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En thérapie envoie la société française chez le psy (et ça fait du bien)

En thérapie envoie la société française chez le psy (et ça fait du bien)

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©Les Films du Poisson/Arte

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Par Marion Olité

Publié le

Arte lance une série qui vous dispense d’aller chez le psy !

Au commencement était une série israélienne imaginée en 2005 par Hagai Levi, BeTipul, au concept limpide. Imaginez plutôt : une fiction centrée sur un psy brillant mais en proie au doute existentiel, qui reçoit un·e patient·e par épisode (correspondant à un jour de la semaine). Le dernier jour, il va lui-même consulter son mentor pour tenter d’y voir plus clair dans sa pratique et dans sa vie.

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Et le brillant showrunner d’ausculter des personnages au plus profond de leur intimité et de leur psyché, de mettre des mots sur les maux de la société israélienne. Le tout à budget réduit, les scènes se déroulant en huis clos, sous forme de face-à-face entre deux personnages la plupart du temps (à part pour les thérapies de couple). Imparable. La facilité de production couplée à un propos universel a conduit BeTipul à s’exporter dans divers pays : Argentine, Japon, Russie ou encore États-Unis (In Treatment avec Gabriel Byrne). Étonnamment, la France, terre des psys par excellence, n’avait pas encore proposé son adaptation.

C’est désormais chose faite : 15 ans après la série originale, voici venir En thérapie. Diffusée sur Arte depuis le 28 janvier, la série reprend sensiblement la même mécanique, en plaçant l’action au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Derrière la caméra, les cinéastes Olivier Nakache et Éric Toledano (Intouchables, Hors normes) s’impliquent pour la première fois dans une série.

Ces grands amoureux des acteur·ice·s ont trouvé là un challenge inédit à relever : tourner 35 épisodes (d’une vingtaine de minutes, suivant le format original) et sublimer une mise en scène minimaliste. Au petit jeu des comparaisons, celles et ceux qui ont suivi In Treatment retrouveront des personnages similaires dans leurs caractéristiques globales, mais revus et corrigés pour coller à la société française.

© Les Films du Poisson/Arte

Dans les rôles des patient·e·s, on retrouve des têtes connues du cinéma français : Mélanie Thierry incarne Ariane, chirurgienne ayant travaillé lors des attentats du Bataclan et persuadée d’être amoureuse de son psy ; Reda Kateb endosse le rôle d’Adel, un flic de la BRI d’origine arabe également de service lors des attaques terroristes ; Clémence Poésy et Pio Marmaï incarnent Léonora et Damien, un couple en pleine crise ; tandis que Céleste Brunnquell se glisse dans les baskets de Camille, une ado en souffrance. Pivot de la série, le vétéran Frédéric Pierrot incarne le psychanalyste Philippe Dayan, tandis que le rôle de son ancienne mentor, Esther, est assuré par Carole Bouquet.

Le choix de ce casting quasi “all star” est à double tranchant : on est parfois bluffés par leurs performances, mais il est difficile d’oublier ces stars aux visages familiers derrière les personnages de fiction. Il faut dire que cet exercice si spécifique pour les acteur·ice·s (beaucoup habitent à Paris, ont vécu les attentats, ont peut-être aussi vu des psys dans la vraie vie) brouille les lignes entre fiction et réalité. Un peu comme s’ils avaient mis un peu plus d’eux dans cette série qu’habituellement.

Un geste probablement pensé par les showrunners, aussi curieux que nous de découvrir ce que Pio Marmaï (ou du moins, une petite partie de lui) donnerait sur le canapé d’un psy. Toutefois, et ce n’est peut-être pas une coïncidence, c’est Céleste Brunnquell, la seule à ne pas être un visage ultraconnu du grand public, qui sort du lot par la puissance et la sincérité de son interprétation de Camille.

© Les Films du Poisson/Arte

En thérapie est logiquement une série très bavarde. Elle repose sur une reprise des dialogues de la série originale, BeTipul, adaptés au contexte de 2015, à la France et à ces personnages cousins des Israéliens. On comprend pourquoi le projet a attiré Olivier Nakache et Éric Toledano, rois du cinéma sociétal dans nos contrées. Les attentats du Bataclan vont agir comme des déclencheurs de traumatismes plus enfouis pour Adel, Ariane et les autres.

