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De The Witcher à The Wheel of Time, l’empowerment des femmes dans la medieval fantasy

De The Witcher à The Wheel of Time, l’empowerment des femmes dans la medieval fantasy

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© Netflix – Prime Video

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Par Delphine Rivet

Publié le

Avec ces deux grosses productions, c’est une mini-révolution qui est en train de se jouer sur nos écrans.

Les grandes œuvres fantastiques ont souvent été la chasse gardée des hommes et, dans ces dernières, les femmes, quand elles y avaient leur place, n’avaient pas grand-chose à défendre. Même dans les franchises préférées des amateur·rice·s du genre, comme Le Seigneur des anneaux, elles se faisaient rares et avaient par conséquent la responsabilité, pesant sur leurs seules épaules, de faire honneur à leur sexe. Puisque les séries n’ont embrassé la medieval fantasy que très tardivement, à l’exception de petites productions un peu niches comme Merlin en 2008, il y avait un gouffre à combler sur le petit écran à cet égard. Être une femme, ou appartenir à une minorité, tout en étant fan de medieval fantasy a souvent été synonyme de masochisme…

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En 2011, Game of Thrones a ouvert un boulevard en imposant le genre comme un prétendant tout aussi légitime aux cérémonies d’awards, aux analyses enflammées et à la reconnaissance critique que n’importe quel autre drama jugé jusqu’ici plus “sérieux”. Avec elle, une magnifique galerie d’héroïnes, complexes, faillibles, perfides et stratèges, se conformant ou non aux stéréotypes de genre, se taillait la part du lion. Enfin, les femmes avaient une “agency”, une capacité à agir sur le cours de l’histoire, et n’étaient plus de simples faire-valoir.

Pourtant, et on a eu l’occasion de s’en plaindre à de nombreuses reprises sur Biiinge, tout n’était pas gagné. Cersei, Sansa, Daenerys ou encore Brienne, aussi puissantes soient-elles, avaient toutes été ramenées à leur condition de la plus ignoble des façons : toutes, ou presque, ont été violées ou menacées de viol. Voilà le prix à payer pour celles qui voulaient se hisser au même niveau que les hommes. On ne reviendra pas sur l’exploitation de ce trope et sa représentation problématique, mais permettez-nous de croire que les nombreuses critiques en ce sens ont fini par porter leurs fruits.

Car on assiste, ces dernières années, à un renversement de ces clichés. L’héroïne de medieval fantasy continue de prendre de plus en plus de place, de gagner en puissance, mais en plus, elle semble s’être débarrassée de cette étiquette de perpétuelle victime de viol en sursis. L’excuse du “c’était commun à l’époque” a fait son temps. Avec The Witcher (surtout en saison 2) et, encore plus récemment, The Wheel of Time et son impressionnant cast féminin, la représentation de ces personnages fait un pas de géant et prouve, dans le même temps, que le genre n’est pas l’apanage des hommes. Les femmes ont toujours été au rendez-vous de ces grandes sagas épiques et magiques, elles ont payé leurs places au ciné, ont acheté toutes sortes de produits dérivés, ont alimenté nombre de forums de fans.

Mais, tout comme elles ont été ignorées, méprisées, voire cyber-harcelées, par une partie de ces fandoms, elles ont aussi dû gentiment patienter avant de pouvoir se projeter, à l’écran, dans des héroïnes conquérantes, parfois dotées de pouvoirs magiques, plutôt que dans des sorciers ou guerriers tout en muscles. Brienne, dans Game of Thrones, avait un peu déblayé le terrain en s’affranchissant des normes de genres (le genre de la medieval fantasy, et le genre au sens féminin/masculin). Elle n’avait aucun des atours d’une lady, dominait physiquement les hommes grâce à sa grande taille et sa force, était crainte par ces derniers, et, fait plus rare encore, n’usait jamais de son pouvoir de séduction.

Une petite révolution était en marche. Hélas, la série a tout de même fait d’elle une amoureuse (hétérosexuelle) transie, comme si elle ne pouvait exister autrement qu’à travers les yeux d’un noble chevalier. C’est là tout le paradoxe de Game of Thrones, série et saga littéraire écrite par des hommes, qui célébrait à la fois la force de ses héroïnes voulant briser un certain carcan patriarcal, tout en les enlisant jusqu’au cou dans le male gaze. Mais, au moins, une première étape était franchie sur le timide chemin du progrès.

Il a fallu être patiente avant de voir une nouvelle évolution en ce sens, parce que les séries de medieval fantasy ne sont pas légion (elles coûtent très cher, déjà), mais notre attente a fini par être récompensée. Quelques mois seulement après la fin de Game of Thrones, Netflix lançait son adaptation de The Witcher, en décembre 2019. Sa saison 1, même si elle se concentre évidemment sur la quête de son héros, offre une panoplie de personnages féminins prometteurs et qui, surtout, sont traités à l’égal des hommes de la série : la reine Calanthe, Fringilla, Tissaia, et bien sûr, Yennefer et Ciri. Ces deux dernières sont d’ailleurs au cœur des intrigues de la saison 2, dans laquelle Geralt semble d’ailleurs un peu en retrait. En quelques épisodes, l’évolution de ces femmes est impressionnante.

