Mrs America ou l’importance de revisiter l’Histoire du féminisme

Mrs America ou l’importance de revisiter l’Histoire du féminisme

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Par Marion Olité

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Avec en bonus l'ambiance des seventies et le glam de Hollywood.

Les séries, genre de l’intime, sont le lieu de toutes les expérimentations. Elles avancent main dans la main avec le présent, même quand elles semblent parler du futur ou du passé. Libres, audacieuses, elles accompagnent plus que jamais les changements de société. En 2017, l’année du mouvement MeToo, plusieurs productions – The Bold Type, Big Little Lies, The Handmaid’s Tale, 13 Reasons Why… – préfigurent la nouvelle vague féministe. Elles abordent des notions majeures comme le consentement, l’empowerment, la sororité, la libération de la parole féminine face aux violences sexuelles systémiques… Le temps des œuvres consciemment féministes et militantes est arrivé sur le petit écran. La révolution est en marche, alors il est temps de regarder dans le rétro, pour comprendre comment on en est arrivé là.

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Après des séries contemporaines, les fictions historiques adoptant un point de vue féministe ont fleuri ces derniers temps. Dickinson, Gentleman Jack, The Great prennent pour protagonistes principales des femmes en quête de liberté dans un monde qui leur en offre bien peu. La série de Sally Wainwright, restée confidentielle, est la plus importante car elle redonne une visibilité à une figure queer opportunément oubliée par l’Histoire, Anne Lister, une aristocrate anglaise considérée comme la première “lesbienne moderne”. Elle se maria en 1832 avec sa compagne, Ann Walker. Il ne s’agit pas de réécrire l’Histoire, mais bien de la redécouvrir, en changeant de point de vue. Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des représentations. Si vous connaissez aussi bien l’histoire du Titanic, ce n’est pas uniquement parce que vous l’avez vaguement apprise en cours d’anglais en 5e, c’est aussi parce que le film de James Cameron est devenu un classique. 

Le mouvement des droits des femmes a une histoire, trop longtemps cachée aux yeux du grand public. Faire œuvre d’utilité publique sans perdre l’ambition artistique, reconstituer le passé tout en parlant du présent… Mrs America s’est attelée à ces défis et les a en grande partie relevés. Série historique mais proche de nous, puisqu’elle met en scène des personnes encore vivantes aujourd’hui, elle était inévitable. Un certain nombre de films a raconté le mouvement des droits civiques des années 1960, étrangement, celui des féministes restait un angle mort à Hollywood. La militante et autrice Virginie Despentes vous dirait – comme elle le fait dans son entretien pour le podcast “Les Couilles sur la table” – que la raison est évidente. L’usine à rêves n’est intéressée que par les fantasmes du patriarcat. Si l’homme blanc hétérosexuel – la cible numéro 1 des cinémas – peut se montrer enclin à regarder une femme botter le cul d’une bande d’extraterrestres ou se venger de celui qui l’a laissée pour morte, il n’a aucune envie de découvrir le quotidien d’une bande de femmes décidées à ne plus vivre à travers leur regard et leur désir. Il fallait bien alors une industrie plus inclusive, celle des séries, pour qu’y naisse une œuvre comme Mrs America

Le mouvement féminisme fonctionne par vagues, et il est temps que les femmes, quel que soit leur âge, découvrent de quoi il en retourne. La série de Dahvi Waller ne dispense pas d’ouvrir des livres d’histoire, mais elle est là pour nous faire découvrir le BA-BA et nous donner envie d’en savoir plus. Elle raconte les combats de la deuxième vague des féministes américaines, au cœur des années 1970, dont le poids politique était tel qu’elles avaient l’oreille attentive des présidents. On retrouve dans le travail de la showrunneuse un peu de l’esprit de ses précédentes collaborations : une reconstitution à la Mad Men des années 1970, le choix d’une période décisive et innovante comme dans Halt & Catch Fire et ce que lui a reproché Gloria Steinem en personne (l’icône féministe est incarnée par Rose Byrne dans la série), un don certain pour orchestrer des affrontements dévastateurs entres femmes (des “crêpages de chignon” épiques en somme), sans doute appris en écrivant pour Desperate Housewives.

