Il faut qu’on parle du reboot de Buffy contre les vampires

Il faut qu’on parle du reboot de Buffy contre les vampires

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Par Marion Olité

Publié le

“If the apocalypse comes, beep me.”

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L’idée un peu dingue (on parle d’un chef-d’œuvre étudié dans les universités) d’un reboot de Buffy contre les vampires ne vient pas de nulle part. Elle avait déjà été évoquée il y a 4 mois par le boss de la Fox, Gary Newman, qui préparait en fait gentiment le terrain d’une annonce officielle, survenue ce week-end lors de la Comic-Con de San Diego. Je devais donc m’y attendre, mais non. Pour l’enfant des nineties biberonnée à la trilogie du samedi soir que je suis, ce potentiel remake, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase des séries réadaptées ad nauseam.

Buffy n’est ni la première ni la dernière série à subir une tentative de ce genre dans cette industrie. Ces dernières années, cette tendance venue du cinéma a battu son plein. Une marque bien installée rassure toujours davantage les investisseurs qu’un concept novateur, plus difficile à vendre. Dans cette logique mercantile, 20th Century Fox Television, le studio qui détient les droits de la marque Buffy, mise depuis quelque temps sur la résurrection de vieux hits, installés dans la pop culture américaine et l’inconscient populaire.

La firme a ainsi fait renaître de leurs cendres 24 heures chrono, X-Files et Prison Break, séries que l’on a tous et toutes oubliées ou à peine regardées. Ajoutons au passage que sa filiale network, la chaîne Fox, est celle qui a coulé Firefly et Dollhouse, deux précédentes séries signées Joss Whedon (pilotes retournés, épisodes mal diffusés… les fans du whedonverse ont de la mémoire). Nous voilà donc assez peu rassuré·e·s sur la future qualité de ce reboot.

Le tableau n’est pas pour autant tout noir ou tout blanc : le projet a bien la bénédiction de Joss Whedon, qui en sera l’un des producteurs exécutifs. Il planchera avec la showrunneuse Monica Owusu-Breen sur le script du pilote. D’un côté, on peut se demander pourquoi il n’a pas pris les commandes d’un tel projet, mais de l’autre, confier les rênes d’une série centrée sur une Tueuse afro-américaine à une femme noire est une très bonne idée.

Faire renaître sur un écran la si riche mythologie des Tueuses, qui a déjà donné sept saisons, un spin-off, Angel et plusieurs séries de comics a de quoi exciter toute la fanbase de Buffy et permettre de l’élargir à un public plus jeune, qui n’a pas eu la chance de grandir avec le Scooby-gang (je vous plains, chers millennials). Si en plus on conserve le fond progressif et l’humour irrésistible qui ont fait la marque de fabrique de Buffy en allant vers davantage de diversité, de quoi se plaint-on exactement ?

Reboot or not reboot, telle est la question

Ce que les fans ne digèrent pas c’est que, pour le moment, le projet est décrit comme un reboot. Le mot de la discorde. Ce terme galvaudé, parfois utilisé par les médias américains pour désigner ce qui deviendra des prequel, spin-off ou sequel, veut dire “recommencer à zéro”. Il est emprunté au jargon informatique. Le reboot, c’est un peu le nouveau remake, avec plus de libertés créatives. Par exemple, le reboot de Charmed a repris le concept de trois sœurs dotées de pouvoirs magiques ainsi qu’une partie de sa mythologie (le Livre des ombres, tout ça tout ça), sans qu’il ne s’agisse des sœurs Halliwell.

Pour en revenir à notre Tueuse préférée, on ne sait pas, à l’heure actuelle, si ce terme de reboot est à prendre au pied de la lettre ou non. Et c’est bien ce qui rend tout le monde dingue. La description du projet reste vague : Deadline parle d’une série contemporaine (pas de prequel, a priori), qui va “se construire sur la mythologie de l’originale”. Pris stricto sensu, reboot voudrait dire qu’au lieu d’imaginer une nouvelle histoire qui suivrait par exemple l’une des Tueuses après la fin de la saison 7 (où Buffy partageait son pouvoir avec toutes les “Potentielles”), ou explorerait l’un des personnages nés dans les comics (sky is the limit !), on rejouerait la même histoire avec d’autres interprètes. Sacrilège !

Il est trop tôt pour réinventer l’histoire de Buffy avec de l’ambition et en espérant qu’elle aura un impact au moins aussi fort que la première série, 15 années à peine s’étant écoulées depuis l’explosion de Sunnydale et cette fin parfaite. Trop de trentenaires énervés, de souvenirs d’ados. Dans le cœur de nombreux fans, Sarah Michelle Gellar est Buffy pour l’éternité. L’idée que l’on recrute une nouvelle actrice pour incarner la Tueuse leur est insupportable.

D’autant que si l’option remake de la série originale est celle retenue, le personnage principal ne peut être que Buffy, la mythologie du début de la série expliquant le postulat de départ par un message limpide : “In every generation there is a chosen one. She alone will stand against the vampires the demons and the forces of darkness. She is the slayer.” À moins que Joss Whedon n’accepte de complètement retourner la mythologie qu’il a créée. Et prenne le risque de se mettre à dos une grosse partie de fans puristes qui sont aussi ceux qui gardent Buffy en vie depuis 15 ans et achètent comics et produits dérivés.

