Broad City, c’est (malheureusement) fini

Broad City, c’est (malheureusement) fini

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Par Florian Ques

Publié le

Les vagabondages sans queue ni tête d'Abbi et Ilana sont désormais à conjuguer au passé.

Lorsqu’une série qui nous est chère arrive à son terme, c’est toujours avec un peu de tristesse qu’on encaisse la nouvelle. C’est ce qu’il s’est passé en avril 2018, tandis que la chaîne spécialisée Comedy Central annonçait la fin inéluctable de Broad City. Avec cinq saisons au compteur, Abbi et Ilana nous ont quittés le 28 mars dernier, date de diffusion de son ultime épisode. Un chapitre doux-amer qui nous a fait un (gros) pincement au cœur mais qui, étonnamment, nous aura fait lâcher un soupir de soulagement.

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Attendez, il ne faut pas se méprendre : oui, se séparer de Broad City, ça nous fait un petit quelque chose, tout simplement car la série n’aura jamais connu de réelle baisse de régime. Et en même temps, c’est beau de la voir partir alors qu’elle est au sommet plutôt que de la voir s’éroder au fil du temps, comme c’est le cas de bon nombre de séries. Pouvoir partir selon leurs propres termes, c’est un luxe qu’Ilana Glazer et Abbi Jacobson, les créatrices et stars, ont pu se payer et on les en remercie.

Avec tout pile 50 épisodes au compteur, Broad City s’est imposée comme un des must-see comiques de cette dernière décennie. Injustement boudée par le grand public qui semble en partie ignorer son existence, la série s’est démarquée dans un premier temps grâce à son type d’humour. Sans être forcément très subtile ou ancrée dans un réalisme flagrant, elle mise sur un côté presque cartoonesque, chaque chapitre consistant en un enchaînement de tribulations WTF qu’on aurait plutôt tendance à croiser dans des séries animées façon Les Simpson ou BoJack Horseman.

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Là où elle se montre hautement plus subtile en revanche, c’est dans sa tonalité féministe. Les personnages d’Abbi et Ilana, ces deux meilleures potes que rien ne pourra séparer, sont des féministes confirmées qui le prouvent par leurs valeurs et leurs discussions. Mais ça, on pourrait dire que c’est un peu leur niveau zéro. Au-delà de ça, elles s’adonnent à ce qu’on pourrait définir comme un féminisme performatif : à travers leurs actes, souvent inconscients, elles prennent position contre l’ordre établi.

Tout cela se traduit par des détails a priori anodins, comme le rapport au corps que nos deux héroïnes cultivent à travers les saisons. D’un côté, il y a Abbi, qui assume ses formes et le prouve dans sa volonté (éphémère) d’exercer en tant que coach de fitness. Elle ne se plaint pas de son physique, elle n’essaie pas de l’altérer mais s’accepte en faisant fi des diktats en vigueur.

En face d’elle, Ilana, qui est tout aussi à l’aise dans son corps, à sa manière. Un bien-être qui se ressent dans sa façon de bouger, de se déplacer avec une insouciance dont elle a fait sa marque de fabrique, mais aussi dans son rapport décomplexé au sexe et plus généralement au plaisir personnel. On n’oubliera pas d’applaudir son refus des normes sexistes, incarné par le fait qu’elle ne se rase pas les aisselles et ne complexe en aucun cas là-dessus.

Ilana et Abbi, des modèles à suivre ? Peut-être, oui. Elles proposent en tout cas une vision du féminisme qu’on retrouve assez peu sur la petite lucarne, on peut au moins leur accorder ça. Ça, mais aussi le fait d’offrir l’une des représentations les plus réalistes de l’amitié, tous genres confondus.

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Alors oui, la plupart du temps, on se demande si les BFF de Broad City ne souffrent pas de codépendance affective tant elles se reposent l’une sur l’autre. Mais si l’on fait abstraction de cet aspect-là, leur amitié s’apparente à ce que les millennials technophiles appelleraient #goals. Il y a quelque chose de fusionnel, avec un réel partage (matériel comme psychologique) qui déborde parfois dans du no limit, où aucun tabou n’est bienvenu. C’est libre, c’est beau (oui, même quand Ilana parle de ses excréments par exemple), c’est une vision non aseptisée et anti-hollywoodienne de l’amitié féminine.

D’un point de vue scénaristique, Broad City n’aura jamais failli et peut même se targuer d’avoir su prendre du galon et évoluer en adéquation avec son temps. En réaction au climat américain anxiogène qui règne depuis l’élection d’un certain Donald Trump, la série s’est octroyé un virage sec, devenant plus politisée et de facto plus ancrée dans un progressisme inébranlable. C’est une comédie, oui, mais une comédie intelligente qui n’a pas eu peur de s’adapter pour gagner en pertinence.

Lorsqu’elles ont accepté de transposer leur websérie en série diffusée sur le câble américain, Ilana Glazer et Abbi Jacobson étaient loin de se douter qu’elles allaient produire l’une des comédies les plus cathartiques de leur génération. Et pourtant !

En France, Broad City est diffusée sur Comedy Central.