Les leçons du backlash

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Ce que Gloria Steinem a aussi du mal à digérer (et on la comprend), c’est que Dahvi Waller a choisi de centrer sa série sur la conservatrice Phyllis Schlafly (incarnée par la suave Cate Blanchett), qui s’opposa pendant plus d’une décennie à la ratification de l’Equal Rights Amendement, un texte garantissant des droits égaux pour tou·te·s les citoyen·ne·s américain·e·s, quel que soit leur genre, et porté à bout de bras par les féministes. Une décision potentiellement frustrante, mais qui permet de déconstruire le discours anti-féministe, et de mettre à jour les contradictions des Phyllis Schlafly de ce monde, qui utilisent consciemment ou non des outils du féminisme (la solidarité entre femmes, la liberté de travailler, de s’instruire, de se rassembler, la créativité…) pour le combattre. Le final de la série, au début des années 1980, voit la société américaine revenir en arrière après l’élection du conservateur Ronald Reagan. Elle fonctionne comme un miroir de la situation actuelle, où une administration ouvertement sexiste menée par Donald Trump a succédé au démocrate Barack Obama, progressiste et favorable aux droits des femmes. 

Ainsi, tout en nous racontant les grands moments fédérateurs – comme cette incroyable conférence de Houston dans l’épisode 8 – d’un mouvement féministe protéiforme et parfois divisé (notamment sur les questions afro-féministes, LGBT, sur les priorités et les ambitions de chacune), Mrs America apporte des clés de compréhension de la situation américaine actuelle et plus générale des mouvements cycliques de révolutions et régressions, et des pièges à éviter pour se prémunir d’un nouveau backlash, phénomène qui consiste à faire deux pas en avant, un pas en arrière, les progrès sociétaux – comme le mariage pour tous ou la légalisation de l’avortement – réveillant les instincts les plus réfractaires au changement. 

Revisiter l’Histoire du féminisme, peut-être en la simplifiant, en la fantasmant ou en la glamourisant, c’est aussi une façon plus efficace que jamais à l’ère des écrans de changer l’image du mouvement dans l’inconscient populaire et dans la pop culture. Il fallait bien une écriture subtile (qui tourne notamment en dérision le fameux discours anti-féministe qui décrit ses militantes comme des “lesbiennes, radicales, mal baisées”), un casting hollywoodien incroyable – Cate Blanchett, Sarah Paulson, Uzo Aduba, Elizabeth Banks, Margo Martindale et Tracey Ullman pour ne citer qu’elles – et le glam des seventies pour éclairer le chemin de ces héroïnes modernes, joyeuses et inspirantes. 

Le pouvoir des représentations

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On ressort de Mrs America revigorées (notamment par ce générique électrisant), inspirées, mais aussi un peu frustrées. D’abord parce que l’histoire de cet amendement ne finit pas si bien, mais surtout parce qu’on a eu le temps de voir un tout petit bout de la vie de certaines figures du féminisme qui mériteraient leur série à part entière. Le personnage de Gloria Steinem est dépeint sous un prisme très glamour, mais cela ne concerne qu’un aspect de sa vie, le plus médiatique. On aperçoit à peine son combat pour le droit des femmes à disposer de leurs corps, son engagement intersectionnel, sa relation particulière avec les minorités, notamment les Indiennes d’Amérique, sa vie sur la route à organiser des événements, des conférences et des groupes de parole entre femmes… Il en va de même pour la pionnière Shirley Chisholm, première femme noire à se présenter à une élection présidentielle aux États-Unis, et à siéger au Congrès des États-Unis. On en veut plus !

Si aucun spin-off ne voit le jour, il y a fort à parier et même à espérer que Mrs America ait ouvert la voie vers une vraie représentation de l’Histoire du féminisme dans la pop culture. Les années à venir verront peut-être fleurir des séries sur le mouvement des Suffragettes, le MLF (Mouvement de libération des femmes) invisibilisé ou diabolisé en France aux yeux du grand public, ou encore des biopics sur Simone de Beauvoir (ce ne serait pas trop demander, non ?) ou la féministe lesbienne Monique Wittig. Nous devons continuer à raconter cette histoire commune, en adoptant des regards singuliers (et pas seulement celui d’une femme conservatrice blanche et hétérosexuelle), pour réaliser de grandes séries et de grands films de pop culture, qui nous permettront aussi d’effectuer un travail de mémoire. Car pour savoir où l’on veut aller, il faut savoir d’où l’on vient. 

Composée de neuf épisodes, Mrs America est diffusée sur Canal+ Séries et MyCanal chez nous.