The Crossing ou le retour raté de la série high concept façon Lost

The Crossing ou le retour raté de la série high concept façon Lost

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Par Adrien Delage

Publié le

Le nouveau show événement d’ABC a des ambitions énormes mais une exécution peu prometteuse dans son pilote.

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Un œil s’ouvre, un souffle coupé se fait entendre. Une brise légère caresse les feuilles de hauts bambous alors que la musique inquiétante de Michael Giacchino siffle en fond sonore. Puis la caméra se retourne, et dézoome lentement, très lentement sur le corps de Jack, affolé, désemparé, confus au milieu d’une île mystérieuse. Lost a marqué des générations de spectateurs, si bien qu’un vent de panique (ou de désintérêt) s’abat sur tous les fans dès qu’un nouvel héritier est annoncé à grands moyens de phrases marketées dans les trailers.

En 2018, c’est The Crossing qui assume cette filiation avec un argument supplémentaire : la série est produite et diffusée par les studios et la chaîne ABC, eux-mêmes à l’origine de Lost au milieu des années 2000. Elle nous plonge dans un petit village côtier américain, où une centaine d’individus s’échouent sur la plage dans des circonstances inconnues. Alors que le shérif et la police du coin les pensent tous morts, la moitié des cadavres (47 précisément) va se relever et commencer à faire des révélations sibyllines, assurant venir du futur et être des réfugiés d’une guerre à venir…

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Plus que d’hériter de Lost, The Crossing suit une tendance sérielle de ces dernières années qui consiste à remettre au goût du jour le high concept à la télévision. Un terme qui englobe les œuvres à connotation fantastique voire fantasque, aux scénarios labyrinthiques, aux personnages indénombrables, en quête d’une réflexion philosophique si ce n’est métaphysique. De nos jours, on pense forcément à Westworld, The OA ou encore Sense8 quand on évoque cette catégorie, que The Crossing cherche à intégrer.

Au vu de son pitch, la série d’ABC s’inscrit dans la mouvance du high concept à la télévision. Elle coche même toutes les cases d’une intrigue lostienne : c’est une série chorale avec des disparus, un groupuscule derrière ces disparitions (DHARMA vs. APEX), des personnages qui répondent à des archétypes précis (le bad boy façon Sawyer, le leader à la Jack, la femme en quête d’identité type Kate) ou encore un rapport à l’eau très fort, qui sépare le monde réel de la dimension alternative (l’île pour les rescapés du vol Oceanic 815, le futur pour les réfugiés de The Crossing).

Mais en jouant le jeu d’une série culte, le show d’ABC se prend les pieds dans le tapis. Le pilote, intrigant et bien produit, notamment avec un effort visuel sur la photographie appréciable pour une production de network, n’a pas les moyens ni l’explosivité de Lost. On parle tout de même d’un épisode de lancement (certes découpé en deux parties à l’époque) où une scène de crash ultrastressante, un ours polaire et un monstre de fumée noire nous assaillent en pleine gueule dès le début.

The Crossing cultive bien moins le mystère que Lost, le pari audacieux de Damon Lindelof et J.J. Abrams, ou encore Les 4400, dont elle est la cousine éloignée. Les créateurs de la série, Jay Beattie et Dan Dworkin, prennent moins de risques avec ce pilote assez plat. En revanche, ils ont la bonne idée de se concentrer avant tout sur le développement des personnages avant de foncer tête baissée dans le trou du lapin blanc. Une erreur narrative qui avait causé la perte de nombreuses séries high concept du début des années 2010, de Terra Nova à The Event, en passant par Flashforward ou encore Alcatraz.

Les acteurs, sans être transcendants, font le job. Les scénaristes ont bien retenu les tendances de ces dernières années (poke Stranger Things et Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire), intégrant une enfant solitaire et énigmatique dans la vaste palette de ses personnages. Et c’est bien là le gros point faible de la série : elle ne prend aucun point de repère pour ancrer les spectateurs dans son intrigue, introduisant des protagonistes à chaque nouvelle scène. De fait, on est rapidement perdu dans ce tableau dramatique et le courage du shérif Ellis (Steve Zahn, Treme) ne suffit pas à créer de l’affect pour le personnage ou pour l’univers dans lequel il évolue.

Il ne faudrait pas enterrer trop vite The Crossing. Après tout, la première saison de Westworld avait pris son temps avant d’exploser et d’imposer la série de HBO comme un must-see dans l’ère de la Peak TV. Mais le show part sur des bases plutôt décevantes avec ses personnages qui sonnent déjà creux et une intrigue ésotérique qui a du mal à se tisser malgré une mise en scène soignée. Il faudra avancer un peu plus dans la saison pour découvrir si The Crossing mérite de faire partie des candidats de Jacob et de trouver sa place sur l’île perdue des séries high concept.

En France, la première saison de The Crossing sera disponible sur Amazon Prime Video à partir du 27 avril.