De Watchmen à When They See Us, 10 séries pour comprendre le racisme systémique

De Watchmen à When They See Us, 10 séries pour comprendre le racisme systémique

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©HBO/FX

En pleine résurgence du mouvement Black Lives Matter, les séries restent un outil précieux et sont capables de nous instruire.

Regarder l’histoire en face avec Watchmen

L’Histoire est écrite par les dominants et ils ont la mémoire sélective. L’Amérique, comme la France avec le colonialisme, a bien du mal à regarder son passé en face. Un embarras poli que la série Watchmen fait voler en éclats. Portée par Damon Lindelof, elle montre qu’il est possible, en s’entourant de personnes concernées et en faisant un travail de recherche solide et approfondi, d’aborder les questions du racisme passé et présent quand on est un homme blanc. On entre dans ce récit par le massacre de Tulsa, qui s’est déroulé dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1921 et durant lequel les résidents blancs ont massivement lynché et tué les habitant·e·s noir·e·s de la ville.

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Un événement tombé dans l’oubli pour beaucoup, mais qui, grâce à la série et à l’acharnement de militant·e·s, est désormais enseigné dans les écoles de l’Oklahoma. Depuis la diffusion sur HBO, des fouilles archéologiques ont également été relancées pour retrouver les charniers. Si elles aboutissent, une commission va veiller à ce que les descendant·e·s des 100 à 300 victimes soient dédommagé·e·s. La question des “réparations” (concernant les descendant·e·s d’ancien·ne·s esclaves ou des victimes du massacre de Tulsa) est encore très taboue aux États-Unis. (D.R.) 

The Talk avec Grey’s Anatomy

En écrivant des héroïnes noires et non plus des sidekicks destinées à faire avancer l’intrigue du personnage principal blanc, la showrunneuse et productrice Shonda Rhimes a fait avancer la représentation des personnes racisées, et des femmes afro-américaines en particulier, d’un pas de géant sur le petit écran américain, et plus précisément sur ABC.

Chacune de ses séries a laissé des scènes inoubliables, reflets de ce que vivent les Afro-Américain·e·s au quotidien. On pense à ce moment où Annalise Keating (Viola Davis) retire sa perruque dans How to Get Away with Murder ou à cet épisode de Scandal (“The Lawn Chair”) qui revient sur le meurtre de Michael Brown en 2014, un jeune ado noir de 18 ans tué par Darren Wilson, un policier blanc.  

L’une des scènes les plus puissantes de l’histoire de Grey’s Anatomy concerne la discussion (“the talk”) de Miranda Bailey et son mari Ben avec leur enfant, Tucker. Elle a lieu car la chirurgienne a assisté à la mort d’un enfant noir, âgé de 12 ans, tué par la police. Les deux parents expliquent précisément à Tucker comment il doit se comporter s’il se retrouve face à la police, pour tout simplement rester en vie. “Surtout, il ne faut jamais, jamais, jamais courir”, insiste Ben, sous les yeux très inquiets de son fils, qui réalise à ce moment-là qu’il est noir et que sa vie peut être mise en danger. La scène est terrible et puissante. (M.O.) 

L’écrasant système judiciaire avec When They See Us

Avec cette mini-série bouleversante proposée sur Netflix, Ava DuVernay, à travers l’histoire vraie des Central Park 5, ne nous épargne pas, mais l’uppercut est nécessaire. Voici comment la vie de cinq garçons (quatre Noirs et un Latino) a été piétinée par une police, une justice, une opinion publique, des médias et une figure médiatique, siégeant désormais à la Maison-Blanche, racistes. When They See Us raconte comment Antron McCray, Kevin Richardson, Yusef Salaam, Raymond Santana et Korey Wise (âgés de 14 à 16 ans) ont été accusés et condamnés à tort du viol et de l’agression de la joggeuse Trisha Meili dans Central Park, le 19 avril 1989. Ils ne seront exonérés et libérés de prison qu’en 2002.

La mini-série démontre avec une précision chirurgicale comment tout un système, toute une société, avec des biais racistes peut s’abattre de tout son poids sur des personnes sous prétexte qu’elles n’avaient pas la “bonne” couleur de peau. Le constat est aussi abject qu’édifiant et révèle qu’encore aujourd’hui, la justice est loin d’être aveugle. (D.R.) 

Les violences policières avec Orange Is the New Black

“I can’t breathe.” Ce sont les derniers mots prononcés par Eric Garner, Manuel Ellis, George Floyd et tant (trop) d’autres Afro-Américains morts après avoir été violemment interpellés et plaqués au sol par des policiers. La phrase est devenue un symbole du mouvement Black Lives Matter. Elle résonne dans les manifestations, est sur toutes les pancartes, et reste gravée dans l’esprit de toute personne noire confrontée aux forces de l’ordre. Dans l’avant-dernier épisode de la saison 4 d’Orange Is the New Black (dispo sur Netflix), Poussey (une femme noire et queer) est brutalement maintenue au sol par un gardien de la prison de Litchfield. Devant ses camarades impuissantes, elle prononcera ces mots : “I can’t breathe.”

