The First : une série cosmique et envoûtante à échelle humaine

The First : une série cosmique et envoûtante à échelle humaine

Image :

© Paul Schrimaldi/OCS/Hulu

photo de profil

Par Adrien Delage

Publié le

Sean Penn débarque dans le game des séries avec une proposition plutôt convaincante et élégamment mise en scène.

À voir aussi sur Konbini

Après la dystopique The Handmaid’s Tale et la réaliste The Looming Tower, Hulu part à la conquête des étoiles avec The First en cette rentrée sérielle 2018. Un show qui marque la première apparition de Sean Penn dans un rôle régulier sur le petit écran, après quelques guests au début des années 2000 (Friends, Mon oncle Charlie). Derrière cette exploration spatiale, on retrouve le showrunner Beau Willimon, architecte de House of Cards, qui livre ici un drame intimiste en apesanteur.

En effet, The First s’écarte dès ses premières minutes de l’orbite du spectaculaire Gravity pour lorgner davantage du côté de Damon Lindelof et son chef-d’œuvre The Leftovers. La série d’Hulu narre la première conquête martienne des États-Unis dans un futur proche. Sean Penn y campe l’astronaute Tom Hagerty, écarté de la mission pour des raisons inconnues lors du pilote. Il assiste, impuissant et envieux, au décollage de Providence 1 qui s’envole pour un voyage de deux ans et demi sur la planète rouge. Et il vaut mieux ne pas en dévoiler davantage sur l’intrigue pour ne pas gâcher votre plaisir.

Slow burner inversé

Le premier épisode de The First pourrait bien surprendre plus d’un sériephile, surtout ceux ayant visionné les trailers en amont de la diffusion. En effet, le show prend nos attentes à contre-pied : le pilote s’intéresse en grande partie au décollage de la fusée, alors qu’on s’attendait à assister à cet événement au mieux vers la fin de la saison. C’est comme si Beau Willimon avait décidé de faire un slow burner à l’envers, avec le pétard qui explose dès le début avant qu’on remonte la mèche jusqu’à son allumage.

Bien évidemment, je n’entends pas par là que la série va devenir de plus en plus lente et ennuyeuse d’épisode en épisode. Mais plutôt que le point de départ est intrigant et surprenant : The First est avant tout une série qui s’intéresse à ses personnages, et même foncièrement à leur intimité. Ici, pas question de voyager dans des trous de ver façon Interstellar, mais plutôt d’aller scruter les relations entre les astronautes et leur famille, et de comprendre pourquoi l’être humain cherche toujours à regarder par-delà le ciel pour dépasser sa condition.

C’est en scrutant les désirs et les sentiments de ses personnages que The First se rapproche de The Leftovers. Cette impression d’intimité est renforcée par la mise en scène sobre mais très élégante d’Agnieszka Holland (House of Cards, The Wire), réalisatrice des deux premiers épisodes de la saison 1. On pense parfois à Terrence Malick dans son approche du cadrage, qui capte le moindre des mouvements du quotidien. Si certains spectateurs resteront hermétiques à cette mise en scène, les amateurs de plans contemplatifs seront servis (même si l’intensité et le dynamisme de la scène de décollage sont à souligner).

Si les dialogues de la série sont peu nombreux et concis, le silence n’influe pas spécialement sur le rythme de l’intrigue et encore moins sur les prestations des acteurs. Franc du collier et provocateur dans ses interviews, Sean Penn est excellent dans la peau de ce commandant esseulé et brisé, qui en voulant toucher la Lune (enfin, Mars) s’est brûlé les ailes et a créé une profonde rupture avec sa fille, tombée dans la drogue.

Face à l’acteur quinquagénaire, on retrouve Natascha McElhone (Californication), sorte d’Elon Musk au féminin, l’enthousiasme hystérique en moins. Impeccable dans le rôle de Liz Ingram, patronne de l’entreprise chargée d’envoyer les astronautes dans l’espace, elle évoque ces femmes d’affaires puissantes (comme si la série avait elle aussi vécu une ère #MeToo et décidé de mettre en avant des femmes au pouvoir) qui ont une faille terrible, à la manière de Carrie-Anne Moss dans Jessica Jones. Les expressions de jeu de Natascha McElhone, à la fois glaciale et poignante, en feront certainement un personnage qu’on prendra plaisir à voir évoluer au fil des épisodes.

Houston, nous avons un deuil

Depuis l’été 2018 (voire depuis Patrick Melrose, mini-série passée injustement inaperçue malgré l’incroyable one-man-show de Benedict Cumberbatch), il faut croire que les séries se sont donné le mot pour débattre sur la thématique du deuil. Entre Sharp Objects, la saison 2 de The Sinner, Kidding ou la très récente Sorry for Your Loss, les scénaristes dissèquent et s’attaquent frontalement à la mort et ses conséquences sur les vivants. Sans révéler davantage l’intrigue, The First n’y échappe pas mais manque malheureusement de subtilité dans son propos.

Là où The Leftovers et même This Is Us font appel à des dialogues superbement écrits (et des comédiens talentueux) pour transmettre d’intenses émotions, le show d’Hulu tombe dans une forme de pathos un peu forcée. On ne dit pas qu’elle a de mauvaises intentions, plutôt qu’elle se force à être lacrymale alors que la mise en scène douce et efficace d’Agnieszka Holland et le visage vieux et fatigué de Sean Penn sont déjà sources d’émotions. Enfin, The First dispose d’un argument de taille qu’on ne pouvait pas ignorer : sa bande originale.

Plutôt que de tergiverser en employant une avalanche de qualitatifs et d’hyperboles indigestes, condensons en un seul mot : cette BO est sublime. Le compositeur Colin Stetson (The Rover, Premier Contact) a accompli un véritable travail d’orfèvre sur la musique et les thèmes qui, osons le dire, n’ont rien à envier à Hans Zimmer et Interstellar. On vous conseille d’ailleurs de regarder le show avec un casque audio, histoire de profiter du job minutieux effectué sur le son, qui nous évoque le perfectionnisme de Jean-Marc Vallée sur Big Little Lies et Sharp Objects. On en viendrait presque à fermer les yeux devant la série pour mieux écouter les synthés aériens et enivrants de Colin Stetson, qui nous happent comme un trou noir dans l’infinité de ses sonorités.

Éthérée et envoûtante, The First devra prouver la pertinence de son récit à l’envers et éviter un trop-plein de sentimentalisme sur la longueur pour s’imposer comme un drama incontournable de cette nouvelle cuvée sérielle. Pour le moment, on a vraiment envie de s’engager avec Sean Penn pour repousser les limites de la condition terrestre et, paradoxalement, explorer les états d’âme de ces personnages égarés dans l’infiniment grand de la complexité humaine.

La saison 1 de The First est disponible en intégralité sur Hulu outre-Atlantique et sur OCS Go depuis le 9 octobre en France.