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Rachel Bloom a décrypté pour nous les chansons de Crazy Ex-Girlfriend

Rachel Bloom a décrypté pour nous les chansons de Crazy Ex-Girlfriend

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Par Delphine Rivet

Publié le

Pour fêter le lancement, le 23 avril sur Téva, de la follement drôle Crazy Ex-Girlfriend, nous avons rencontré sa star et cocréatrice : Rachel Bloom.

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C’était l’une des curiosités de la rentrée US 2015. Crazy Ex-Girlfriend, créée par Rachel Bloom et Aline Brosh McKenna, aurait dû se retrouver sur une chaîne câblée. Mais finalement, après avoir commandé un pilote, Showtime a passé son tour. La comédie musicale subversive et drôlissime s’est alors retrouvée sur la CW, qui en a depuis diffusé deux saisons, et commandé une troisième. Un pari un peu fou, mais dont l’audace a rapidement porté ses fruits : en 2016, l’anti-romcom a remporté un Golden Globe (meilleure actrice dans une série comique ou musicale pour Rachel Bloom), un Critics’ Choice Award (meilleur actrice dans une comédie) et un Gotham Independent Film Award (meilleure série).

C’est désormais en France qu’elle s’apprête à faire son trou, plus précisément sur Téva, qui diffuse Crazy Ex-Girlfriend depuis le 23 avril, tous les dimanches soir à 20 h 45. Pour l’occasion, on a rencontré Rachel Bloom, sa cocréatrice et l’interprète principale de Rebecca Bunch. Après un Drama Quiz déjanté, elle s’est prêtée au jeu du décryptage des chansons de Crazy Ex-Girlfriend.

“The Sexy Getting Ready Song”

Rachel Bloom | Pour le pilote de la CW, on a conservé environ 85 % de ce qui était déjà dans celui de Showtime. On avait besoin d’une autre chanson pour la série, parce qu’on avait déjà le grand numéro sur West Covina. Et Aline, ma cocréatrice, m’a fait remarquer qu’il y avait quelque chose à exploiter dans sa préparation avant ce qu’elle imagine être un rendez-vous avec Josh. C’est un peu le sommet émotionnel de l’épisode, c’est l’instant où elle est la plus heureuse, où elle a le plus d’espoir. Et je lui ai dit qu’il y avait quelque chose de terrifiant dans le fait de se préparer pour un rencard, surtout la façon dont Rebecca le fait. Et ça nous est venu comme ça. Les paroles sont plutôt conventionnelles pour ce genre, “fluffin’ and flouncin’”, et la comédie vient du contraste entre ces paroles et les images. Faire confiance à cette mécanique, ça, c’était un vrai challenge.

BIIINGE | Et ça donne le ton de toute la série, car, déjà, ça casse les codes de la comédie romantique.

Oui, exactement ! On explore la laideur qui se cache sous la beauté.

Tu as eu des retours sur cette chanson ? Parce que c’était sacrément gonflé de proposer ça, en particulier sur la CW.

Oui, on a eu beaucoup de retours. Les gens étaient d’abord déconcertés parce que c’est une série qui a plus une sensibilité de série “pointue”, comme on s’y attend normalement sur le câble – je n’aime pas trop ce terme, “pointue”, mais bref. Donc les gens ont pris les prémisses du show au premier degré : “Je suis l’ex-petite amie tarée !” Ils n’ont pas réalisé que ce serait subversif et super féministe dans ce sens. Donc je crois que ça a pris les critiques par surprise, ils ne savaient pas trop sur quel pied danser. Ça a pris un peu de temps, pour que les gens comprennent la série.

“Sexy French Depression”

Depuis un moment, on s’interrogeait pas mal sur ce que ça signifie d’être “cool”. Parfois quand les gens sont cool, il y a cette sorte de langueur, une forme d’apathie paresseuse. On voit beaucoup les ados faire ça [elle soupire] : “La vie ne rime à rien, whatever.” Il y a une sorte d’attitude cool, sans effort. Alors que moi, quand je suis triste, il n’y a rien de cool là-dedans. Je mange beaucoup de gâteaux, je sens mauvais… ce n’est ni cool, ni beau. Mais je crois aussi que l’on fétichise les femmes déprimées. On est fascinés par Marilyn Monroe, par l’idée même de ces femmes lascives, déprimées et vulnérables. Et ça, ça me passionne ! Pourquoi la tristesse nous paraît sexy ?

