Des, la mini-série avec un David Tennant qui glace le sang

Des, la mini-série avec un David Tennant qui glace le sang

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Par Delphine Rivet

Publié le

Qu’il est dérangeant de le voir jouer un monstre... et pourtant, ce rôle était fait pour lui.

Si les histoires de meurtres sordides ont toujours passionné les foules, une vague de true crime s’est abattue sur la pop culture durant les dernières années. Le podcast Serial a distillé son enquête méticuleuse dans nos oreilles, The Staircase puis The Jinx ont donné leurs lettres de noblesse au genre, et Netflix, avec Making a Murderer, l’a rendu mainstream. Loin d’Hollywood, le Royaume-Uni, patrie de Jack l’Éventreur, vient de frapper un grand coup avec Des.

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Mini-série en trois épisodes, diffusée sur ITV (et inédite en France), écrite par Luke Neal et Kelly Jones, elle se penche sur l’une des affaires de serial killer les plus glaçantes de son histoire. En 1983, l’écossais Dennis Nilsen est condamné à la perpétuité pour le meurtre de six hommes. L’enquête révélera qu’il en aurait en fait tué au moins quinze, selon un rituel morbide : il ciblait principalement (mais pas exclusivement) des hommes vulnérables, drogués ou sans domicile, et parfois homosexuels, les attirait chez lui, les étranglait, leur faisait ensuite prendre un bain avant de se masturber à la vue de leur cadavre.

Leur corps était ensuite découpé, et il se débarrassait des restes de ses victimes en les enterrant, les brûlant ou en les évacuant dans les canalisations. C’est lorsqu’une conduite d’égout de son voisinage se bouche que les autorités vont découvrir l’impensable. Lors de l’enquête, Dennis Nilsen, qui demande à être appelé Des, se montrera coopératif avec les forces de l’ordre, ne dissimulant rien de ses “penchants” nécrophiles. Il acceptera même, pour flatter son ego, de se raconter à l’auteur Brian Masters, qui en tirera la biographie Killing for Company, en 1985.

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David Tennant, dont le talent n’est plus à prouver, porte ici le masque de la monstruosité : un visage blême, au regard noir, et sans émotion, qui laisse seulement transparaître, par moments, son agacement et sa très haute opinion de lui-même. La ressemblance physique avec le vrai Dennis Nilsen, mort en prison en 2018, est troublante. Mais c’est le récit froid, précis et méthodique, des meurtres qui nous hante encore alors que nous écrivons ces lignes. L’acteur Daniel Mays, qui interprète l’inspecteur en charge de l’enquête, Peter Jay, raconte d’ailleurs qu’il a déjà réveillé son épouse en criant durant son sommeil, tant l’horreur de cette affaire le rongeait de l’intérieur : “Je rêvais que j’étais dans un grenier avec Dennis Nilsen”. Comme on le comprend…

Avec une sobriété toute british, Des joue avec nos tripes. Le véritable tour de force de cette mini-série, c’est pourtant de ne jamais montrer la moindre image susceptible de choquer. Tout au plus verrons-nous la paume d’une main abîmée par la décomposition. À aucun moment la mini-série n’exploite l’aspect le plus sensationnel de cette affaire en dévoyant la mémoire des victimes. Un voile de pudeur est posé sur leur fin tragique, car c’est le tueur, le monstre, qu’il faut mettre à nu. Mais aucun détail ne nous est épargné dans le récit fait par Dennis Nilsen ou par l’un des rares hommes ayant survécu.

L’odeur qu’on imagine insoutenable, lors de la perquisition, ses fantasmes morbides, ou les révélations selon lesquelles il a faisait bouillir la tête d’une victime toute la nuit avant de prendre tranquillement son café le lendemain matin, à côté de la marmite en question… Mais ce n’est pas une œuvre de voyeurisme, c’est une dissection de la psyché d’un tueur et le désarroi de policiers qui se battent contre la montre. La justice veut aller vite, mais Peter Jay souhaite rendre justice à toutes les victimes et pour cela, il faut toutes les identifier. C’est la seule chose sur laquelle Dennis Nilsen se montre étonnamment amnésique, lui qui est capable de se souvenir de chaque rencontre macabre dans les moindres détails.

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En trois épisodes, David Tennant nous offre une prestation magistrale, faite d’infimes nuances et variations dans le ton, l’attitude, les tics et le regard de son personnage, et d’une effroyable nonchalance. Lui qui nous a habitués, de Doctor Who à Hamlet, en passant par Broadchurch ou Jessica Jones, à tout un panel d’émotions, ramène sa gymnastique faciale à son strict minimum. La moindre scène entre Dennis Nilsen et Peter Jay, ou avec son biographe Brian Masters (joué par le brillant Jason Watkins) glace le sang. Le dégoût de ses interlocuteurs est palpable.

Des – c’est suffisamment notable pour qu’on en parle ici – est une série centrée sur des hommes. L’une des seules femmes présentes est l’épouse d’un des suppliciés de Dennis Nilsen. Mais comment déplorer leur absence quand, en 1983, les portes des forces de police et de la justice leur étaient quasiment fermées ? Et surtout, pour une fois, elles ne sont pas les victimes de ces crimes, ni les corps sacrifiés, mutilés sur l’autel de notre voyeurisme, comme c’est si souvent le cas dans les fictions et dans les séries de true crime.

Des n’est pas non plus une série sur la folie d’un homme, même si l‘avocat de Nilsen a tenté cette défense au moment du procès, arguant que son client avait des troubles mentaux et, de fait, que sa responsabilité était diminuée. Elle échoue toutefois, dans sa belle et terrifiante démonstration, à décortiquer et tenter d’expliquer la création du monstre. Sans doute sommes-nous trop habitués, avec le true crime, à remonter aux origines du mal.

Néanmoins, la mini-série réussit le pari de nous embarquer, en seulement trois épisodes, dans la tête d’un tueur au sang froid perturbant et sans le moindre remord. Dans les dernières minutes du troisième épisode, alors qu’il insiste pour que son biographe donne son nom à son livre, ce dernier rétorque : “Non. Ce n’est pas une célébration. C’est un avertissement”. Nilsen voulait contrôler son récit jusqu’au bout, il en sera dépossédé, dans une ultime bravade de l’auteur.