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Zal Batmanglij : “Nous n’avons pas commencé The OA sans savoir comment la poursuivre”

Zal Batmanglij : “Nous n’avons pas commencé The OA sans savoir comment la poursuivre”

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THE OA

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Par Marion Olité

Publié le

Biiinge a rencontré la moitié du duo de créateurs de The OA, Zal Batmanglij, qui a travaillé à l’écriture du show avec Brit Marling et réalisé les épisodes de cette saison 1.  

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Biiinge | The OA est devenue en quelques semaines un vrai phénomène sériel. Comment avez-vous réagi à toute cette agitation ? 

Zal Batmanglij | Je ne sais pas, c’était intéressant en tout cas [rires] ! Je suis ravi qu’on ait créé quelque chose qui prenne vie en dehors de l’écran. Je ne sais pas si c’est parce que la série est visible dans le monde entier via Netflix, mais j’ai l’impression qu’elle continue d’exister, que ce n’est pas un objet inanimé, comme un papillon en mouvement et pas enfermé dans une boîte. 

Avec Brit Marling, vous venez du monde du cinéma. The OA est votre première série. Avez-vous eu le sentiment de bénéficier de davantage de liberté en optant pour le format sériel ? 

Oui, j’ai ressenti plus de liberté, parce déjà, on n’a pas à convaincre les gens de se déplacer dans un cinéma. Cela nous donne beaucoup plus de liberté créative. L’histoire n’a pas à être aussi conventionnelle que quand vous devez convaincre les gens d’aller au ciné. Et quand on fait un film, on y pense consciemment. Avec ce genre de format long, on a réalisé qu’il est possible d’imaginer une histoire complexe, inclassable, du genre compliquée à pitcher à quelqu’un. Si on me demande de quoi parle The OA, j’aurais du mal à l’expliquer [rires].

Quel a été le plus compliqué pour vous : écrire une histoire sept fois plus longue qu’un film ou tourner sur une période longue, dans des endroits si différents ?

Les deux ont été difficiles et en même temps, cela en valait la peine. Le tournage a été quelque chose comme quatre fois plus long que d’habitude pour moi et l’écriture a aussi pris beaucoup de temps. Mais j’étais très satisfait de pouvoir raconter cette histoire, et ça me semblait la seule façon de la faire de la bonne manière.

Les scènes avec le personnage de Khatun sont assez stupéfiantes. Comment avez-vous travaillé pour arriver à ce rendu visuel ?

J’ai travaillé avec le producteur artistique Alex DiGerlando, qui est extraordinaire. Il s’est occupé de True Detective, Les Bêtes du Sud sauvage, et de mon film The East. Il est comme un frère pour moi. On a collaboré de façon étroite ensemble pour développer les différents univers visuels de The OA. Il est aussi à l’aise dans le surréalisme que dans le naturalisme. Ce qu’il a fait sur les maisons des ados, c’est vraiment superbe et proche des vraies maisons américaines, même françaises.

Dans les banlieues, les Américains n’ont plus des tonnes d’objets dans leurs maisons. Ce sont des murs blancs, une télé… Il a réussi à capter cela, puis à nous embarquer dans le monde de Khatun. La première fois que j’ai vu le rendu de Khatun terminé, c’était il y a huit ou neuf semaines au moment où on terminait The OA. Ce monde m’a coupé le souffle. C’était magique.

Avez-vous rencontré des personnes ayant connu une EMI au moment de vos recherches pour créer l’univers de Khatun ?

Oui, j’ai notamment rencontré une femme qui a été particulièrement affectée par son expérience de mort imminente. Elle s’est confiée à moi. On a beaucoup lu dessus aussi. Mais au final, le point commun entre ces personnes, ce n’est pas l’endroit où elles se sont retrouvées, mais plutôt le sentiment qu’elles ont eu d’être en quelque sorte extraordinaires. On voulait retranscrire cela visuellement. Il fallait que ça soit stupéfiant. The OA est notre tentative, notre interprétation.

Le langage corporel, avec ces mouvements de danse contemporaine, est très présent dans The OA.

Quand j’avais 24 ans, j’ai assisté à une performance mise en place par Ryan Heffington. Et j’ai été tellement soufflé par son travail. Je me souviens avoir ressenti quelque chose dans mon estomac que je n’avais jamais ressenti avant. Et je me suis demandé pourquoi on ne voyait pas ça davantage dans les intrigues ? Je n’avais jamais vu ce langage corporel utilisé dans la narration. C’était il y a 11 ans, et j’y pensais déjà.

On a eu la chance ensuite de pouvoir travailler avec lui. On s’est dit que ces mouvements étant centraux dans l’histoire de The OA, il fallait les imaginer dès le début. Nous avons donc fait venir Ryan Heffington dans notre bureau au moment de l’écriture du script, et nous lui avons raconté toute l’histoire.

Chaque mouvement est venu de différents animaux, qui étaient en quelque sorte avalés par les personnages. Ryan nous a ensuite invités dans son studio pour nous présenter les chorégraphies. C’était magnifique.

“Avec Brit Marling, nous avons débuté une expérimentation sur les mouvements”

Le langage corporel tient une place particulière dans votre œuvre, depuis votre premier film, Sound of my Voice. Qu’est-ce qui vous attire tant dans cette façon de s’exprimer ?

