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Binge-Watching : arrêtez de vouloir comparer Grey’s Anatomy à Urgences 

Binge-Watching : arrêtez de vouloir comparer Grey’s Anatomy à Urgences 

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Par Jennifer Padjemi

Publié le

Ce sont deux séries hospitalières. Et puis c’est tout. 

Dans notre nouvelle rubrique, Binge-Watching, on analyse des séries cultes par différents prismes. Parce qu’un visionnage à froid, des années après l’arrêt d’un show, permet une analyse avec davantage de recul. Cette semaine, place à Grey’s Anatomy. 

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En célébrant son 332e épisode le 28 février 2019, Grey’s Anatomy est devenue la série médicale diffusée en prime time la plus importante (et la plus longue) du petit écran. Avant elle, c’est Urgences qui détenait ce record, avec pas moins de 331 épisodes au compteur et 15 saisons à son actif. A priori, les chiffres, on s’en fiche un peu, mais ce détrônement a permis à Grey’s Anatomy de rappeler qu’elle était toujours là, et qu’elle n’était pas forcément près de partir. Une sorte de pied de nez aux personnes qui ont toujours considéré cette série uniquement comme un “soap médical”, bien loin du réalisme que pouvait apporter Urgences. Soap certes, mais aussi série extrêmement populaire.

J’ai grandi avec Urgences, puisque la série a débarqué sur le petit écran sur NBC pour les US en 1994, et sur France 2 chez nous en 1996. Je n’avais donc que huit ans. Je me souviens que ça passait le dimanche soir et en prime time, et qu’elle a fait partie des séries qui ont bénéficié de plusieurs rediffusions, ce qui m’a permis de rattraper certaines saisons par la suite, à un âge plus avancé.

Urgences pour moi, c’est Carter, Doug Ross, Carol ou encore Mark Green. C’est aussi l’une des seules séries qui a été diffusée en direct à la télévision, et ce même en France. C’est un rythme soutenu, des histoires d’amour (Doug et Carol forever), une lumière assez sombre et un style de réalisation proche du documentaire. Urgences est l’une des séries souvent citées comme celles qui ont changé la face de la télévision, avec sa qualité d’écriture indéniable, son sens du drame, mais surtout son traitement réaliste du milieu hospitalier. Le show créé par Michael Crichton a aussi contribué à une vulgarisation du jargon médical.

Un match perdu d’avance

Quand Grey’s Anatomy a débarqué en 2005, Urgences en était encore à sa 12e saison et avait déjà amorcé son déclin – les personnages originels ayant notamment disparu du show. La série créée par Shonda Rhimes a eu du mal à exister. Beaucoup l’ont considérée comme une pâle copie de la première. Seulement neuf épisodes ont été diffusés lors de la première saison, comme un test pour voir où ça pourrait aller. Grey’s Anatomy en est aujourd’hui à sa 16e saison et la 17e est déjà signée.

Depuis ses débuts, elle souffre d’une forte comparaison avec Urgences. Et pourtant si les deux séries traitent de la même thématique, à savoir le milieu hospitalier, et que l’une apparaît comme plus réaliste, quand l’autre ne serait que “glossy”, elles sont très différentes. On peut les aimer toutes les deux pour diverses raisons, ou en préférer l’une tout en reconnaissant les qualités de l’autre.

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Urgences est la série de mon enfance, et Grey’s Anatomy est celle de mon époque. Alors que j’ai grandi avec la première, je dirais que j’ai évolué avec la dernière. J’ai commencé à la regarder en tant qu’adolescente au lycée et je continue de la mater (et même de la revoir) aujourd’hui en tant qu’adulte trentenaire. Très peu de séries arrivent à parler à différentes générations pendant autant d’années.

Sous ses airs de simple soap, un genre à qui on devrait redonner ses lettres de noblesse, c’est surtout une série profondément féministe, qui fait le pari de parler de sujets de société sans en avoir trop l’air. Elle a été créée par une femme (Shonda Rhimes), écrite par un nombre incalculable de femmes (Krista Vernoff, Stacy McKee, et bien sûr Rhimes pour ne citer qu’elles) et narrée par un personnage principal féminin (Meredith Grey). C’était la première fois que, dès le premier épisode d’une série, je voyais autant de femmes, diverses qui plus est, représentées à l’écran, à des postes importants et dont le métier importait autant, voir plus (coucou Cristina) que leurs relations amoureuses, très présentes dans la série.

Grey’s Anatomy : la digne héritière

Grey’s Anatomy n’aurait sans doute jamais existé sans le succès d’Urgences, comme le rappelait récemment l’une des scénaristes, Krista Vernoff :

Urgences était incroyable et révolutionnaire pour la télévision à son époque. Dans la salle d’écriture, nos conversations étaient souvent ramenées à comment ne pas être une imitation d’Urgences. Comment représenter le milieu hospitalier et être différent d’Urgences ? On a orienté naturellement le ton vers la comédie romantique, ce qui était l’intention de Shonda Rhimes depuis le début. Nous avons le drame et l’excitation d’Urgences, mais de la romance et de l’humour qui nous sont propres.” 

Dans Grey’s Anatomy, on passe du rire aux larmes en quelques minutes, et chaque épisode est unique grâce aux histoires des patients faisant écho à celles des personnages principaux. L’humour et la romance sont présents, tout comme les relations amicales qui guident la série. Une façon de ne pas réduire le milieu hospitalier à sa dimension morbide qui la caractérise tant. Et pourtant, Grey’s Anatomy n’en est moins une série réaliste, qui s’intéresse de près aux réalités et limites d’un hôpital, qu’elles soient financières ou proprement médicales. Certaines interventions sont loufoques, comme d’autres Dr House par exemple, et pourtant elles n’en sont pas moins réelles.  

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La série n’existerait plus aujourd’hui si elle était restée dans l’ombre d’Urgences. Si elle est toujours d’actualité, c’est parce qu’elle représente un phénomène culturel, qui a réussi à s’insérer dans son époque, à se renouveler (malgré les très nombreuses morts), tout en n’oubliant jamais d’être dramatique (oh oui, qu’elle l’est) et divertissante. Elle est loin d’être parfaite, et heureusement, mais il serait injuste de ne la réduire qu’à un simple copycat.

Shonda Rhimes a fait de Grey’s Anatomy une série événement dont l’héroïne est devenue un exemple de résilience. Ellen Pompeo elle-même se sert de la série comme d’un exemple permettant de montrer les rouages de l’industrie audiovisuelle et ce que c’est d’être une femme actrice à la télé. Elle s’exprime souvent sur le sujet, ce qui donne une dimension féministe supplémentaire à la série.

Comparer Grey’s Anatomy à Urgences ne sert qu’à renforcer l’idée qu’il y aurait une télé de prestige en face d’une télé populaire, et rien entre. Les deux séries prouvent qu’on peut être les deux à la fois. À l’heure de la Peak TV, il n’y a rien de mieux que de voir une série perdurer dans son temps, et qui arrive encore à passionner des millions de fans de tous âges. Chaque décennie a son lot de fictions révolutionnaires. Urgences l’a été de son temps : laissons à Grey’s Anatomy l’opportunité d’être le soap de son époque.