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Plaisir coupable : Spartacus ou la testostérone poussée à son comble

Plaisir coupable : Spartacus ou la testostérone poussée à son comble

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Par Adrien Delage

Publié le

Jamais autant d’insultes et de sang ne se sont déversés dans une arène romaine, le tout saupoudré de sexe, de trahisons et de twists à foison.

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Bien avant les pirates de Black Sails, les sorcières de Salem et les criminels de Power, la chaîne câblée Starz diffusait un drame historique qui avait fait sensation auprès des bandes de potes : Spartacus. Une série réservée à un public adulte dès ses débuts à cause d’un langage grossier, d’une violence graphique sanglante et de scènes de sexe torrides. Clairement, Spartacus fut un outsider dans le game des séries à l’époque où les antihéros comme Don Draper et Heisenberg étaient encore roi, où les séries policières noires comme Luther montaient en puissance, où les adaptations de comics commençaient tout juste à envahir le petit écran, The Walking Dead et Arrow en tête.

Au premier regard, Spartacus est une véritable série macho et androcentrique. Les séquences de sexe sont gratuites, les membres tranchés volent de toute part et les gladiateurs s’affrontent pour savoir qui est le mâle dominant. Si l’intrigue est basée sur une époque (l’Empire romain) et des personnages historiques, il vaut mieux se tourner vers une bonne vieille encyclopédie pour une leçon d’histoire. Spartacus est un pur divertissement qui possède ses faiblesses, mais aussi d’insoupçonnables qualités, se révélant comme un show dopé à la testostérone à ne pas sous-estimer.

Blood and boobs

Il y a deux manières de regarder Spartacus. La première consiste à découvrir les quatre premiers épisodes, se dire que c’est une œuvre ridicule ponctuée de dialogues prétentieux, de scènes de batailles navrantes filmées en slow-motion par faute de budget et d’incohérences historiques flagrantes. La deuxième consiste à se laisser porter par cette intrigue musclée qui dévoile une vaste palette de personnages, des séquences extrêmement gores et, au final, à la vivre comme une expérience décomplexée et divertissante.

Très clairement, Spartacus emprunte plus au style de 300 qu’à la série de HBO Rome (qui se basait elle sur un budget effarant), rappelant dans la plupart de ses scènes épiques des passages du Gladiator de Ridley Scott. Il faut dire qu’en 2010, date de lancement de Spartacus, les œuvres sur l’ère de la République romaine n’étaient pas légion (lol).

La série suit un petit groupe de combattants trahis par son propre peuple, les Romains, et d’un guerrier de Thrace appelé Spartacus. Arraché à la femme de sa vie, il est vendu au Quintus Lentulus Batiatus qui l’enferme dans son arène de gladiateurs pour en faire un guerrier puissant et rentable. Débute alors le périple de Spartacus, qui se battra contre vents et marées pour libérer son peuple et fomenter une révolte contre les Romains.

Le show de Starz est puissant, sanglant, téméraire, lance des vannes sous la ceinture et multiplie les twists mélodramatiques au fil de ses trois saisons (plus une mini-série en 2011 en forme de prequel au personnage de Gannicus). L’intrigue mélange habilement rebondissements dramatiques, combats violents et nudité gratuite, voire choquante quand il s’agit d’un viol, si bien qu’on ne s’ennuie jamais. C’est une série relativement bien écrite, comptant dans ses rangs des acteurs peu connus à l’époque (Manu Bennett, aka Crixus, est par exemple devenu le Deathstroke d’Arrow), aux muscles saillants et au jeu efficace.

La production a dû faire face à un terrible événement en 2011 quand Andy Whitfield, l’interprète de Spartacus, est décédé d’un cancer à l’âge de 39 ans. Dans un premier temps, l’équipe de la série avait reporté le tournage de la saison 2 pour que l’acteur puisse récupérer. Malheureusement, sa maladie a empiré et il a donné son accord pour qu’un nouveau comédien le remplace. Liam McIntyre (La Légende d’Hercule) relèvera le défi avec brio même si les fans regretteront le physique parfait d’Andy Whitfield pour incarner ce gladiateur légendaire, un véritable “beau et jeune guerrier” selon sa femme.