Une scène à peine soutenable qui rappelle à quel point l’usage disproportionné de la force, l’excès de zèle combiné au racisme et à l’impunité dont jouissent les policiers et assimilés, peuvent avoir des conséquences dramatiques. Les suites de la mort de Poussey, où l’institution carcérale tente de se dédouaner en lui faisant porter le chapeau alors qu’elle n’avait rien fait, font elles aussi écho à une réalité mortifère. Il y a tout juste deux jours, le syndicat de police de Minneapolis, dont quatre des agents sont impliqués dans la mort de George Floyd, a brandi le casier judiciaire de la victime comme pour justifier son meurtre. (D.R.) 

Être un homme noir avec Atlanta

Artiste brillant, protéiforme et engagé, Donald Glover a créé en 2016 une série d’auteur sur FX, Atlanta, qui raconte les déboires d’une bande de mecs noirs trentenaires, Earn, Paper Boi et Darius, qui vivent de plans galère et tentent de percer sur la scène rap. Lorgnant tantôt du côté de la dramédie, puis du réalisme magique, de la série musicale ou de mafieux, ou encore vers le genre de l’horreur avec l’incroyable épisode “Teddy Perkins”, elle est aussi ambitieuse sur la forme que sur le fond.

En deux saisons, Donald Glover et ses scénaristes ont ainsi abordé la condition des Afro-Américain·e·s, et en particulier des hommes noirs (même si Earn a une ex-compagne, Vanessa, son personnage est moins présent) à travers le manque d’argent, la violence omniprésente, les brutalités policières, la consommation de cannabis en guise de médicament pour traiter leur PTSD (comme Donald Glover l’a expliqué au New Yorker, “chaque personne noire est traumatisée”), la transphobie dans l’épisode “Streets on Lock”. Tout ce qui fait l’expérience d’un homme noir ayant grandi à Atlanta.  

Dans cette scène, le personnage d’Earn attend son cousin après une fusillade (il y en a plusieurs dans la série, les armes sont pointées sans préambule). Il discute avec d’autres personnes noires, puis un homme visiblement atteint d’une maladie mentale se balade entre les policiers et les personnes assises. Tout se passe bien tant que son comportement hiératique fait rire tout le monde. Mais l’homme, âgé de 50 ans, finit par cracher un peu d’eau sur la chemise d’un officier blanc. Il est immédiatement immobilisé, et sous le regard impuissant des autres Noirs, il est frappé et brutalisé. (M.O.)  

Le militantisme millennial avec Dear White People

Créée par Justin Simien et adaptée de son film éponyme, cette série, dont la saison 4 arrivera prochainement sur Netflix, remet les points sur les “i”. Elle prend pour décor une université fictive de la Ivy League (les facs les plus prestigieuses des États-Unis) où Samantha White, jeune militante métisse, s’adresse régulièrement aux étudiant·e·s dans son émission de radio appelée Dear White People. Elle y adresse frontalement ses frustrations et sa colère envers les personnes blanches, et dénonce sans ambages le racisme dont elle et ses camarades racisé·e·s sont victimes au quotidien.

Au-delà de son parti pris “pédagogique” dont on (les personnes blanches) ferait bien de s’inspirer, la série sert aussi de catharsis aux populations concernées, pour qui rares sont les occasions d’exprimer librement ce genre d’opinions. Dear White People brasse toutes sortes de sujets liés au militantisme noir comme le “blackface”, les violences policières, le “white privilege”, le colorisme, ou encore l’hypocrisie d’allié·e·s faussement “woke”. (D.R.) 

Le black love avec Insecure

Repérée par HBO pour sa web-série Awkward Black Girl, Issa Rae est devenue une voix incontournable avec son prolongement, Insecure. Co-créée avec Larry Wilmore et lancée en 2016, sa série suit le quotidien à Los Angeles de son alter ego de fiction, Issa Dee : sa vie amoureuse et sexuelle, ses aspirations pro et ses amitiés, en particulier avec sa BFF, Molly. Découvrir l’expérience d’une femme noire, de son propre point de vue (on est dans sa tête, Issa rappe ses états d’âme en face de son miroir) est en soi un acte militant, tout comme celui de ne mettre en scène aucun personnage blanc récurrent dans ses dernières saisons. En coulisses, elle s’est aussi entourée de personnes racisées à l’écriture et à la réalisation.

Insecure met en scène le black love, des histoires d’amour entre personnes noires. Pour comprendre l’importance de cette notion, il faut remonter à la période de l’esclavage au États-Unis, qui a cruellement séparé les couples noirs, et monté les femmes et les hommes noirs les uns contre les autres. Le black love devient alors un acte militant, qui aide à reconstruire ce lien détruit sur des générations d’Afro-Américain·e·s.