Donc on a réfléchi au genre musical le plus approprié et l’idée m’est venue en me remémorant les cours de français que je prenais à l’école. J’ai voulu apprendre cette langue parce que dès que j’essaye de la parler [elle se met soudain à prendre l’accent français], mes yeux se ferment à moitié et j’ai envie de fumer une cigarette. Il y a quelque chose de l’ordre de l’aspiration et un détachement quand on se met dans la peau de cette Française et qui est à l’opposé de ce que je suis. Parce que dans tout ce que je fais, il y a beaucoup d’enthousiasme ! Beaucoup d’efforts ! Alors que l’esthétique française, telle qu’on l’imagine, c’est comme flotter sur l’eau. Donc c’était le genre parfait pour ça, parce que quand tu penses “French depression”, tu imagines quelque chose de très élégant, donc le contraire absolu d’une vraie dépression.

Qu’est-ce qui empêche Rebecca d’être heureuse ? De toute évidence, ce ne sont pas les hommes…

Je pense qu’elle a peur de faire ce travail introspectif et de creuser profond. Parce que quand tu fais ça, tu fais remonter un paquet de merdes à la surface, et beaucoup de gens ne veulent pas être confrontés à ça, c’est terrifiant. Moi-même, je suis allée chez un psy, j’ai fait une thérapie, et quand tu fais ça, c’est douloureux, et tu dois faire face à toutes ces fois où tu t’es menti à toi-même. On passe beaucoup de temps de nos vies à tenter de se distraire, de détourner notre attention de tout ce qui se produit au fond de nous. Et toute la série tourne autour de cette personne qui passe son temps à chercher l’amour, à s’imaginer dans des clips vidéo, des façons de s’échapper, pour ne pas affronter ce qu’il se passe à l’intérieur. C’est ça qui l’empêche d’être heureuse : sa peur d’elle-même.

“I’m the Villain in My Own Story”

Cette chanson, c’est le moment où Rebecca réalise qui elle est au fond : elle n’est pas une héroïne. Dirais-tu qu’elle est une antihéroïne ?

Ça dépend des épisodes, honnêtement. Mais ce qui est intéressant, c’est que notre identité se nourrit des histoires que nous nous racontons à nous-même sur nos vies. Et quand Rebecca se dit à elle-même : “Je suis une bonne personne”, c’est en fait là qu’elle est la pire. À l’inverse, quand elle pense : “Je ne suis qu’une merde”, c’est en fait là qu’elle est la meilleure version d’elle-même, la plus humble. Donc cette chanson fait ressortir l’un des moments les plus compatissants du show. Parce que cette série se place dans un contexte de tropes établis, la comédie romantique, la comédie musicale, et Rebecca se voit dans ces différents rôles. Elle se dit : “Quel rôle je joue ? L’ingénue, la meilleure amie, la vamp, le bébé ?”

Le vrai bonheur, c’est de savoir qui tu es et de réaliser que tu n’entres dans aucune de ces cases. Mais elle ne sait pas qui elle est au fond, donc elle adopte ces différentes personnalités. Avec Aline, sur la série, on se demande régulièrement : quelle histoire vit Rebecca, mais surtout, quelle histoire croit-elle vivre ? Tout tourne autour de ces questions. Et les saisons changent de thème : la première, c’est le déni. Elle se ment à elle-même : “Je suis à West Covina par hasard.” Et dans la deuxième saison, sans spoiler, on est dans quelque chose de différent. Et ce sera le cas pour la troisième également.

“You Stupid Bitch”

C’était vraiment terrifiant pour moi d’écrire les paroles de cette chanson. Je ne savais pas si les gens pourraient s’identifier. C’est très fort émotionnellement parlant. C’est autant une façon de se faire du bien que de se flageller.

“Love Kernels”

Voilà un bel hommage au Lemonade de Beyoncé. Comment est venue l’idée d’en faire une parodie ?

C’est de plus en plus compliqué de faire des pastiches de pop, parce que celles-ci deviennent de plus en plus des entités à part entière, on en fait des clips qui sont des œuvres d’art. Donc on voulait un peu parodier ce côté “arty”. Si on prend quelque chose comme Lemonade – qui d’un point de vue dramatique a beaucoup en commun avec notre série – et l’aspect grandiose de ces thèmes, comme l’amour et l’obsession, la comédie naît des détails : “Tu m’as envoyé un texto à 3 h du mat'”, ou parler du film Kazaam. C’est le contraste des références entre le haut du panier et le bas du panier. Mais c’était vraiment drôle à faire, parce que pour nous c’était l’occasion, pour la première fois, de créer notre propre genre et symbolisme. On nous a dit qu’on pouvait tourner dans le désert, alors j’ai dit : “Parfait ! La sécheresse, partons sur ce thème, et la soif…” Ça nous a permis de faire notre clip musical, tout en restant comique.