Et puis, soyons réalistes : on a plus de chances de croiser un vampire dans une ruelle sombre de Paris que de faire un remake sériel meilleur que l’original. Il y a bien UNE licorne : Battlestar Galactica. Ronald D. Moore avait repris les ingrédients d’une série kitsch de la fin des années 1970 pour la réinventer. Mais entre la fin de l’originale et son reboot, plus de 25 ans s’étaient écoulés.

Obviously, Joss Whedon sait tout ça. Après Angel et la fin de sa série mère, il a déjà pitché dans sa carrière nombre de séries dérivées. Les rumeurs d’un show centré sur Faith (incarnée par Eliza Dushku) avaient notamment fleuri. Il a sans doute fait face à la frilosité des chaînes et de 20th Century Fox Television, qu’on imagine partante pour un remake et rien d’autre. Pas fou, le papa des Tueuses n’est donc pas le showrunner de ce remake. Et en même temps, comment lui en vouloir de confier les rênes de cette nouvelle série à une femme noire, qui va pouvoir raconter l’histoire d’une femme noire ?

Racebending

Les réactions outrées des fans, notamment sur Twitter, rappellent celles entourant le retour aux affaires de Charmed. Certes, l’effet “pas touche à la trilogie du samedi soir” fonctionne à plein régime. Mais, à chaque fois, les reboots mettent en avant leur volonté de diversité, et ça clashe. Charmed a misé sur un casting plus jeune et diversifié que l’original, que ce soit en termes d’origines ou d’orientation sexuelle. Roswell a fait de sa nouvelle Liz une vingtenaire d’origine mexicaine.

Le reboot de Buffy vient s’inscrire dans cette lignée, avec la volonté de centrer la série sur une Tueuse afro-américaine. Impossible de savoir s’il s’agira d’une autre Tueuse ou de la réinvention du personnage. Mais dans la tête de beaucoup de fans, enflammés sur Twitter, la deuxième option l’a déjà emporté.

La violence du rejet relève aussi d’un racisme intériorisé, qui ne dit pas son nom. Plusieurs Twittos crient au “blackwashing”, terme impropre qui se voudrait symétrique au terme de “whitewashing”, celui-là désignant toutes les fois où des acteurs et actrices caucasiennes ont été casté·e·s dans des rôles où les origines non-caucasiennes du personnage étaient explicitement décrites.

L’inverse, qui se pratique au cinéma et dans les séries depuis peu (un Achille noir dans la dernière adaptation de l’Illiade, une potentielle Buffy noire) relève du concept de “racebending”et non du “blackwashing”, la volonté ici étant de changer la donne et de fléchir une ligne (“bend” veut dire “courber”) jusqu’ici systématiquement favorable à la représentation de personnages blancs. C’est une façon de tendre vers une meilleure répartition des rôles, plus diversifiée, en attendant mieux.

Car, évidemment, le “racebending”, comme les reboots de films cultes avec un cast entièrement féminin (Ghostbusters, Ocean’s 8), est envisagé comme une étape un peu lourdingue ou un accompagnement vers une vraie bonne représentation de toutes les diversités, qui passe immanquablement par la création d’œuvres originales par les communautés en question. En ce qui concerne la représentation des personnes afro-américaines, on pense par exemple à Black Panther ou à Marvel’s Luke Cage.

Dans un monde idéal, Hollywood ne créerait que des œuvres originales qui donneraient enfin une voix aux communautés invisibilisées depuis toujours. Mais les studios pratiquant le reboot depuis plusieurs décennies maintenant, autant que ce business dans le business soit aussi profitable aux minorités. La franchise Harry Potter l’a bien compris : la version théâtrale d’Harry Potter et l’enfant maudit a casté une Hermione noire, avec la bénédiction de J.K. Rowling.

Si Buffy est rebootée de façon classique, en reprenant exactement la même histoire, serait-ce si horrible d’avoir un nouveau visage, noir, auquel les nouvelles générations, qui n’ont pas vu Buffy et ne regarderont pas une série esthétiquement datée, pourront s’identifier ? Je ne pense pas, même si, à cet instant, nous n’avons même pas assez d’infos pour savoir si la série va réellement effectuer un “racebending” sur le personnage.

Si la série surfe sur l’univers sans raconter la même histoire, notons que du point de vue de la mythologie originale, Joss Whedon a créé deux Tueuse afro-américaines. Kendra Young, présente dans trois épisodes de la saison 2, est rapidement tuée par Drusilla. Puis Nikki Wood, la mère du principal Wood (on apprend cette filiation en saison 7), est tuée par Spike dans l’épisode de la saison 5, “La Faille”. Le showrunner avait tenté d’amener de la diversité dans son show mais, à l’image de nombreuses séries progressistes des années 1990 comme Dawson ou Ally McBeal, cela a été fait de façon souvent maladroite et qui nous offenserait aujourd’hui.

Je me range évidemment du côté des tenanciers d’un faux reboot, qui nous proposerait d’étendre la mythologie existante et de suivre une nouvelle Tueuse, avec sa propre histoire à nous raconter, son humour, sa personnalité. On a une pensée d’avance pour l’actrice qui l’incarnera, et fera face à un fandom impitoyable doublé de trolls racistes, quelle que soit la qualité de la série. On lui souhaite bonne chance et, comme dirait James Marsters, aka Spike – qui a réagi à cette annonce de reboot avec beaucoup d’enthousiasme quand le silence de Sarah Michelle Gellar est assourdissant –, “don’t give up, not on yourself, not on the world”.