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Comment The 100 a puisé sa force dans ses héroïnes

Comment The 100 a puisé sa force dans ses héroïnes

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Par Delphine Rivet

Publié le

Qu’on aime ou pas The 100, on peut lui reconnaître une qualité : celle de nous avoir offert des figures féminines mémorables.

C’est un monde où le sexisme n’existe pas. Sans doute a-t-il été atomisé en même temps que la planète, il y a de ça 150 ans. Rien d’étonnant, donc, à ce que les femmes y occupent une place prépondérante, à tous les échelons de cette société reconstituée. Jamais leurs capacités, leur leadership, leurs décisions ne sont remises en question parce qu’elles sont des femmes. Jamais un Grounder n’oserait dire à sa Heda qu’elle est hystérique ou qu’elle devient irrationnelle une fois par mois. Ça ferait presque rêver si l’univers de The 100, où la survie est dans tous les esprits, n’était pas aussi violent, cruel, et inhospitalier. C’est justement de là que la série trouve sa force : dans ses personnages féminins. Et, alors qu’elle entame sa dernière ligne droite avant de tirer sa révérence, elle laisse derrière elle sept saisons, certes très inégales, mais surtout marquées par ses héroïnes.

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Faillibles, fortes, corrompues, attendrissantes, cruelles, pugnaces, intransigeantes, elles peuvent être mécaniciennes, pilotes, scientifiques, guerrières, cheffes de clan, leaders charismatiques… rien ni personne ne s’étonne de ce parti pris et aucune d’entre elles n’est jamais sexualisée. En écrivant ces derniers mots, on réalise la rareté de la chose. Et si c’était aussi ça le secret de The 100 ? Ne jamais sexualiser ses héroïnes, ce serait leur garantir un traitement parfaitement équitable. Les stéréotypes de genre voleraient-ils donc en éclats dès lors qu’on arrête de traiter les personnages féminins comme des objets de désir aliénés au male gaze ? Quel scoop ! Débarrassée de ces assignations genrées, la série offrait dès lors le champ libre à des figures féminines en trois dimensions, pleines de qualités, de défauts et de paradoxes.

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La première d’entre elles que l’on rencontre, et qui restera plus ou moins le rôle principal tout du long, c’est bien sûr Clarke Griffin. L’une des cent ados de l’Arche envoyé·e·s sur Terre afin de s’assurer qu’elle est habitable. Comment ne pas penser à Buffy en la voyant affronter les épreuves, les unes après les autres, et protéger les siens, elle qui défie tous les clichés de la jeune femme blonde dans les teen shows ? L’ironie de voir Bellamy la surnommer “Princesse” dans les premiers épisodes ne nous aura pas échappé. Intelligente, badass, prévenante, c’est une idéaliste patentée que le désir absolu de protéger ceux et celles qu’elle aime a conduite à faire des choix impossibles. Elle n’est peut-être pas une héroïne au sens littéral du terme, mais c’est ça qui la rend, elle et toutes les autres figures féminines de la série, d’autant plus réelle.

Après des débuts un peu douteux, la série a rapidement abandonné le trope du triangle amoureux qui aurait enfermé Clarke dans un rôle cliché et, disons-le, sexiste. Elle et Raven ne se sont pas “crêpé le chignon” pour les beaux yeux de Finn, elles sont même devenues des alliées sur la durée (avec des hauts et des bas dans leur relation bien sûr). The 100 fait finalement peu de cas des histoires sentimentales, pas le temps pour se conter fleurette. Elles sont rares, mais marquantes. Et le jour où Clarke a véritablement trouvé l’amour, c’est tout le fandom qui a eu des vapeurs. Car ce n’est pas dans les bras d’un homme qu’elle va s’épanouir, mais dans ceux de Lexa, une “Commander” et cheffe de guerre dont la vie tout entière est vouée à son peuple.

La suite, hélas, on la connaît : The 100, cette série qui nous semblait si féministe et qui paraissait dire aux fans LGBT+ “on pense aussi à vous”, tombait dans le piège un peu trop facile du “bury your gays”. L’actrice jouant Lexa, Alycia Debnam-Carey, devait quitter le show pour un autre (Fear The Walking Dead), et les scénaristes n’ont rien trouvé de mieux que de la tuer, de la pire des façons qui plus est. Après avoir enfin couché avec Clarke, Lexa se prend une balle perdue. Non seulement le personnage méritait une bien meilleure fin, mais le symbolisme de sa mort a laissé un goût plutôt amer. Elle survient comme une punition karmique (ou divine) après que Lexa a “consommé” son amour lesbien, et ça, c’est loin d’être une proposition originale.

Si le trope a un nom, c’est que “Bury your gays” a déjà beaucoup d’occurrences dans la pop culture et a fait pas mal de dégâts. L’épisode a laissé des traces, et les fans se sont massivement indigné·e·s, donnant ainsi un nom à ce soulèvement populaire : le Lexagate. Javier Grillo-Marxuach, qui a écrit sa “sortie”, et le showrunner Jason Rothenberg, ont depuis reconnu, bon gré mal gré, leurs torts dans cette affaire, mais le mal était fait. Lexa restera l’une des plus belles réussites de The 100, mais aussi l’un de ses plus gros fiascos. 

