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Tiger King, le docu-série de Netflix, est un phénomène culturel aussi trash que fascinant

Tiger King, le docu-série de Netflix, est un phénomène culturel aussi trash que fascinant

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© Netflix

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Par Delphine Rivet

Publié le

Une histoire bien barrée comme on les aime !

Netflix a le don pour dénicher des docu-séries hors du commun. Et on ne parle pas simplement des true crime, catégorie à part entière, du style Making a Murderer, Les Génies du mal ou encore Grégory qui ont fasciné les abonné·e·s. Non, il est ici question d’un sous-genre, de ces histoires dans lesquelles on se lance sans trop rien en attendre et qui nous retournent le cerveau.

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En 2016, Tickled nous plongeait dans les méandres d’une communauté de niche, les amateur·rice·s de chatouilles, pour finalement aboutir sur une enquête à peine croyable dans un milieu où l’omerta est de mise. L’an passé, c’est Don’t F**ck with Cats qui filait la nausée à des tas de spectateur·ice·s pensant naïvement regarder un documentaire sur une bande de social justice warriors parti·e·s en guerre contre la torture animale en ligne. Des mois après, on est encore hanté par ce qu’on y a vu. Enfin, ce 20 mars, Netflix mettait en ligne, sans plus de chichis promotionnels, Tiger King : Murder, Mayhem, and Madness (Au Royaume des fauves, en français). Et là encore, on ne savait pas dans quoi on mettait les pieds. 

Celles et ceux qui connaissaient le podcast Over My Dead Body, dont la saison 2 était justement consacrée au “héros” de ce docu, Joe Exotic, savaient que le mot “mindfuck” aurait pu être inventé pour décrire cette affaire. Durant cinq ans, Eric Goode et Rebecca Chaiklin ont suivi ce personnage haut en couleur qu’est Joseph Allen Maldonado-Passage, dit Joe Exotic. Ce redneck de l’Oklahoma, propriétaire d’un zoo de grands félins, coupe mulet peroxydée et accent à couper au couteau, gay et polygame, voue une haine sans limite à Carole Baskin, une militante pour les droits des animaux dénonçant les maltraitances qui auraient court derrière les grilles rouillées de ses cages à tigres.

Le réalisateur et la réalisatrice, qui pensaient faire un documentaire sur le trafic d’animaux sauvages destinés aux loisirs de milliers d’Américains (il y a aujourd’hui plus de tigres “domestiques” aux États-Unis qu’en liberté dans leur milieu naturel), se sont retrouvés embarqués dans une enquête plus folle encore que n’importe quel soap. D’ailleurs, si des scénaristes hollywoodiens avaient écrit cette histoire, personne n’aurait mordu à l’hameçon tant chaque twist nous enfonce un peu plus dans le WTF le plus total. Personne de sensé n’aurait acheté ce script. Mais tout est vrai. Tout est authentique. Et on ressort de ce visionnage de 7 épisodes en se demandant dans quelle réalité alternative on est tombé·e.

© Netflix

Outre les deux personnages principaux — Joe Exotic, produit de tout ce que l’Amérique profonde a fait de pire (à ceci près que son homosexualité détonne considérablement avec l’idéologie dominante dans cet état reculé des États-Unis), et Carole Baskin, passionaria de la cause animale soupçonnée d’avoir assassiné son premier mari et de l’avoir donné à bouffer à ses tigres — Tiger King peut aussi compter sur toute une galerie de seconds couteaux tout aussi “bigger than life”.

Deux des employés de Joe Exotic ont été amputés de membres (suite à un accident du travail pour l’une), un associé de ce dernier est un vieux blanc au look de gangsta qui se prend pour un mafieux de Las Vegas, et dont le bras droit est un repris de justice prêt à tuer pour quelques billets verts, ou encore, l’un des confrères et défenseurs de Joe, lui aussi propriétaire d’un zoo de grands fauves, est une sorte de gourou qui ne s’entoure que de belles jeunes femmes (“si elles sont vierges, c’est encore mieux” nous dit-on) qu’il renomme à sa guise et qu’il présente à son public, habillées de tenues tribales et sexy.

Au milieu de tout ça, de jeunes hommes en rupture sociale et/ou avec des problèmes d’addiction sont attirés dans le lit et le cœur de Joe Exotic, ce dernier allant jusqu’à leur passer la bague au doigt. Ah, et n’oublions pas LE gros dossier : Joe Exotic qui a commandité le meurtre de Carole Baskin. Il n’y a aucun mystère à ce sujet, le bonhomme n’a pas le moindre problème à en parler face caméra à de multiples reprises. Il veut la voir morte et enterrée et fantasme, avec un complice, toutes les façons dont il pourrait la tuer. C’est glauque, c’est trash, et ça titille notre côté voyeuriste.

Tous les ingrédients sont réunis pour faire de Tiger King un vrai phénomène pop culturel mêlant le true crime à la pire des téléréalités, sur fond de trafic d’animaux. À peine a-t-on le temps de réaliser ce qu’il se passe sous nos yeux qu’on ne peut plus faire marche arrière. Tiger King est un trou noir qui aspire tout sur son passage. La fascination est immédiate et on ressort de ce tunnel de 7 épisodes complètement lessivé·e·s, horrifié·e·s et, il faut bien l’admettre, amusé·e·s. Joe Exotic chante son désespoir et son amour des grands félins dans des clips country (plus kitsch, tu meurs) mais la justice américaine, aidée par les preuves accablantes enregistrées durant le tournage, l’a rattrapé.

Il purge aujourd’hui une peine de 22 ans de prison. L’affaire ne s’arrêtera peut-être pas là puisque le documentaire a suffisamment soulevé le doute sur la disparition étrange de l’ex-mari de Carole Baskin pour que la police de Floride rouvre une enquête la concernant. Dans cette fable grotesque, le rêve américain a vraiment du plomb dans l’aile.