Pourquoi Disclosure est un docu essentiel sur la représentation des transgenres à l’écran

Pourquoi Disclosure est un docu essentiel sur la représentation des transgenres à l’écran

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Par Marion Olité

Publié le

Un must-see, à visionner sur Netflix.

“Selon une étude du GLAAD*, 80 % des Américain·e·s n’ont pas de personnes transgenres dans leur entourage. Ce qui veut dire que la plupart d’entre eux vont apprendre des choses à travers leur représentation dans les films et les séries“, nous apprend Laverne Cox au début du documentaire Disclosure, en français Identités trans : au-delà de l’image. Si on ne dispose pas du même type d’études en France, une dynamique similaire est à l’œuvre. Et la prévalence du cinéma américain fait que bon nombre de Français·e·s ont été imprégné·e·s par les mêmes représentations… et stéréotypes négatifs. Le réalisateur trans Sam Feder a donc entrepris avec ce docu passionnant d’explorer l’histoire de sa communauté sur les écrans.
 
Pour ce faire, il opte pour une structure aussi classique qu’efficace. Sur près de deux heures, le documentaire s’attache à retracer une histoire des personnages trans d’abord au cinéma, puis dans les séries, contextualisée et analysée par de nombreux·ses interlocuteur·ice·s concerné·e·s, dont Laverne Cox, icône militante qui a accédé à une exposition médiatique inédite grâce à son rôle de Sophia Burset dans Orange is the new black, devenant en 2014 la première actrice transgenre à faire la couverture du magazine Time. Drôle, glamour et percutante dans ses propos limpides et construits, elle représente le fil rouge d’une histoire qui débute en même temps que le cinéma, dès l’époque du muet. Sauf qu’à l’époque, on parle de “travestissement” et les intrigues avec des personnages transgenres ont vocation comique ou scandaleuse. Et déjà, les acteurs cis habillés en femme trustent les écrans. 

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L’une des idées maîtresses du docu, particulièrement saisissante avec le trope dit “du vomi” (un homme cisgenre se met à vomir quand il réalise que son interlocutrice est transgenre, comme cette incroyable scène dans Ace Ventura, présente dans d’autres films américains), c’est qu’Hollywood a entraîné à travers ces films le public à adopter des comportements transphobes et à développer des préjugés envers les personnes trans dans la vraie vie. Il “faut” rire, se moquer (comme dans les vieux films), être dégoûtés, choqués, voir réagir violemment, surtout si vous êtes un homme cisgenre qui découvre que votre love interest a un pénis entre les jambes. On se rend compte, sans surprise, qu’il existe une forte corrélation entre sexisme, homophobie et transphobie, illustrée ici par de nombreux exemples issus d’un cinéma fait par et pour des cis.
 
 
L’histoire du grand écran est ainsi émaillée de clichés violents : soit les personnages se révèlent être des psychopathes (Norman Bates se travestit avec les vêtements de sa mère dans Psychose, Buffalo Bill dans Le Silence des agneaux) mentalement dérangés, soit des victimes de violences atroces (les drames comme Boy’s Don’t Cry), soit des personnes qui mentent, à qui l’on ne peut pas faire confiance. Entre ces deux extrêmes – bourreaux ou victimes – il n’y a pas grand-chose. Comme l’explique Jen Richards (vue dans Mrs. Fletcher), au discours déconstruit passionnant, cela n’importerait pas autant si les personnages transgenres n’étaient pas aussi rares au cinéma. À l’aide d’un très beau travail d’archive réunissant des extraits de talk-shows, séries et films, le documentaire analyse une obsession très cis, pour les parties génitales des personnes trans. Entre les journalistes qui demandent “comme ça se passe là-dessous” et les films qui montrent des corps trans de façon problématique, les exemples abondent. Pour révéler leur transidentité, les personnages masculins soulèvent leur haut, dévoilant oh mon dieu, des seins devant un personnage masculin scotché par cette vision, tandis que les personnages féminins sont constamment déculottés pour découvrir s’ils possèdent un vagin ou un pénis. 
 
Si les séries ont récemment fait avancer la représentation des trans d’un pas de géant – à travers Transparent (heureusement, le documentaire n’omet pas le fait que le seul acteur cis qui jouait un trans dans la série, Jeffrey Tambor, a reçu un Emmy et a été accusé de harcèlement et agression sexuelle par ses collègues de travail trans en 2017), Orange is the new black, Sense8 ou Pose – on revient aussi de loin sur le petit écran. Les acteur·ice·s trans interviewé·e·s se souviennent avec un humour qui cache leur désespoir d’avoir incarné la “prostitutée 1” puis “la prostituée 2”, ou “la morte 3” dans nombre de séries policières. Le genre médical n’est pas exempt de clichés, leur storyline préférée, pour donner dans le pathos et la punition divine, étant qu’un personnage trans très sympa se retrouve à l’hôpital en train de mourir à cause de certaines parties de son corps assignées à sa naissance ou à cause de sa transition.
 

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Heureusement, ces dernières années, les rôles se sont multipliés et diversifiés, comme en témoignent MJ Rodriguez, Jamie Clayton, Jen Richards ou Lilly Wachowski. Et comme le dit Laverne Cox, si Ryan Murphy a pu passer de Nip/Tuck et sa représentation désastreuse des trans à Pose, la série avec un cast à majorité transgenre et racisé, l’espoir est permis. 
 
Il reste beaucoup à faire, notamment pour une meilleure représentation des hommes trans, sous-représentés, mais aussi pour faire comprendre à l’industrie que les rôles trans doivent être incarnés par des personnes trans. Pour qu’elles aussi soient nommées ou remportent de somptueuses statuettes pour leurs performances, et pas seulement Jared Leto (Dallas Buyers Club), Hilary Swank (Boys Don’t Cry), Eddie Redmayne (The Danish Girl) et toutes ces stars pour qui “devenir trans” relève d’une performance. Le fait que cette semaine encore, la réalisatrice française Marie-Castille Mention-Schaar justifiait son choix (qu’elle estime complètement valide, allant chercher à la rescousse Boys Don’t Cry qui date tout de même d’il y a 20 ans) de caster l’actrice cis Noémie Merlant pour le rôle d’un personnage trans, ou encore que la dernière saison de La Casa de Papel a fait de même sans y voir de problèmes, montre que le chemin vers la reconnaissance, la réappropriation et vers de nouveaux récits moins sensationnalistes, plus originaux aussi, est encore long.
 
Si on regrette que la jeune génération d’acteur·ice·s trans soit restée silencieuse (Hunter Schafer révélée par Euphoria ou Ian Alexander découvert dans The OA), Disclosure n’en reste pas moins une véritable mine d’or sur la question des représentations des personnes trans, qui fera ouvrir aux sériephiles et cinéphiles grands les yeux sur le chemin parcouru et encore à parcourir. 
 
*L’acronyme de “Gay & Lesbian Alliance Against Defamation”, une organisation à but non-lucratif qui observe la représentation de la communauté LGBTQ+ dans les médias américains et remet des prix chaque année.