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Le “mumble acting” ou le syndrome Tom Hardy

Le “mumble acting” ou le syndrome Tom Hardy

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Par Marion Olité

Publié le

Franchement, qui comprend vraiment ce que raconte Tom Hardy dans Taboo

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N’en déplaise aux nombreux fans de Tom Hardy, ce n’est pas l’acteur de Peaky Blinders qui a lancé cette mode quelque peu énervante quand elle en devient systématique, surtout pour le sériephile français qui aurait le malheur de regarder ses shows sans sous-titres pour tester son bilinguisme naissant.

En revanche, avec Taboo, série taillée sur-mesure pour son talent, Tom Hardy hisse le “mumble acting” à un niveau qui n’est pas sans rappeler un certain Matthew McConaughey. La technique de l’homme mystérieux qui marmonne son texte d’un air placide ne date pas de ces deux-là évidemment. Au cinéma, l’un des meilleurs acteurs ever, Marlon Brando, s’en servait allègrement. Dans le monde des séries, on trouve quelques exemples épars justifiés par les rôles : Kiefer Sutherland, qui marche sur les traces de son papa Donald en termes de marmonnage, a façonné ainsi son mythique personnage de Jack Bauer dans 24 heures chrono. Tout comme l’irrésistible Alec Baldwin dans 30 Rock.

Mais depuis le succès de True Detective et l’ère des séries câblées cinématographiques (entendez avec une réalisation aussi soignée qu’au cinoche), l’art du mumbling s’est emparé du monde des séries aussi sûrement que la lumière s’est éteinte sur bien des shows (les prod Marvel/Netflix, Game of Thrones entre autres mais aussi encore Taboo !), sombres dans tous les sens du terme. Le style McConaughey a fait des petits, en particulier du côtés des dramas britanniques. David Tennant dans Broadchurch ou John Wadsworth dans Happy Valley sont deux exemples souvent cités par les spectateurs pour se plaindre sur les réseaux sociaux de cette ère du marmonnage en série, qui va finir par nous rendre sourds à force d’augmenter le volume de nos télés.

L’autre genre à souffrir particulièrement de cette marmonisation du monde, ce sont les dramédies, qui ont pris pour modèle les films du ciné indé US. On pense à Girls (Adam Driver et son phrasé particulier) ou Transparent quand les bruits ambiants dans le show couvrent les dialogues des personnages, le tout sous couvert d’une quête de réalisme un peu vaine (si on n’entend pas les dialogues d’une scène, c’est quand même ballot) sur ce coup-là.

Mumbling is the new sexy

Quand les acteurs ne cachent pas leur paresse derrière ce tic, on n’y voit pas d’inconvénients. David Tennant est un acteur génial, qu’il marmonne son texte ou non. Et cette technique du “mumbling” illustre aussi l’évolution du métier d’acteur, qui fut un temps ultra-expressif avant de devenir plus intérieur en fonction de l’évolution de la société.

En revanche, Kit Harington en use et en abuse dans Game of Thrones. Grand bien lui fasse : il est devenu un sex-symbol grâce à Jon Snow, probablement le personnage le plus fadasse et binaire (il est gentil, il veut se battre contre les méchants, c’est Frodon dans Le Seigneur des anneaux, moins le regard intense de Elijah Wood) de la série.

Aucune série câblée un peu dark ne peut se passer de son personnage marmonnant. The Walking Dead peut compter sur l’acteur Andrew Lincoln, aka le shérif Rick Grimes, pour avoir son quota de dialogues chewing-gum. Son BFF dans la série, Daryl Dixon, interprété par Norman Reedus, n’est pas non plus un gros fan de l’articulation. Mais ces deux-là compensent leurs jeux plutôt taiseux par un vrai travail d’acting sur le corps. On peut dire qu’il en fait trop, mais Lincoln a par exemple joué l’effroi à fond depuis le début de la saison 7 et l’arrivée de sa nemesis Negan.

Revenons à notre hot guy du moment. De The Dark Night Rises à Peaky Blinders en passant par The Revenant, le jeu de Tom Hardy ne peut se passer de son marmonnage incompréhensible. Dans Taboo, qu’il envahit à chaque plan du haut de son chapeau haut de forme et de sa démarche de bonhomme, il frise carrément l’auto-parodie. Retirez-lui ses fringues et sa façon menaçante de parler dans sa barbe, que reste-t-il du personnage de James Delaney, figure d’anti-héros sexy désespérément artificiel ? Pas grand chose, mais c’est si simple pour un acteur de se donner des airs de mec torturé.

Et si injuste : prenez une actrice, l’histoire sera complètement différente. Elle pourra être sexy et mystérieuse, mais le marmonnage ne peut pas faire partie de sa palette : elle aura juste l’air ridicule et pas franchement futée. Le “mumbling” est un outil purement masculin, qui sert bien souvent à assoir la virilité masculine et à insinuer l’idée (fausse) d’une profondeur insaisissable pour nous, pauvres spectateurs mortels. Jusqu’à ce qu’il nous prouve le contraire, Tom Hardy n’est rien de plus dans Taboo que la version 2017 édulcorée du cow-boy américain à la Clint Eastwood. Et lui, au moins, avait de sacrées punchlines.