement du sens de la vie.

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Biiinge | Damon Lindelof a récemment expliqué dans une interview accordée à Variety : “une bonne fin révèle de quoi parlait le show depuis le début”. De quoi parle vraiment The Leftovers ?

Justin Theroux | La série ne parle pas nécessairement d’une seule chose, mais d’une pléiade de sujets : la perte, le deuil, l’apocalypse, le sens de la vie, les croyances religieuses… Elle pose ce genre de questions auxquelles on n’a pas très envie de penser en prenant son petit déj [rires, ndlr].

Ces sujets sont franchement déprimants, mais la série offre justement un espace sûr pour réfléchir à tout ça. Cela peut sembler prétentieux mais pour moi, elle parle du sens de la vie, des croyances auxquelles vous voulez adhérer, ou encore des raisons qui poussent à aller de l’avant.

Pendant les premières minutes du show, une apocalypse a lieu. Comment a-t-elle affecté les gens ? Cet événement est une métaphore de toutes les mini-apocalypses que nous subissons au cours de notre vie, que ce soit la perte d’un être cher, un attentat ou une souffrance… La guerre en Afghanistan ou le 11 septembre sont des apocalypses. Et dans ces moments-là, on réalise qu’il peut se passer n’importe quoi. D’une certaine façon, cette série nous réconforte sur notre propre mort à venir.

Damon Lindelof se retrouve sous le feu des projecteurs alors que la série touche à sa fin. Comment aimeriez-vous qu’elle s’achève ?

Je n’ai pas vraiment d’opinion sur cette question. Damon ne sera peut-être pas d’accord avec moi, mais je pense que c’est une série qui pourrait se terminer n’importe où. C’est logiquement plus satisfaisant de terminer sur un point final, et je pense que nous l’avons fait, mais The Leftovers a fait comprendre plusieurs fois qu’il ne peut y avoir une réponse claire et définitive à cette question.

On va continuer en saison 3 à suivre ces personnes et la façon dont elles gèrent leur vie, mais on ne répondra pas à la question de savoir où les gens du “Sudden Departure” sont allés. Et on ne peut pas répondre à la question : ‘Quel est le sens de la vie ?’ ! Vous voyez ce que je veux dire [rires, ndlr].

Damon Lindelof a dit dès le début qu’il ne répondrait pas à cette question, mais n’avez-vous pas certaines interrogations concernant votre personnage, Kevin Garvey, qui vous trottent dans la tête ? Du genre, est-il une sorte de messie ?

Oh mais j’ai la réponse ! Je ne sais pas si elle sera satisfaisante pour les téléspectateurs, mais en tout cas, je peux vous dire qu’il y en a une. Dès le premier épisode de la saison 3, on voit que Kevin est très réticent à cette idée d’être un nouveau Jésus. Au fil des épisodes, on pourrait aussi découvrir que cette histoire n’est pas vraiment si importante que cela. Mais je ne veux pas en dire plus [rires, ndlr] !

“Je me considère comme un athéiste qui préférerait être agnostique”

Votre expérience sur The Leftovers a-t-elle changé votre rapport à la foi ?

Pas vraiment, elle a plutôt confirmé ce en quoi je croyais déjà. Mais cela s’est révélé un super exercice. Je me considère comme un athéiste qui préférerait être agnostique. Je pense que Damon est proche de ce que je pense aussi. Nous privilégions tous les deux un point de vue scientifique et nous espérons tous les deux que nous avons tort !

C’est forcément réconfortant de penser que quand nous mourrons, nous pourrons retrouver les proches que nous aimons. Que quelqu’un, quelque part, a un plan pour nous, qu’il va prendre soin de nous. Malheureusement, la science et le manque d’indices prouvent le contraire.

Damon m’a dit une fois : ‘J’aimerais pouvoir nier le changement climatique. Je comprends pourquoi les gens n’ont pas envie d’avoir cette pensée. C’est plus agréable que de penser au problème de l’eau, aux potentielles guerres que cela pourrait entraîner.’ Mais encore une fois, la science nous montre qu’il aura probablement bien lieu. Mais je comprends, les gens ont envie de croire que ce n’est pas vrai.

