Édito : One Day at a Time est annulée, et ça ne passe pas du tout…

Édito : One Day at a Time est annulée, et ça ne passe pas du tout…

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Par Delphine Rivet

Publié le

Une série qui s'arrête, ça ne fait jamais plaisir, mais cette annulation-là est particulièrement douloureuse.

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Ce jeudi soir, Netflix a annoncé l’annulation de la sitcom One Day at a Time, remake, par le roi du genre Norman Lear, de sa propre série des années 1970. Seulement un mois après le lancement de la saison 3 sur la plateforme, la nouvelle a fait l’effet d’une gifle pour le public qui a aimé et soutenu de tout son cœur la famille Alvarez, mais aussi pour les critiques qui avaient encensé la sitcom depuis ses débuts.

Il y a un mois, la showrunneuse Gloria Calderón Kellett sortait d’une réunion avec les exécutifs de chez Netflix avec la rage au ventre et des informations plutôt alarmantes quant à l’avenir de One Day at a Time. Poussée par l’urgence de la situation, elle a alors supplié les fans, sur Twitter, de manifester leur amour pour la série et de la faire découvrir au plus grand nombre.

“J’ai parlé avec Netflix de la saison 4 de One Day at a Time. Ils ont clairement dit qu’ils aimaient la série et reconnu qu’elle était importante pour des publics de niche, sa générosité et son humour, mais… on a besoin de plus d’audience. Ils prendront bientôt leur décision. J’aimerais être plus confiante. Que pouvez-vous faire ? Dites à vos ami·e·s de regarder !”

S’ensuit une mobilisation massive sur Twitter, des fans comme des stars, avec le hashtag #RenewODAAT (“renouvelez One Day at a Time”) qui est en trending topic dès le lendemain. Si l’engouement fait chaud au cœur, le fait de voir les scénaristes, acteurs et actrices porter cette campagne à bout de bras, un job qui aurait dû revenir à Netflix, a un goût amer. Et il faut croire que ça n’a pas suffi puisque aujourd’hui la firme avance que les chiffres d’audiences ne sont toujours pas suffisants pour lui offrir une saison 4.

Dans un thread, le compte Netflix exprime sa gratitude à toutes celles et ceux qui ont contribué à faire de One Day at a Time ce qu’elle est, et opère sous nos yeux une bien belle pirouette digne des meilleures campagnes de communication :

“À toutes celles et ceux qui se sont senti·e·s visibles et représenté·e·s – probablement pour la première fois – par ODAAT, s’il vous plaît, ne prenez pas ça comme le signe que votre histoire ne compte pas. Le déferlement d’amour pour cette série est un rappel évident que nous devons continuer de trouver des moyens de raconter ces histoires.”

On ne doute pas de la sincérité de certains et certaines, chez Netflix, quant à l’intérêt d’une sitcom aussi inclusive que One Day at a Time. Ce qui nous fait vriller, en revanche, c’est que la firme, dans le même tweet qui suit celui de l’annulation, parvient à s’autocongratuler pour avoir offert cette sitcom au monde, et aux personnes invisibilisées, tout en affirmant sa volonté d’écrire plus d’histoires comme celle-ci. Netflix, vous en aviez une parfaite sous la main et vous l’avez jetée, après avoir poussé ses équipes à supplier, parce que les audiences n’atteignaient pas vos objectifs.

Ces chiffres d’audiences, justement, quels sont-ils ? Aucune idée. La plateforme de Ted Sarandos ne communique jamais là-dessus et la presse spécialisée n’a donc aucun moyen de vérifier leurs dires. D’un côté, Netflix a prétendu, dès ses débuts sur le marché de la SVoD, ne pas s’intéresser à l’audimat, se distinguant ainsi des networks et de la télévision traditionnelle guidés par les revenus publicitaires.

“Regarder les audiences n’a aucune pertinence pour nous. C’est la hausse des abonnements, pas la pub, qui détermine nos recettes”, déclarait Ted Sarandos, le président de Netflix, en 2016.

L’annulation de One Day at a Time finit d’enterrer cette distinction : bien sûr que les audiences comptent, et oui, le fonctionnement de Netflix est finalement assez similaire à cette bonne vieille télé. Surtout dans le cas de séries qui ne leur appartiennent pas et pour lesquelles ils doivent sortir le chéquier à chaque nouvelle saison.

Ironie de l’histoire, certains demandent maintenant à NBC, qui a déjà sauvé Brooklyn Nine-Nine de l’annulation par la Fox, de donner une seconde chance à One Day at a Time. La sitcom étant produite par le studio Sony, elle n’est pas la propriété de Netflix et pourrait tout à fait être repêchée ailleurs. Encore faudrait-il qu’une chaîne s’émeuve de la mobilisation des fans sur les réseaux.

Nous sommes dans une ère d’abondance de séries, la Peak TV, qui a fait s’éparpiller le public. Ou plutôt, les publics. Une certaine prise de conscience dans les bureaux des exécutifs de networks, réseaux câblés et plateformes a amené à la conclusion suivante : puisque les téléspectateur·rices sont plus volatiles que jamais, au lieu de tenter de rassembler le plus grand nombre derrière chaque programme, pourquoi ne pas produire des séries pour chacun de ces publics ?

C’était la promesse de Netflix. Et One Day at a Time semblait parfaitement remplir ce contrat. D’abord, en attirant une cible qui ne se voit que trop rarement représentée à la télévision : les LatinX. Les personnes LGBTQ+ se sont aussi ajoutées au nombre grandissant de fans, ainsi que les femmes. La raison ? One Day at a Time est une sitcom inclusive qui parle de sujets aussi variés et d’actualité que l’immigration, la double culture, l’homosexualité, le désœuvrement des vétéran·te·s rentré·e·s de zones de combat, la charge mentale des femmes, la vieillesse, le harcèlement de rue, l’alcoolisme, l’héritage, la religion…

Critiques et fans sont unanimes, au lendemain de son annulation : ils et elles sont orphelin·e·s d’une des meilleures séries de ces dix dernières années. Au-delà de sa volonté, essentielle, de représentativité, One Day at a Time a réconcilié les plus fâché·e·s avec l’art ancestral de la sitcom enregistrée devant un public qui s’émeut en live et se marre à gorge déployée.

Le talent d’écriture déployé par ses scénaristes (une writers’ room où la diversité est reine), la grande générosité de son cast (dont les merveilleuses Justina Marchado et Rita Moreno) et une fan base impliquée et bienveillante ont fait de cette série le cœur battant du catalogue Netflix. On ne le dira jamais assez : on a besoin de plus de diversité dans nos séries et derrière la caméra.

Plus d’histoires, d’horizons et d’expériences variées. Ça ne peut que rendre les fictions meilleures de se détacher de la vision monolithique qui a régné durant plus d’un demi-siècle d’histoire télévisuelle. Les chaînes et plateformes ont tout à gagner à montrer autre chose, à parler à d’autres publics. La création se nourrit de la multiplication des points de vue, et l’identification, face à des personnages et des vécus qui nous ressemblent, fidélise bien plus que n’importe quel compte certifié “cool” d’un diffuseur prétendant être votre allié.

Il y a des annulations qui marquent plus que d’autres, pour ce qu’elles représentent. Il y a eu un avant et un après Sense8. En se débarrassant de One Day at a Time, Netflix a perdu un autre bout de son âme. Business is business

Les trois saisons de One Day at a Time sont disponibles sur Netflix.