“Period Sex”

Il faut préciser que celle-ci n’a finalement pas été diffusée à l’antenne. Tu peux nous expliquer ce qui a posé problème ?

Il existe une censure assez stricte aux États-Unis. On est diffusé sur un network, ce qui signifie que c’est gratuit, mais le gouvernement à un droit de regard via la FCC, laquelle donne certaines directives. Et en gros, si tu es un network et que tu te fais condamner par la FCC, tu dois payer quelque chose comme un demi-million de dollars. Donc avec les Standards and Practices [chaque network a un service dédié au bon respect des règles de la FCC, ndlr], on essaye toujours de tâter le terrain pour voir jusqu’où on peut aller. La FCC interdit par exemple des représentations sexuelles trop graphiques. Donc pour cette chanson, même si on ne dit pas littéralement “du sang sort de mon vagin”, l’image mentale est toujours trop graphique. Donc on n’a pas pu contourner le problème.

Dans un monde idéal, elle aurait fait partie de l’épisode. J’ai beaucoup appris en essayant de contourner les règles des Standards and Practices, et on s’en tire même plutôt pas mal avec cette série, on parvient à imposer pas mal d’idées parce qu’on a une bonne relation avec eux. Si ça ne tenait qu’à moi, et même à la CW, le censure serait de l’histoire ancienne. Et vous savez, c’est une femme qui est à la tête des Standards and Practices du network !

La moitié de la population mondiale a ses règles tous les mois ! Il y a un livre de Kurt Vonnegut qui s’intitule Slaughterhouse 5 [Abattoir 5 ou la croisade des enfants en VF, ndlr]. Il y parle d’un animal appelé “beaver” [un castor en VF, ndlr], qui s’avère être aussi un terme d’argot pour décrire le vagin. Plus de la moitié des gens sur Terre ont un vagin. Le castor, lui, est plutôt rare. Pourtant, vous ne pouvez pas montrer une photo en public de cette chose qu’environ 50 % des gens possèdent, mais vous pouvez montrer une photo de l’animal rare. Donc quand on commence à déconstruire ce genre d’idées, cette censure commence à s’effriter. Et vous savez, les États-Unis sont très religieux, on est puritains. On est des extrémistes religieux trop extrêmes pour l’Europe ! Mais la CW nous soutient à 100 %, on a une liberté créative quasi absolue. C’est génial.

“The Math of Love Triangles”

C’est l’une des chansons que j’ai préféré écrire. On cherchait une chanson pour l’épisode et, il y a des années, j’étais moi-même dans un triangle amoureux. Et le sentiment qui prédomine, c’est que c’est très flatteur. On joue les ingénues, c’est très Marilyn Monroe. Donc, la première couche de cette chanson, c’est ça : Marilyn Monroe, le triangle amoureux et le sentiment flatteur qu’on en retire. Ensuite, on ajoute les jeux de mots sur la trigonométrie autour de ce thème très “poupoupidou”. Et comment on remet une couche de comédie par-dessus ? Comment on fait sentir au public qu’il est plus malin que les blagues ? La réponse, c’est d’ajouter une chorale d’hommes qui essaye de lui enseigner les maths. C’était tellement fun à écrire et de parodier ce genre de la fille “ouh, je suis si bête”. C’est vraiment une chanson drôle, et elle a beaucoup de niveaux de lecture. Je suis très fière de cette chanson !

Générique de la saison 2

Je ne peux pas terminer cette interview sans te demander : c’est quoi cette pause gênante à la fin ?

Donc on était en train de filmer et je passe ma tête à travers ce grand morceau de papier. Le “BLAM !” n’était pas écrit. À la base, je devais juste passer la tête et c’est tout. Mais quand on a commencé à tourner, je me suis mise à faire “BLAM !”, et tout le monde trouvait ça cool, c’était marrant à faire. Le réalisateur, Mark Webb [500 jours ensemble, The Amazing Spider-Man, ndlr], trouvait ça si drôle que, pour une prise, il m’a fait garder la pause pendant une durée absurde. Et ensuite, au montage – je crois bien que c’était l’idée d’Aline – on s’est dit : “Faisons durer le truc de façon bien gênante.” Parce que c’est tellement un classique du numéro de comédie musicale de terminer sur un “HA !” Donc notre version de ça, c’est devenu “HA !” [elle se fige et garde la pause]. À chaque fois, on prend un genre et on le brandit tellement fort que ça en devient inconfortable.