Une œuvre divertissante mais loin d’être idiote

Spartacus est née des mains de Steve S. DeKnight (Marvel’s Daredevil). Pour l’anecdote, le scénariste avait pour mentor un maître sériephile en la personne de Joss Whedon. Le créateur de Buffy a tout appris à son élève, si bien que Steve S. DeKnight appliquait ses bonnes recettes à la lettre.

Aujourd’hui, nous parlons encore de cette petite blonde svelte qui bottait sévèrement le cul des démons. Certes, pour le féminisme que la série prône, mais aussi pour ses monstres qui avaient une véritable personnalité. Ils étaient stylés, intelligents et même parfois empathiques. À travers le Scooby Gang, Joss Whedon explorait des thématiques universelles comme la loyauté, l’amitié, la maturité et le dépassement de soi.

Des sujets qui ont fait hurler de joie ou pleurer les fans de Buffy, et qui se retrouvent dans Spartacus. De la même manière, la série de Steve S. DeKnight défendait ces thématiques difficiles mais essentielles à transmettre à travers une œuvre divertissante. Derrière le sang et le sexe, Spartacus avait beaucoup à dire de l’exploitation, de l’oppression, de l’altruisme, de l’exclusion et de l’avidité. Autrement dit, des fondements de la société qui sont plus que jamais remis en cause à notre époque où l’extrémisme monte de toute part.

Disons-le franchement, tous les fans de séries d’action ont une inconsciente fascination morbide et perverse pour les décapitations et les orgies (coucou Sense8). À travers cette violence graphique et cette nudité extravagante, les scénaristes de Spartacus proposaient une analyse sur la possession et l’esclavagisme, autant corporels que mentaux.

Dans la série, l’asservissement affecte autant les esclaves que leurs maîtres et l’équipe de Steven S. DeKnight le suggère comme un poison qui se transmet. La vie de servitude des gladiateurs soumet l’idée que l’oppression et l’exclusion d’une certaine partie de la population fragilisent le système politique et la société. Car ceux qui sont exploités finiront par se révolter, amenant guerres, pertes économiques et remise en question complète de l’autorité.

Autre point fort, Spartacus avait beau faire l’apologie des hommes, les scénaristes n’en oubliaient pas moins ses personnages féminins, badass ou manipulateurs. Tout comme Marc Cherry l’avait fait avec Desperate Housewives, les femmes de Spartacus sont tout à fait capables d’être aussi perfides et colériques que les hommes. D’ailleurs, les mâles finissent autant à poil que les femmes à l’écran, si ce n’est plus quand il s’agit de faire parler les biceps.

Qu’elles soient au lit ou sur le champ de bataille, Lucretia, Ilithyia, Naevia et les autres avaient du pouvoir dans la série même si les mœurs de l’époque ne jouaient pas en leur faveur. C’est un trope scénaristique que l’on retrouve plus que jamais aujourd’hui, avec des personnages comme Lagertha dans Vikings ou Cersei dans Game of Thrones. Des héroïnes qui ne se laissent finalement jamais traiter comme des objets et qui s’amusent à semer le doute dans la tête et le cœur de leurs prétendants.

Dans une ère de Peak TVles séries d’action mauvaises et nauséabondes se multiplient, on se rend compte que Spartacus était un vrai bol d’air, qu’elle avait une âme plus que des muscles. Le show n’avait pas besoin de zombies, de capes, de dragons, d’une surenchère constante d’effets spéciaux pour être spectaculaire et satisfaire une audience désormais très (trop ?) exigeante. Alors chers scénaristes, un petit conseil, remballez toutes vos merdes de reboot/remake/sequel/prequel, et rendez-nous du Spartacus. Redonnez-nous des incrustations sur fonds verts dégueulasses, des giclures de sang exagérées à la Tarantino, des personnages sexualisés, malins et hauts en couleur. Offrez-nous une série qui sait couper des têtes et faire vibrer notre aorte par la même occasion.

Les quatre saisons de Spartacus sont disponibles en intégralité sur Netflix.