Fringilla, un peu marginale en saison 1, gravit les échelons dans la suivante et gagne en relief. Cette progression est d’autant plus notable que ce personnage est une femme noire, chose qui aurait été impensable il y a encore quelques années. Toutefois, ne nous emballons pas trop, la lumière des projecteurs est surtout braquée sur Ciri et Yennefer, deux femmes blanches (ou perçues comme telles puisque l’actrice qui joue Yennefer, Anya Chalotra, a des origines indiennes). Mais la place qu’elles occupent, comparée à celle des hommes de la série (sorry Jaskier), est déjà un sacré coup de pied dans la fourmilière bien mascu du genre. Si la première gagne littéralement en puissance en apprenant à se battre et à maîtriser ses pouvoirs, la seconde parvient à le faire alors qu’elle a perdu sa magie. Yennefer s’impose ainsi comme l’un des personnages les plus fascinants de la série, loin, très loin, devant le mutique Geralt.

On constate aussi qu’au moment où les personnages féminins prennent de l’ampleur dans le récit, la série devient aussi… moins sexy. Comme s’il n’y avait qu’en les sexualisant que l’on pouvait titiller le public. Les spectatrices ont aussi le droit d’être émoustillées, merci bien. Il faut croire que The Witcher, showrunnée par Lauren Schmidt Hissrich, a encore besoin de trouver où placer son curseur à ce sujet, mais on note les efforts ! C’est d’ailleurs suffisamment rare pour être noté : oui, cette grosse production fantasy made in Netflix a été confiée à une femme. Une première dans le genre qui, on l’espère, fera des émules. Mais, spoiler alert, ce ne sera pas pour tout de suite. Les deux prochains mastodontes, la série Le Seigneur des anneaux et le spin-off de Game of Thrones, House of the Dragon, respectivement pour Prime Video et HBO, seront showrunnées par des duos masculins. You win some, you lose some…

The Wheel of Time, qui met en avant de puissantes magiciennes, est aussi l’occasion de combler un vide incompréhensible : à ce jour, aucune série médiévale à gros budget n’a mis de sorcières au cœur de son histoire. Les sorciers, eux, ont eu droit à cet honneur, de Gandalf à Geralt. Mais leur pendant féminin, figure de la pop culture que les luttes féministes se sont réappropriées, est plus souvent associé à des clichés (la vieille rombière jalouse ou l’ensorceleuse sexy) et à des productions sérielles moins glorieuses (Charmed) ou dont il est rarement la star. La Roue du temps, lancée sur Prime Video en novembre 2021, n’est pas aussi épique et visuellement léchée que Game of Thrones, mais elle place ses héroïnes, les Aes Sedais, en première ligne.

Cette caste de femmes peut canaliser le Pouvoir unique, une source quasi inépuisable de magie. Dans un renversement inattendu de la mystique biblique, ce sont les hommes autrefois capables des mêmes prodiges qui ont été corrompus par ce pouvoir. Une belle revanche sur Eve, chassée du jardin d’Eden après avoir été tentée de croquer une pomme de l’arbre de la connaissance. Historiquement, les “sorcières” ont été persécutées parce qu’elles étaient perçues comme des tentatrices, envoûtées par le Diable, alors que certaines d’entre elles étaient simplement des “savantes” qui ne disaient pas leur nom : avorteuses, guérisseuses, rebouteuses… Ici, les Aes Sedais sont aussi des gardiennes de l’Histoire. Ce sont elles qui maintiennent l’équilibre cosmique faisant tourner la Roue du temps.

L’une d’elles, Moiraine, est en quête du Dragon ressuscité qui aura le pouvoir de sauver le monde, ou de le détruire, selon le chemin qu’il emprunte. Notre héroïne a repéré cinq jeunes qui pourraient correspondre à cette prédiction. Dans les livres de Robert Jordan, l’élu est forcément un homme, tandis que la série corrige le tir, donnant à Egwene et Nynaeve, les deux filles du groupe, au moins autant d’importance, sinon plus, que les trois garçons qui les accompagnent. Cette légère entorse au script d’origine permet ainsi à la série d’imposer un cast en grande majorité féminin dans un genre qui réservait généralement les spotlights à ces messieurs. Et si Moiraine est émotionnellement liée à son garde du corps Lan (une relation spirituellement fusionnelle qui transcende le concept d’amour), c’est d’une femme dont elle est amoureuse.

Et ça aussi, c’est assez inédit en termes de représentations. Les lesbiennes (tout comme les autres minorités LGBTQ+) sont les grandes oubliées de ce genre sériel en particulier. Rien d’étonnant quand on voit le temps qu’il a fallu pour faire “accepter” la présence de personnages racisés dans ces sagas médiévales, mais le constat reste amer. The Wheel of Time opère donc sa discrète révolution en plaçant ses héroïnes, puissantes, au cœur du récit. En s’émancipant totalement du male gaze qui a gangréné la medieval fantasy, elle autorise ses personnages féminins à exister en dehors du regard masculin et envoie un signal clair à ses spectatrices : cette histoire est pour vous.

Les huit saisons de Game of Thrones sont toujours visibles sur OCS, les deux saisons de The Witcher sont disponible sur Netflix, et The Wheel of Time vient d’achever sa première saison sur Prime Video.