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Heathers veut être le nouveau Scream Queens (mais c’est mal barré)

Heathers veut être le nouveau Scream Queens (mais c’est mal barré)

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Par Marion Olité

Publié le

La nouvelle génération de bitches du lycée est là.

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Adaptation du film éponyme culte des années 1980, la version sérielle de Heathers reprend la même trame, à un (gros) twist près. Retour à Westerburg donc, lycée américain typique, basé dans la ville de Sherwood, en Ohio. Comme dans toutes les “high schools”, la hiérarchie au sein des élèves est palpable. En haut de la chaîne alimentaire, on retrouve une “Heather”, la queen de l’établissement, suivie de près par ses bras droits et ses “fans”.

Sauf que, 2018 oblige, le trio qui sème la terreur n’est plus composé de jeunes pestes blanches et minces. Les victimes sont devenues les bourreaux. Le pouvoir est détenu par les minorités en tous genres, autrefois mises au ban de la société. La “Heather” en cheffe, incarnée par l’excellente Melanie Field, est donc une égérie du mouvement body-posi qui torture les sportifs musclés pas woke. Elle est entourée d’une femme métisse aux préoccupations superficielles et d’un mec gender queer insupportable, qui aime beaucoup trop les bombers tropicaux. En gros, les hipsters ont érigé le politiquement correct en nouvelle dictature. Veronica, notre héroïne je-m’en-foutiste, la plus normale de la bande, est en revanche toujours une jeune femme blanche mince et mignonne, dernière émanation de la figure apparemment increvable de la girl next door. Le rebelle qui la motive à s’en prendre à Heather est aussi toujours un BG blanc, brun, aux tendances psychopathes.

Si en regardant le pilote – rendu disponible cette semaine –, vous avez pensé à Scream Queens, c’est normal. L’hystérique série de Ryan Murphy – aux deux saisons et puis s’en va – était un hommage assumé au film original. Les Chanel menées par Emma Roberts représentaient par exemple un clin d’œil évident aux Heathers des années 1980. Malheureusement, Scream Queens s’est complètement perdue en saison 2 dans ses arcs narratifs, tombant toujours plus dans le grotesque, là où le film avait un côté punk et subversif. En voyant débarquer officiellement une série dérivée, on se disait que l’esprit no future et slasher qui nous plaisait tant dans le matériel original allait peut-être ressusciter. Le premier épisode ne nous convainc pas que c’est le cas.

#Malaise

Il faut dire que son créateur, Jason A. Micallef, a dû être bien emmerdé au moment de se demander ce qui peut être subversif chez les ados en 2018. Le groupe des pestes blanches : déjà vu, déjà fait mille fois au ciné et en série, jusqu’à la nausée. Pourquoi donc ne pas imaginer un monde où les oppressé·e·s d’hier sont devenus les oppresseurs·euse·s d’aujourd’hui et se moquer de façon corrosive de tout ce qui entoure “le politiquement correct” ? Problème, ce terme est bien vague et regroupe un peu tout et n’importe quoi. Et justement, Heathers ne creuse pas du tout ces thématiques – en tout cas pas dans ce premier épisode – pour donner un minimum de contexte et ne pas devenir idéologiquement problématique. Du coup, volontairement ou pas, elle donne du grain à moudre à tous les male tears, les anti-LGBT et autres discussions de comptoir du genre “on peut plus rien dire ma bonne dame”. En gros, elle peut être considérée comme une série antiprogressiste.

En renversant le système oppressif façon miroir, la série donne l’impression de valider ce système de pensée d’une simplicité crasse. On aimerait beaucoup que ce soit aussi simple que ça, mais ça ne l’est pas. Dans la vraie vie, les minorités sexuelles ou culturelles ont gagné en visibilité, mais elles restent des moutons noirs dans les lycées, en témoigne une série comme 13 Reasons Why. Jason A. Micallef s’est déjà défendu sur ce point, dans une interview accordée à EW où il explique que, pour lui, les véritables méchantes de l’histoire ne sont pas les Heathers, mais J.D., comme dans le film. Selon lui également, les kids harcelés dans les années 1980 sont maintenant ceux et celles qui ont le pouvoir dans les lycées américains. Mouais. On se demande si le scénariste s’est effectivement déplacé dans un collège pour se rendre compte de la réalité. Vous allez me dire qu’il ne s’agit que d’une série, qu’il n’y a pas besoin de surintellectualiser tout ça. Le showrunner se défend en citant la vraie vie et sa série s’adresse à des adolescent·e·s. Donc si. On a besoin de réfléchir au discours qui se cache derrière ce show.

D’ailleurs, Ryan Murphy, le roi du too much, nous a livré quelques séries ados comme Glee ou Scream Queens, qui repoussaient les limites du politiquement correct sans idéologie néfaste derrière. Par quelle magie ? En rendant tout le monde débile, sans distinction. Et le showrunner, qui ne cache pas son homosexualité, a toujours été sensible aux minorités. On peut ainsi voir des personnages handicapés, chose rare dans des séries adolescentes, qui ne sont pas définis par leur invalidité.

Dommage sur le fond donc, vraiment, car sur la forme, Heathers est assez stylée. On sent que l’équipe créative est allée faire un tour du côté de Riverdale pour établir sa photographie. Les néons bleu, vert, rose sont partout. L’ambiance, délétère, est assez séduisante et rappelle pour le coup celle du film. Quelque chose peut exploser à tout moment, mais on ne sait pas où, quand et pourquoi. En revanche, nos deux antihéros·ïnes – Veronica et J.D., interprétés par Grace Victoria Cox et James Scully – restent exactement les mêmes dans l’esprit, en moins bien. La tâche de remplacer Christian Slater et Winona Ryder semblait de toute façon impossible d’avance.

On va poursuivre le visionnage de Heathers parce qu’on aime bien les clins d’œil au film (coucou les croquets et le petit caméo bien dark de Shannen Doherty, une des Heather du film original) et pour voir si, sur le fond, la série a autre chose à dire sur l’adolescence que sa peur de voir les marginaux d’hier prendre le pouvoir. L’avantage d’une série, c’est de pouvoir creuser ses personnages davantage qu’un film. Et au vu de la fin du pilote, qui ressuscite Heather, clairement le personnage le plus charismatique, il reste de l’espoir pour la suite.

La première saison de Heathers débute le 7 mars sur Paramount Network. En France, la série n’a pas encore de diffuseur.