J’ai entendu une fois Quentin Tarantino expliquer pourquoi la violence était à ses yeux si cinématographique. Il disait : ‘On ne peut pas écrire la violence de la même façon qu’on la montre au cinéma.’ Il trouvait que ça marchait beaucoup mieux à l’écran que dans un script. J’ai trouvé cette idée très intéressante. Parce que nombre de films et de séries sont tirés de livres, et dans ce cas, on essaie de retranscrire au mieux ce qui est déjà écrit. Je préfère quand on essaie de créer quelque chose de plus original.

La violence ne m’intéresse pas vraiment. Alors je me suis demandé : qu’est-ce qui peut être unique et cinématographique ? Qui ne peut être écrit mais peut être visuellement passionnant ? Avec Brit [Marling, ndlr], je pense que nous avons débuté une sorte d’expérimentation avec ces mouvements. C’est très excitant de s’attaquer à un nouveau concept. Et comme tout ce qui est nouveau, cela provoque des réactions très différentes. C’est merveilleux de les découvrir.

The OA est une série chorale avec une dizaine de personnages importants. Avez-vous connu des difficultés au moment de caster tous ces acteurs ?

Pas vraiment. The OA a vraiment été une incroyable expérience ! Beaucoup de choses se sont passées de façon très organiques. Ce n’est pas toujours le cas évidemment. Pour Riz Ahmed par exemple, c’est vraiment lui que j’avais en tête pour jouer Elias. Je lui ai envoyé le script avec une lettre, et il a dit oui ! Je suis tellement content de l’avoir eu sur le show. C’est un acteur incroyable.

Il est arrivé à peu près la même chose avec Paz Vega [qui incarne Renata, ndlr]. Je l’avais vue dans le film Lucia et le sexe. J’avais 22 ans et elle m’avait fait forte impression. J’ai écrit le personnage de Renata pour Paz. Elle aussi a rapidement dit oui.

The OA m’a rappelé plusieurs thèmes abordés par votre premier film, Sound of My Voice. Peut-on voir la série comme une sorte d’extension de ce film ? 

Je ne vois pas The OA comme une extension de Sound of My Voice. On essaie vraiment de tenter des choses nouvelles, et de ne pas recycler nos histoires. Mais comme nous sommes en train de créer notre propre langage cinématographique, nous reprenons parfois des éléments pour les améliorer. The OA a des éléments de Sound of My Voice, que nous avons emmenés plus loin. Quand nous mettons le doigt sur quelque chose, nous essayons différentes versions. C’est comme peindre quelque chose de vivant, encore et encore, jusqu’à ce qu’on trouve la bonne couleur. On essaie, on expérimente jusqu’à ce qu’on soit satisfaits.

“Nous sommes en train de créer notre propre langage cinématographique”

Il y a quelques jours, Netflix a mis en ligne une vidéo qui jouait sur les points communs entre The OA et Stranger Things. Avez-vous vu cette série ? 

Oui, j’ai vu le show au moment où on était en train de terminer The OA. Les frères Duffer sont des amis. Stranger Things est sortie le 15 juillet, et quelques semaines après nous finissions The OA. Je suis ravi, vraiment, pour nous tous.

Dans l’épisode 4 de The OA, une scène montre deux personnages devant la télé, qui diffuse Stranger Things. Comment avez-vous mis en place ce gros clin d’œil

Ce qui est drôle, c’est que nous avons eu le feu vert de la part de Netflix en même temps. Et nous sommes de petites productions Netflix à la base. J’ai demandé aux frères Duffer : ‘Hey ça serait pas cool de glisser du Stranger Things dans The OA ?’ Ils ont dit : ‘Mais oui, carrément !’ Et à cette époque, on ne se doutait pas du tout de l’ampleur que les deux séries allaient prendre. C’est drôle.

La scène finale de la fusillade m’a quelque peu rappelé Elephant. Peut-on voir aussi The OA sous un prisme politique et sociétal ?

Je pense que toute œuvre recèle en elle quelque chose de politique. Cela étant dit, The OA n’a pas de message politique à faire passer. On s’est demandé ce qui représenterait l’horreur pour eux. Et en racontant sa propre histoire traumatisante, The OA les préparait en quelque sorte à vivre la leur, qui prend la forme de cette fusillade.

À l’image d’un Lost en son temps, The OA a rendu les Redditors accros. Les théories autour du show se multiplient. Y jetez-vous un coup d’œil de temps en temps ? 

On m’en envoie régulièrement, et je suis vraiment impressionné. Je suis content aussi qu’avec Brit Marling on ait réalisé tout le travail en amont pour ne pas être trop influencés par ces théories, que ce soit en saison 1 ou si nous continuons. Mais je suis vraiment inspiré par leur travail. Les Redditors sont vraiment incroyables. Leur travail est beaucoup plus sophistiqué que quand Lost était diffusée. C’est vraiment divertissant.

Dans vos films et dans The OA, vous affectionnez les fins ouvertes… 

J’aime les deux en fait, tout dépend de l’histoire. The OA se termine sur une fin ouverte mais il y a une raison ! On n’a pas fait ça pour être chics [rires]. Il y a plus à dire.

J’espère que vous serez aussi frustré que nous si The OA n’a pas de saison 2 ? 

Là, tout de suite, je profite de ne plus travailler 20 heures par jour [rires]. Mais oui. Nous n’avons pas commencé cette histoire sans savoir comment elle allait se poursuivre et finir. Et quand j’ai une conversation plaisante sur The OA, comme avec vous maintenant, je suis impatient de m’y remettre pour qu’on parle de nouveau [rires]. C’est un sentiment tellement agréable quand les gens éprouvent une connexion forte avec l’histoire. Cela donne forcément envie de continuer.

L’intégralité de la saison 1 de The OA est disponible sur Netflix.