Pose dépeint le New York underground des 80’s comme on ne l’a (presque) jamais vu

Pose dépeint le New York underground des 80’s comme on ne l’a (presque) jamais vu

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Par Florian Ques

Publié le

Avec son dernier bébé, Ryan Murphy entreprend une exploration cathartique de la scène LGBTQ+ des années 1980. Le tout, avec du glam et beaucoup de paillettes.

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Pour beaucoup, la notion de ball culture (“culture du bal”, si l’on devait maladroitement traduire l’expression dans la langue de Molière) n’est pas évocatrice de grand-chose. Grâce à l’ambitieuse et scintillante Pose, sa dernière production pour la chaîne FX, Ryan Murphy compte remettre les pendules à l’heure et donner une leçon méritée de jargon queer au public américain. Ici, pas d’ados pubères qui kiffent donner de la voix (Glee) ou de monstres sanguinaires (American Horror Story), le showrunner phare de la sphère hollywoodienne jette son dévolu sur le New York des 80’s.

En théorie, les fervent·e·s téléspectateurs·trice·s de RuPaul’s Drag Race ne devraient pas être trop déboussolé·e·s par cette immersion dans la ball culture. Puisque, vous vous en doutez, c’est cette même sous-culture propre à la communauté LGBTQ+ qui a donné naissance à des termes comme “fierce”, “shade”, “okurr” ou encore le fameux “yas”. La ball culture représentait surtout l’occasion pour les marginaux de la société, personnes trans ou homosexuel·e·s de couleur essentiellement, de se regrouper pour se livrer à des compétitions enflammées. Défiler, danser, vêtus de costumes opulents et en arborant une attitude de vraie queen : voilà le programme.

Avant toute chose, Pose nous ouvre les portes de cette culture résolument queer via les destins croisés de plusieurs personnages. Il y a d’abord Blanca, femme trans déjà bien ancrée dans la ball culture, qui décide de fonder sa propre famille d’outsiders afin de donner du sens à sa vie après avoir appris sa séropositivité. C’est ainsi qu’on en vient à Damon, sa première recrue, un jeune danseur gay mis dehors par ses parents conservateurs après son coming out. On rencontre également Angel, une jeune prostituée trans qui s’accroche au rêve américain et s’éprend de Stan, un businessman marié qui questionne sa sexualité.

Alors que les séries communautaires comme Queer as Folk ou encore The L Word se faisaient rares (la dernière marquante en date reste Looking, enterrée en 2016), Pose vient rectifier le tir. Avec son pilote king size, la série fait honneur aux minorités du spectre LGBTQ+, présentant tout un éventail de protagonistes aux identités sexuelles et de genre bien diversifiées. Si l’époque dépeinte n’est pas forcément la plus progressiste, le show l’est beaucoup plus tant ses personnages sont traités avec bienveillance.

Déjà avant son lancement, Pose faisait parler d’elle pour avoir enrôlé cinq actrices transgenres dans des rôles majeurs. On peut désormais les voir à l’œuvre et applaudir Ryan Murphy et son équipe pour ce casting aussi symbolique que réussi : MJ Rodriguez insuffle une dose nécessaire de fraîcheur sous les traits de Blanca, tandis qu’Indya Moore est comme un poisson dans l’eau dans la peau de la bouleversante Angel. Habituées à n’être que des quotas dans des séries grand public, les femmes trans de Pose ont ici l’opportunité de prêter leurs traits à des personnages creusés et multidimensionnels. Il était temps.

Bien évidemment, comme dans la vraie vie, les mâles blancs cisgenres sont aussi au rendez-vous. Entraîné aux rôles de psychopathes en puissance, Evan Peters dévoile une autre facette, plus sensible, de son jeu et personnifie à lui seul la complexité de son époque, tiraillé entre la rigueur anxiogène de la société capitaliste et un besoin inassouvi de liberté. Le mélange de tous ces personnages aurait pu être détonant et, en soi, il l’est. Mais il est aussi homogène tant ce petit monde de Pose se déploie de manière naturelle et sensée. Chaque pion de cet échiquier bling-bling a sa place, des principaux aux plus secondaires.

Si l’on a tendance à être sérieusement lassé des épisodes sériels à la durée d’un long-métrage, Pose nous ferait presque changer d’avis. L’univers de la ball culture à lui seul, composé de décors tape-à-l’œil et de costumes extravagants à faire pâlir Lady Gaga, est suffisant pour nous donner envie de voir (et revoir) Pose. Plus qu’une série mélodramatique légèrement poussive (les scènes de confrontations peuvent être too much, mais on adhère), le dernier produit made in Ryan Murphy est une leçon d’histoire queer qui mérite autant d’être racontée qu’entendue.

Pose est diffusée depuis le 3 juin sur FX outre-Atlantique, et sur Canal+ Séries en France.