McMafia : un thriller cérébral dans les hautes sphères aristocratiques

McMafia : un thriller cérébral dans les hautes sphères aristocratiques

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© BBC/AMC

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Par Adrien Delage

Publié le

La nouvelle série mafieuse de la BBC nous plonge dans les magouilles internationales de la pègre russe. Attention, spoilers.

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Depuis le triomphe des Soprano à la fin des années 1990, la série mafieuse est remodelée à toutes les sauces et en fonction de toutes les nationalités : Breaking Bad aux États-Unis, Gomorra en Italie, Mafiosa en France, Narcos en Colombie… Difficile de faire son trou dans ce genre saturé sur le petit écran et déjà sublimé par les mésaventures de Tony Soprano. Pourtant, le milieu de la pègre continue de fasciner à notre époque, preuve en est avec McMafia, la dernière coproduction sérielle entre la BBC et AMC.

La série nous plonge dans le quotidien des Godman à l’époque contemporaine, une famille russe exilée à Londres après que des conflits d’intérêts ont eu lieu entre le patriarche du foyer et le FSB, les services secrets locaux. Alex (James Norton, Happy Valley), le rejeton, a échappé à l’héritage criminel pour devenir banquier dans la capitale de l’Angleterre. Mais quand son oncle est assassiné par les hommes de Vadim (Merab Ninidze), l’ancien rival de la famille en Russie, Alex en fait une affaire personnelle et décide de mettre à mal le business souterrain et international du parrain.

L’anti-Gomorra

McMafia tire son épingle du jeu par le point de vue adopté, à savoir les hautes sphères de la pègre. Contrairement à Gomorra et les premières saisons de Peaky Blinders, la série britannique se concentre sur les parrains qui règnent sur ce business, et non les Gennaro ou autre Arthur Shelby qui se salissent les mains et ne sont que des sbires au service d’une plus grande organisation. De ce fait, McMafia privilégie un rythme lent, à défaut d’être spectaculaire, qui nous endort pour mieux nous surprendre lors des twists narratifs, à la manière d’un slow burner.

Et puis l’action se déroule à une échelle mondiale. Ici, on observe une mafia entrepreneuriale se répandre de façon tentaculaire sur le globe. Pour détruire Vadim et son trafic, Alex se rend en Israël, sur la Côte d’Azur ou encore à Moscou. Il fricote avec des oligarques russes, blanchit de l’argent auprès d’une corporation maritime de Tel-Aviv et passe des accords avec les cartels mexicains. C’est une mafia mondialisée présentée comme une sorte de toile gigantesque constamment en mouvement, où chaque criminel veut la plus grande part du gâteau.

En d’autres termes, McMafia s’adresse avant tout aux sériephiles fans de thriller cérébral. Les aficionados de la violence et de l’action street-level passeront leur chemin sur cette œuvre particulièrement verbeuse et d’autant plus immersive. Sa force provient du talent de ses acteurs et l’écriture de ses personnages, tous excellents et jamais dans le pur manichéisme auquel on pourrait s’attendre dans ce genre trop souvent archétypal.

Si le jeu de James Norton peut paraître fade dans les premiers épisodes, sa partition en clair-obscur prend tout son sens à la fin de la série. L’acteur a une capacité incroyable à exprimer physiquement l’évolution de son personnage, qui suit une trajectoire digne de celle de Walter White dans Breaking Bad.

Si les deux personnages sont des hommes ayant un sens moral et les héritiers d’une éducation exemplaire à la base, des héros souhaitant, respectivement, préserver sa famille du besoin pour l’un et venger un être cher pour l’autre, ils vont passer du stade d’antihéros à celui de monstres impitoyables en se laissant consumer par la noirceur de la criminalité – et l’appel du pouvoir, bien évidemment.

Passage de flambeau

Comme souvent dans les séries mafieuses, les enjeux de McMafia tournent autour de la famille. Le MacGuffin du show concerne l’assassinat de l’oncle Godman tandis qu’Alex met de plus en plus en danger ses proches en tentant de vaincre Vadim sur son propre terrain. À ses dépens, il apprendra que le prix est trop grand dans une guerre silencieuse de cette ampleur, le fameux trope du “family honor” si cher à ce genre. Ce stéréotype fonctionne tout de même dans la série grâce à l’implication émotionnelle des personnages secondaires.

Le personnage de Rebecca, incarné avec une grande justesse par Juliet Rylance (The Knick), représente finalement le spectateur qui assiste à la transformation d’Alex en criminel féroce. C’est d’ailleurs par le biais de sa petite amie que la mutation est finalisée : avec le meurtre du bébé que portait Rebecca, dommage collatéral de la vendetta d’Alex, c’est métaphoriquement l’innocence de son fiancé qui s’éteint. En conséquence de cet acte, Alex implose et achève sa métamorphose pour embrasser le statut de mafieux qu’il était destiné à devenir.

Ainsi, la morale de McMafia est glaçante. Quand les personnages de la série tentent d’échapper à leur héritage, le destin les frappe violemment pour les remettre sur le droit mauvais chemin : Alex bien sûr, mais aussi son père Dimitri, expulsé à jamais de son pays natal, ou encore l’entrepreneur Semiyon Kleiman, homosexuel refoulé qui sera accusé de violences… homophobes, à la suite d’un coup fourré.

Ce passage de flambeau malsain est entretenu par la criminalité et les magouilles qui gangrènent toutes les institutions internationales touchant à ce milieu. Par exemple, le FSB et le MI6 refusent chacun de protéger les Godman ou les Kalyagin pour ne pas créer d’incidents diplomatiques. Ainsi, ils entretiennent voire favorisent la montée de la mafia, auteure de meurtres en pleine rue et de dommages collatéraux, sans bouger le petit doigt.

Cette mondialisation de la mafia est excellemment bien expliquée dans le pilote du show, lorsqu’un parrain fait une analogie entre la pègre et les fast-foods McDonald’s, d’où est tiré le nom de la série. Tout l’aspect entrepreneurial mafieux est expliqué dans ce long monologue, où l’on apprend que l’économie souterraine se construit en implantant des “franchises” à travers le monde (des ports et aéroports d’accès, des sociétés-écrans pour blanchir l’argent, des pots-de-vin aux instances d’autorité…). En tant que banquier, Alex tirera sa force de cette réflexion pour comprendre les rouages de cet univers et les utiliser à son avantage, jusqu’à en payer le prix fort.

Plutôt didactique, assez froide et lente à se mettre en place mais élégamment mise en scène, superbement interprétée et judicieusement écrite, McMafia est une série exigeante qui mérite qu’on s’y attarde, surtout les amoureux du genre. Si elle n’a pas la portée pour marquer les esprits et son époque à la manière des Soprano, elle propose un niveau de lecture méta qui divisera (et laissera donc une trace) : le passage de témoin de la mafia old school à la pègre de notre temps, ou l’audace de dire adieu aux anciennes séries pour apprécier au mieux celles qui prennent la relève.

En France, la première saison de McMafia est disponible en intégralité sur Amazon Prime Video.