Cette peinture contemporaine de l’expérience noire parle aussi des relations complexes entre personnes racisées (Molly est en couple avec Andrew, affectueusement surnommé “asian bae”), mais aussi des masculinités noires (on croise un homme bisexuel avec qui Molly refuse d’avoir une relation, un autre est atteint de dépression…), de black excellence (Issa travaille sur un projet de Block Party pour mettre en lumière les talents noirs) ou encore de la police américaine aux biais racistes à travers l’hilarante parodie de série-docu de la saison 4, “Looking for LaToya“. (M.O.)

La transmission avec Black-ish

La comédie de Kenya Barris reprend les codes d’un genre hérité du Cosby Show ou du Prince de Bel-Air : une sitcom sur une famille afro-américaine aisée. Et mine de rien, ce dernier ingrédient a de l’importance dans un paysage sériel qui a trop souvent réservé aux acteurs et actrices noir·e·s les personnages de pauvres, de drogués, de délinquants ou toute autre figure inspirant la pitié. Mais Black-ish va encore plus loin. Elle est une ode à la transmission, des anciens aux plus jeunes, dans les familles afro-descendantes.

Dans “Hope”, l’épisode 16 de la saison 2, les membres de la famille Johnson regardent les infos à la télé. Une nouvelle affaire de violences policières dont un adolescent noir a été victime. Le scénario est hélas trop familier et les parents, confrontés aux questions de leurs enfants, ont des visions opposées. Bow veut les protéger et Dre pense qu’il faut leur dire la vérité dans toute sa laideur. Les échanges entre les générations sont poignants, les points de vue variés et plein d’enseignements, et nous font prendre la mesure de tout le travail qu’il reste à accomplir. Cet épisode, comme tant d’autres qui ont marqué la sinon très drôle Black-ish, est un véritable acte politique sur une chaîne grand public comme ABC. (D.R.)

La black excellence avec Madam C. J. Walker

Ce biopic de la première femme millionnaire self-made aux États-Unis (inscrite au Guinness des records) proposé sur Netflix raconte la vie de Sarah Breedlove, une Afro-Américaine, première enfant de sa famille à être née libre, qui fit fortune dans l’industrie capillaire, développant des lignes cosmétiques pour les cheveux des personnes noires à la fin du XIXe siècle. Le symbole est très fort. Et si la série – pas des plus subtilement écrites et s’orientant vers le soap – ne rend pas aussi bien justice que prévu à cette figure historique, elle n’en reste pas moins intensément portée par la merveilleuse Octavia Spencer.

Et elle aborde toutes sortes de sujets passionnants : le colorisme (notamment dans sa rivalité avec Addie, femme métisse), le rapport complexe que les Afro-Américain·e·s entretiennent avec leurs cheveux, les violences conjugales, le racisme des femmes blanches bourgeoises, la période qui vient juste après l’abolition de l’esclavage… Madam C. J. Walker, c’est aussi l’histoire d’un empowerment. Une fois arrivée en haut de la pyramide, elle n’aura de cesse d’aider la cause des femmes noires en écoutant leurs revendications et en s’engageant dans diverses associations pour faire avancer la cause des Noirs, siégeant notamment au National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). Une pionnière de la black excellence (une personne qui se distingue par son talent, et rend fière la communauté noire) en somme. (M.O.) 

Un regard sur l’intersectionnalité avec Pose

Proposée par l’universitaire afro-féministe Kimberlé Williams Crenshaw en 1989, l’intersectionnalité a été créée pour explorer la condition des femmes noires, subissant une double discrimination en étant exposées au racisme et au sexisme. Le terme a depuis été élargi et peut être employé quand une communauté ou une personne se trouve à l’intersection de plusieurs formes de domination : race, genre, classe… Dans le cas de Pose, qui raconte la naissance des ballrooms et du voguing dans le New York des années 1980, l’intersectionnalité concerne tous les personnages du show, qui sont des personnages trans et racisés.

La série de Steven Canals, diffusée sur FX, raconte leur extrême pauvreté qui les oblige à exercer parfois des métiers dangereux, comme travailleuse du sexe, et les multiples discriminations qu’elles subissent dès qu’elles essaient de s’intégrer dans une société hétéronormative et cisgenre. Ainsi, Blanca lance son entreprise de soin des ongles, et fera face à la transphobie d’une riche propriétaire bourgeoise prête à incendier son local de travail pour l’intimider. Ex-travailleuse du sexe, Angel subit dans le milieu de la mode à la fois du sexisme et de la transphobie, au point de voir sa carrière florissante stoppée net.

La deuxième saison voit un personnage assassiné et une autre protagoniste raconte comment elle a été victime de la brutalité policière alors qu’elle était en train de se faire agresser par un homme blanc. L’épidémie de sida, qui été prise tardivement au sérieux car touchant au début uniquement les LGBT, se trouve au cœur des intrigues d’une série qui sait aussi être lumineuse, porteuse d’espoir et promeut la black excellence. Et surtout, elle nous dit une chose primordiale : black trans lives matter. (M.O.)

Un article écrit par Delphine Rivet et Marion Olité.