Quel a été votre sentiment au moment de tourner votre dernière scène dans The Leftovers ?

Cette journée s’est avérée particulièrement éprouvante. Damon pourra vous le confirmer : j’étais vraiment en dehors de ma zone de confort. Nous étions en train de perdre la bonne lumière, il fallait aller vite et, en même temps, c’était probablement ma scène la plus importante de toute la série, ou du moins de la saison. La barre était placée haut. J’avais une grosse pression et je n’étais pas satisfait de ce que je venais de donner.

Ce dernier jour a vraiment été difficile. Tout le monde avait pris l’avion de Los Angeles, notamment Tom [Perrotta, ndlr] et Damon, pour voir cette dernière scène. J’étais de plus exténué par la saison que nous venions de tourner.

À propos de votre performance dans The Leftovers, Damon Lindelof a dit : “Il n’y a vraiment rien que cet homme ne puisse faire. C’en est presque devenu un challenge fun que de se demander : ‘Comment est-ce qu’on peut continuer à le tenir hors de sa zone de confort ?’ A-t-il réussi son défi ?

[rires, ndlr]. Ah oui, ils ont trouvé, je peux vous le dire ! Il y a eu de l’inconfort physique et de l’inconfort émotionnel. Quand je recevais des scripts où était écrit “Kevin fond en larmes”, je me disais ‘Oh boy’, car ce n’est pas facile de se mettre dans le bon état psychologique pour réussir ce genre de scènes. Je pousse toujours un grand ouf de soulagement quand la scène est dans la boîte : ‘Dieu merci, c’est fini’ !

Il y a eu aussi cette fameuse scène de karaoké, soit la dernière chose que j’avais envie de faire au monde. Je ne sais pas chanter ! C’est une très belle scène a posteriori, mais quand on la tournait, je n’en étais pas aussi sûr [rires, ndlr]. Mais c’est justement un cas classique où Damon m’a sorti de ma zone de confort. Il ne m’a jamais laissé m’installer tranquille dans ce rôle. Quand il m’a demandé par mail : ‘Est-ce que tu peux chanter ?’, je me suis dit : ‘Oh, non, pas ça !’ Je ne pensais pas en plus que ce serait une scène de karaoké, sur une magnifique chanson, et que je devrai me produire devant 50 personnes avec la lumière dans la tronche [rires, ndlr]

Au final, c’est Ann Dowd [l’interprète de Patti, ndlr] qui m’a donné le meilleur conseil. Elle m’a dit : ‘Mais Kevin ne sait pas chanter !’ Je n’avais pas à chanter juste en fait. Et là je me suis calmé, ça m’a retiré toute la pression que je m’étais mise. Cette chanson [“Homeward Bound” de Simon and Garfunkel , ndlr] était si belle et pertinente par rapport à là où nous en étions dans l’histoire. Je me suis laissé porter par l’émotion de la chanson. D’une façon étrange, la chanson a fait le boulot à ma place.

On n’a pas parlé de cette scène de la baignoire déjà mythique…

[Rires, ndlr] Le pire c’était l’eau dans cette scène. La façon dont ils voulaient la filmer fait que j’ai dû rester allongé la tête sur le carrelage trempé beaucoup trop longtemps ! Sans compter le nombre de fois où j’ai dû plonger et replonger la tête dans la baignoire. J’avais vraiment l’impression de mourir. On a tenté de mettre de la cire sous mon nez et dans mes oreilles, mais rien ne marchait ! C’était juste brutal. Enfin, ce jour-là, je ne me suis rien cassé.

Carrie Coon a dit à propos de son rôle, Nora, dans The Leftovers : ‘Elle va me manquer. Elle est devenue une partie de qui je suis maintenant.’ Partagez-vous ce sentiment ?

Je suis plutôt content de laisser partir Kevin. Si Damon revient demain et me dit : ‘Hey, j’ai une idée pour une saison 4’, je ne serais pas méga chaud pour le faire, même si on ne sait jamais ! Mais ce n’est pas un personnage où je me dis : ‘J’ai envie de continuer à le jouer’. Cela dit, je suis d’accord avec Carrie sur le fait que les personnages que l’on a particulièrement aimé interpréter deviennent, dans un sens, une partie de nous. Bon, concernant Kevin, ce n’est pas comme si je ne pouvais pas le revoir quand je voulais, vu que les saisons sont tournées [rires, ndlr].