Leadership, mode d’emploi

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À ses côtés (et parfois en opposition), Clarke a appris, à la dure, le leadership. Une thématique centrale dans la série. Beaucoup des femmes de The 100 vont exister à travers ce prisme, que ce soit en tant que meneuses, ou dans l’ombre de celles qui ont le pouvoir. Heda, le terme en trigedasleng (la langue des Grounders) qui désigne les “Commanders” est associé à Clarke, “Wanheda” (“Commandeur de la mort”), mais aussi bien sûr à Lexa, ou Anya, que l’on croise au début de la série, ou encore la jeune Maddi dans les saisons plus récentes. Octavia sera successivement appelée “Osleya” (un mot dérivé du terme “slayer”, soit assassin, et qui signifie ici “Championne”) puis “Blodreina” (“Reine de Sang”).

Toutes sont confrontées aux exigences du pouvoir et des responsabilités écrasantes qui vont avec, ce qui les poussera parfois jusqu’à la folie meurtrière. Même Abby, la mère de Clarke, fera souvent office de guide pour les siens. Et elle aussi, même pétrie des meilleures intentions, fera des choix très discutables. Quant à la dernière héroïne badass de la série dont on se souviendra, Diyoza, elle a connu la trajectoire inverse avec le leadership : criminelle d’envergure avant de devenir la cheffe d’un gang de prisonniers en cavale, elle s’est adoucie au fil de ces trois dernières saisons en lâchant sa position dominante (et solitaire) pour se lier d’amitié, notamment avec Octavia. 

Si la série a un peu trop tendance à répéter que l’on est défini par ses actions, tout en nous montrant précisément l’inverse (Clarke a commis un génocide mais est toujours majoritairement perçue comme un bon leader), elle parvient toutefois très bien à nous présenter ces femmes dans tous leurs paradoxes et leurs doutes. De façon plus subtile, Indra, force de la nature, plus en retrait que celles citées ici mais toute aussi marquante dans la mythologie de The 100, est d’une loyauté à toute épreuve. Ses certitudes et ses principes sont parfois entrées en conflits avec ses sentiments, notamment à partir du moment où elle a pris Octavia sous son aile.

Cette femme, générale d’armée, entraînée à la guerre depuis sa plus tendre enfance, conditionnée à servir sa Heda sans jamais flancher, s’est montrée plus humaine au fil des épisodes. Mais la série pose aussi (trop ?) souvent la question : peut-on être un bon leader en se laissant guider par ses émotions ? Elle évite heureusement de s’empêtrer dans le poncif des femmes incapables de diriger à cause de leur émotivité puisque ici, celle-ci n’est ni un avantage, ni un handicap, et surtout, elle n’est pas l’apanage des héroïnes : les hommes aussi y sont sujets.

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Idem pour Echo, d’abord ennemie jurée des Skaikru qui a failli tuer Octavia, redoutable espionne à la solde d’Azgueda et de sa reine Nia. Elle aussi va être confrontée à des choix mettant sa loyauté à l’épreuve car, comme Indra, elle est persuadée qu’elle n’est rien si elle ne sert pas un ou une Commander. La suite lui donnera tort bien sûr, et son intégration à Skaikru et le couple qu’elle forme avec Bellamy ont contribué à faire de ce personnage d’abord mutique et froid, l’un des meilleurs atouts de la série. L’arc narratif nous a d’ailleurs épargné la naissance de cet amour, préférant se concentrer sur ce qui existait déjà entre eux, plutôt que de nous faire miroiter leur inévitable rapprochement. C’est un choix que l’on doit saluer, rare dans une série estampillée “pour ados”. 

On pourrait enfin évoquer Raven, l’une des dernières survivantes de la saison 1 avec ses potes Clarke, Bellamy et Murphy. Cette mécanicienne et ingénieure à l’intelligence supérieure n’a peut-être jamais tenu une place de Heda ou de cheffe de quoi que ce soit, mais son aptitude à manipuler les machines et à nous retourner le cerveau avec son jargon technique a sauvé la vie à ses camarades une bonne dizaine de fois. Elle est un atout indispensable à leur survie mais n’a jamais été saluée à sa juste valeur, jusque dans les dernières saisons où les scénaristes l’ont rendue parfaitement erratique, plus malheureuse que jamais, et constamment dans l’opposition des idées. Elle mérite tellement mieux. The 100 est loin d’être parfaite, elle a quelques casseroles qui lui collent au script. 

Ce qu’il restera malgré tout de ces sept saisons, c’est ce sentiment qu’elle a remis les femmes au centre du récit, dans des rôles majeurs, sans les idolâtrer, sans les figer dans des stéréotypes, sans les ménager, mais toujours en les écrivant comme des personnages dignes d’intérêt, qu’elles suscitent l’affection ou le mépris. Si l’audace et la finesse des débuts ont laissé place à des intrigues surchargées qui semblent avoir grillé toutes leurs cartouches depuis belle lurette, c’est autrement qu’il faudra se souvenir de The 100. Car c’est à travers ses héroïnes qu’elle a véritablement brillé. 

En France, The 100 est disponible sur Netflix, et diffusée sur France 4 et Syfy.