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Skam brille par son approche intelligente de la religion musulmane

Skam brille par son approche intelligente de la religion musulmane

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Par Florian Ques

Publié le

En creusant le personnage de Sana, la norvégienne Skam réconcilie la sphère sérielle avec le hijab, dans une représentation aux antipodes des stéréotypes américains. Attention, spoilers.

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Entre quête identitaire et hormones en ébullition, l’âge ingrat est très loin d’être synonyme de quiétude. En plus de ces soucis de premier ordre, Sana Bakkoush doit composer avec les impératifs de sa croyance, l’islam. Jusqu’ici cantonné à un rôle périphérique, le personnage le plus badass de Skam s’octroie enfin la place qu’il mérite. C’est surtout l’occasion pour le hit scandinave de saisir à bras-le-corps une thématique rarement développée dans les séries pour ados : la religion musulmane.

Par le passé, une maigre poignée de teen dramas ont inclus des personnages portant fièrement le hijab. L’héroïne de l’import allemand Family Mix, diffusé en catimini sur les chaînes Canal à l’issue des années 2000, était forcée de partager son toit avec sa demi-sœur, une jeune turque voilée. Au fil de ses trois saisons, l’atypique Faking It s’est imposée comme un modèle de diversité, comptant parmi ses rangs une lycéenne arborant le hijab. Toujours en adéquation avec son temps, la canadienne Degrassi accueille en 2016 une élève à la fois musulmane pratiquante et féministe dévouée.

En surface, des efforts notables ont été faits dans la représentation de cette partie de la population. Malheureusement, ces avancées touchent davantage à la forme qu’au fond : les protagonistes évoquées ci-dessus sont reléguées au second plan et le rôle de leur foi dans leur vie quotidienne n’est finalement pas vraiment creusé. Par le biais de sa quatrième (et tristement dernière) flopée d’épisodes, Skam inverse la tendance et confirme son statut d’œuvre sensée et hyperréaliste.

Dès son épisode de retour, la série norvégienne se distingue largement des shows pour ados lambdas en montrant que l’islam est un mode de vie à part entière avant d’être un choix vestimentaire. Pour Sana, le port du hijab va de soi, tout comme l’accomplissement indéfectible de ses salâts, autrement dit les cinq prières islamiques journalières. Pendant que certaines filles prévoient une alarme pour ne pas zapper de prendre leur pilule contraceptive, Sana veille à en programmer une pour chacune de ses prières. Pas de place au doute, sa dévotion pour Allah est inébranlable. Et pourtant.

Comme toute fille de son âge, Sana est constamment exposée à la tentation et à cette curiosité de découvrir ce que le monde peut avoir à offrir. L’ambivalence entre religion et jeunesse est d’ailleurs explicitée lors du deuxième épisode, où elle tente de prier dans sa chambre mais est continuellement interrompue par le bip de Messenger que l’on connaît tous si bien. L’incompatibilité entre sa foi et les habitudes de ses copines athées (expériences sexuelles, soirées alcoolisées) se ressent ponctuellement et souligne la ténacité du personnage. Être musulmane implique de savoir faire des compromis, et Skam fait un job exemplaire pour mettre en lumière les efforts de Sana.

Fidèle à son modus operandi, la série introduit en saison 4 le personnage de Yousef, un pote du grand frère de Sana avec qui elle flirte subtilement. Elle se réjouit à l’idée d’avoir trouvé un garçon musulman, car, aux yeux de sa mère et du Coran, cela le place comme un potentiel mari. Le hic ? Yousef admet à Sana ne plus croire en Allah. Une fois la déception passée, les deux ados ont une conversation à cœur ouvert sur leurs perceptions contraires de la religion.

D’un côté, Yousef argumente que l’islam, comme tout dogme religieux selon lui, est une source d’anxiété pour les gens. A contrario de cette idée, Sana lui répond. Elle ne rétorque pas, elle n’entreprend pas de le faire changer d’opinion. Calmement, ses yeux pétillant, elle lui propose sa vision de l’islam. La religion l’aide à se recentrer et à voir le monde dans ses moindres détails, à décortiquer la réalité pour mieux l’appréhender. Alors, en un instant, Sana la flegmatique au visage impassible devient Sana l’insouciante et la passionnée.

Dans l’histoire de Skam, jamais il n’a été question pour Sana de “vendre” sa croyance à ses camarades athées. On peut d’ailleurs y voir une allusion subtile au fait que l’islam n’est traditionnellement pas une religion qui prône le prosélytisme. Lors d’une réunion afin d’organiser un événement scolaire, une élève soulève le fait qu’elle ne boive pas d’alcool et se demande si cela sous-entend que l’ensemble des filles devront faire de même. Ce à quoi répond Sana d’un ton apaisé et catégorique : “Je ne juge personne”.

Sans verser dans un plaidoyer explicite pro-islam, la série made in Norvège dresse un portrait sincère d’une ado tiraillée entre sa foi et ses hormones. La dichotomie entre l’insouciance de l’adolescence et la rigueur de la religion est mise en évidence d’une façon subtile et presque poétique. Il faut notamment saluer la prestation irréprochable de la jeune Iman Meskini, elle-même de confession musulmane IRL. Avec encore six épisodes à venir, Skam nous réserve à coup sûr de bonnes surprises.

La saison 4 de Skam est diffusée sur NRK en Norvège depuis le 14 avril dernier.