Ce qui va me manquer, c’est toute l’expérience The Leftovers avec l’équipe, les réalisateurs, Mimi Leder [elle a réalisé 10 épisodes sur 28 du show, ndlr] et les autres acteurs…

En plus d’être acteur, vous êtes également scénariste pour le cinéma américain (Tonnerre sous les tropiques, Iron Man 2, Zoolander 2). Diriez-vous que cela a été un avantage sur The Leftovers ? Avez-vous pu donner votre avis sur les scripts et échanger avec Damon ?

Alors, oui, c’est un avantage, mais je n’ai pas cherché à modifier les scripts. Et c’est tant mieux. Ils ont bossé très très dur sur ces scripts et je savais après les avoir lus qu’il n’y avait rien à changer. Ils étaient parfaits ! C’était un château de cartes auquel il ne fallait pas que je touche, sous peine de tout faire tomber. Mon boulot était de servir les scénaristes et les réalisateurs. Point.

À aucun moment ne vous êtes-vous dit à la lecture des scripts : ‘Oh mon dieu, ils sont allés trop loin ! Je ne comprends plus mon personnage !’ ?

Non [rires, ndlr] ! En fait, moi je trouve que c’est un personnage qui a du sens. Quand il réalise ce qu’il lui arrive, Kevin se pose des questions du genre : ‘Est-ce que je suis somnambule, fou, schizophrénique ?’ J’ai juste à jouer ça et Damon me donne les réponses après. J’aime aussi jouer l’inconnu. C’est beaucoup plus intéressant et c’est plus proche de ce que l’on vit.

“Les Américains peuvent être frustrés si on ne leur remet pas un paquet cadeau bien emballé”

Lors de l’avant-première de The Leftovers, vous avez remercié la France et Canal+ d’avoir produit Mulholland Drive. Ce même jour, nous apprenions que le revival de Twin Peaks allait être projeté en mai à Cannes. Êtes-vous toujours en contact avec David Lynch ?

Je n’ai pas eu de nouvelles de David depuis qu’il s’est lancé dans le tournage du revival de Twin Peaks. Mais je suis super content pour lui. Il est tellement aimé en France. Quand on est arrivés avec Mulholland Drive, on a été accueillis à bras ouverts. Ils ont fait péter le champagne ! Le film était mort et c’est vraiment la France qui l’a ressuscité. C’est un peu pareil pour The Leftovers, qui est très aimée ici.

J’ai l’impression que les spectateurs français attendent quelque chose de différent. Aux États-Unis, les spectateurs peuvent vite être frustrés s’ils n’ont pas de réponses à un mystère, si on ne leur remet pas un paquet cadeau bien emballé. Je me souviens des réactions à Mulholland Drive. Les gens disaient : ‘mais qu’est-ce que c’est ce truc ?!’ J’ai été à Cannes avec ce film, et je me souviens que David m’avait prévenu : ‘Sous aucun prétexte tu ne dois expliquer aux gens ce que le film veut dire selon toi.’ Du coup, je peux vous dire que les interviews avec la presse se sont révélées compliquées !

David comme Damon ne veulent pas qu’on explique des choses aux gens, car ils veulent les faire réfléchir par eux-mêmes. C’est comme vouloir expliquer pourquoi un album de jazz de John Coltrane est génial. Vouloir expliquer ruine l’expérience d’écoute. Mais on n’écoute pas un album de Britney Spears là. Le problème, c’est que les gens veulent souvent du Britney Spears et pas du Coltrane. Mais les Français ont toujours été plus réceptifs au mystère. Let the mystery be !

Avez-vous des plans sur l’après The Leftovers : retourner au cinéma, refaire une série ?

Je ne sais pas, je ne suis pas du genre à planifier quoique ce soit. Je suis ce que me disent mes tripes, j’attends tranquillement le prochain projet. J’ai eu tellement de chance avec The Leftovers. Je n’ai pas de projet précis, que ce soit au cinéma ou dans les séries.

En France, la série The Leftovers est diffusée sur OCS en US+24