Cry Wolf filme au plus près la réalité des violences domestiques

Cry Wolf filme au plus près la réalité des violences domestiques

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© DR Sales 2020

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Par Charles Bosson

Publié le

La première série de la Danoise Maja Jul Larsen est une rencontre entre Big Little Lies et Unbelievable.

Holly, une adolescente de 14 ans, est placée en famille d’accueil avec son frère par un travailleur social après avoir écrit au collège une dissertation poignante sur les violences que lui fait subir son beau-père. Ses parents réfutent ses accusations et accusent la jeune fille de mentir (de “crier au loup”) mais Lars, chargé de l’enquête, n’en démord pas et suit son intuition.

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Coller au réel

Les huit épisodes de la série danoise Cry Wolf qui viennent d’arriver sur la plateforme Salto nous laissent à peine le temps de respirer. La créatrice Maja Jul Larsen, qui a fait ses armes comme scénariste sur The Legacy et Borgen, s’est considérablement documentée et filme en quasi-temps réel les procédures d’aides sociales à l’enfance.

Dès les premières scènes de la série, l’adolescente et son demi-frère sont séparés de leur famille. On leur demande de témoigner, on les questionne, on les filme. Holly accuse son beau-père, mais le petit Théo protège son père et se retourne contre sa sœur, ou se cache derrière son masque et s’enferme dans le silence. Les conséquences des accusations sont brutales, douloureuses.

On pense au travail d’investigation de David Simon, qui peut durer des mois voire des années avant de produire des séries comme The Wire ou The Deuce. Avec son style, la créatrice partage avec lui ce sens inné du récit dramatique niché dans une réalité sociale. Mais s’il fallait trouver une grande sœur à Cry Wolf, ce serait plutôt la bouleversante Unbelievable, la série choc de Susannah Grant. Diffusée fin 2019 sur Netflix, elle mettait en scène l’histoire vraie d’une adolescente qui témoignait d’avoir été violée et que des enquêteurs poussaient à se rétracter.

Les deux séries semblent se compléter et se répondre tant elles s’inscrivent avec force dans le débat contemporain sur la libération de la parole féminine et la présomption d’innocence. Toutes les deux font aussi le choix d’en faire l’expérience à travers le regard d’adolescentes en plein développement physique, sentimental, affectif et sexuel.

L’identité en mouvement

© Salto

Dès le générique d’ouverture, le ton est donné. Le visage de Holly, jouée par Flora Ofelia Hofmann, apparaît dessiné comme un brouillon ou un plan d’architecte et prend place progressivement dans une photo de la famille parfaite. Un père/une mère, un garçon/une fille. Ils sont tous très beaux, mais la voix de contralto du chanteur de When Saints Go Machine (héritier lointain d’Antony and the Johnsons, maintenant Anohni) vient briser cette binarité parfaite et instiller un malaise léger. C’est une voix androgyne qui se tord et qui envahit l’écran par vagues.

Nous sommes dans la construction de l’identité, dans la chair de l’adolescence contrariée, dans l’intime. Nous sommes au plus près du drame et quelque chose se cache et se terre derrière les apparences. La réalisatrice Pernille Fischer Christensen, qui signe les deux premiers épisodes, filme la réalité sans filtre, près des visages, à hauteur des enfants. Elle nous immerge dans la réalité d’une famille qui cache un secret et privilégie les émotions complexes. 

Toxicité, lenteur et heavy metal

La scénariste-créatrice, la réalisatrice, et il faut ajouter la productrice Claudia Saginario pour compléter ce trio de tête féminin aux commandes de Cry Wolf, ne cèdent à aucune facilité. Dès l’ouverture de la série, au lieu de filmer une scène de violence ou de brutalité, elles choisissent de montrer la jeune Holly dans le couloir de sa maison, en train d’observer sa mère et son beau-père en plein rapport sexuel bruyant à travers la porte entrouverte de leur chambre. Ce couple hyper sexué, qui rappelle étrangement celui formé par Nicole Kidman et Alexander Skarsgård dans la sublime première saison de Big Little Lies, diffuse une forme de toxicité. Le·a spectateur·ice doit se positionner, travailler avec cette multiplicité des points de vue et plonger dans un puissant récit à suspense. 

Ce récit est porté par le travailleur social Lars, joué à la perfection par l’acteur Bjarne Henriksen, connu pour ses nombreux rôles à la télévision (The Killing, Trapped, Borgen) et dans les films de Thomas Vinterberg (de Festen à La Chasse). Il prête au personnage sa corpulence, ses mouvements calmes et précis, mais aussi sa tendresse et son incroyable sensibilité.

Idée brillante de la réalisatrice et de la créatrice : ce personnage intuitif, blessé et délicat, est un amateur passionné de heavy metal. Au fil des épisodes, il porte toute une galerie de T-shirts de groupes qu’il dissimule soigneusement sous sa chemise lors des confrontations professionnelles, comme une armure ou un talisman. La petite fille qui crie au loup fait symboliquement la rencontre d’un autre guerrier et, au fil des épisodes, leur chant de peine se transforme en déclaration de guerre.

Que se passe-t-il quand une victime accuse ? Comment démêler et comprendre l’origine et les causes de sa souffrance ? Choisit-on d’examiner sa crédibilité ou au contraire de s’immerger dans son récit ? La série, art par excellence de l’expérience du temps, semble être le médium parfait pour questionner en profondeur ce débat de société. Cry Wolf déploie ses huit heures implacables et nous répond avec une radicalité et un sang-froid sidérants.

L’intégralité de la mini-série Cry Wolf est disponible sur Salto.