À travers eux, la série aborde des thématiques universelles (d’où le succès de ce format) mais aussi spécifiques à la France. Adel, le personnage incarné par Reda Kateb, devrait faire couler beaucoup d’encre. Si sa trajectoire et son conflit interne (il doit replonger dans ses origines arabes pour démêler ses névroses, et sa position de flic racisé le travaille évidemment beaucoup) s’avèrent passionnants à suivre, ce personnage réhabilite quelque part la figure du flic à une époque où l’on dénonce les violences policières, notamment à caractère raciste.

La série aborde également le sujet des abus sexuels et les rapports genrés dans notre société française, en prenant toutefois mille précautions. Le psychanalyste explique d’un côté à Ariane la méprise autour du concept sexiste de Lolita : le roman de Vladimir Nabokov décrit “un abus, le viol d’une enfant de 12 ans, l’imaginaire de la société a inversé les rôles par rapport à ce qu’il se passe dans le roman”. La thérapie va aider cette femme à ouvrir les yeux sur une relation abusive et traumatisante pour elle.

De la même façon, il parvient à découvrir que Camille est victime d’un détournement de mineur et pointe du doigt le cœur des violences faites aux femmes (“On a du désir à tout âge, mais on en n’est pas responsable au même degré à 30 ans qu’à 15 ans”), en évitant soigneusement de noter le caractère systémique et genré de ces abus sexuels. Et il n’agit pas auprès des autorités éducatives pour tirer la sonnette d’alarme quant à cet entraîneur de natation coupable d’un délit, voire d’un crime, et qui continue de s’occuper de l’adolescente.

D’autre part, quelques dialogues clichés, aussi éculés qu’hétérocentrés, font lever les yeux au ciel (“L’homme et la femme, c’est le grand mystère” ou “Vous avez découvert, vous, ce que veulent les femmes ?”). On tomberait presque parfois dans une mauvaise comédie romantique du début des années 2000. Il faut dire que cinq hommes tiennent les caméras (avec Pierre Salvadori, Nicolas Pariser et Mathieu Vadepied) d’En thérapie et que la salle d’écriture s’avère aussi quasi exclusivement masculine (composée de David Elkaïm, Vincent Poymiro, Pauline Guéna, Alexandre Manneville et Nacim Mehtar)*.

Les personnages féminins ont beau être présents, et même supérieurs en nombre (elles sont quatre protagonistes sur sept), ils ont été écrits par des hommes, ce qui donne lieu à quelques maladresses. Le manque de diversité se fait aussi sentir du côté des personnages, tous blancs excepté Adel, et évoluant dans un milieu bobo et hétérosexuel. Or, ce qu’on a appris ces dernières années, c’est que davantage de diversité ne nuit pas à la qualité des histoires, bien au contraire, elle les enrichit, étant donné qu’on ne les a pas entendues avant.

© Les Films du Poisson/Arte

On aurait aimé découvrir, comme Bir Baskadir l’a fait pour parler de la société turque, un personnage de femme voilée chez le psy par exemple, une jeune ado queer (au vu du passif de la psychiatrie avec les LGBTQ+, on tenait un sujet très fort), ou un homme blanc et gay de 70 ans… Un peu plus d’audace ne nuit pas à l’universalité du propos. La série donne ici la désagréable sensation que l’on écoute toujours un peu les mêmes : des personnes blanches, belles (surtout les personnages féminins), aux corps uniformisés (pas plus d’un 38/40 pour tout le monde), hétérosexuelles, de la classe moyenne haute et aisée. Résultat, quand En thérapie aborde le racisme ou le sexisme, c’est du bout des lèvres.

Pour autant, ces personnages sont assez bien écrits pour que leurs histoires résonnent puissamment avec les nôtres, et le concept demeure d’une efficacité redoutable. Regarder cette série, c’est un peu comme aller soi-même chez le psy. Certains passages déclencheront peut-être des révélations chez vous, d’autres vous bouleverseront au plus profond pour des raisons intimes.

Une chose est sûre : on a plus que jamais besoin de séries introspectives en ce moment. En explorant les failles, les paradoxes et les traumatismes de ses personnages, en prenant le temps de se poser et de regarder chacun·e dans le blanc des yeux, En thérapie réussit à les rapprocher. À travers son personnage de psy imparfait, la série milite pour l’écoute de l’autre et une sorte de réconciliation nationale en une période où les divisions, les valeurs et les divergences de points de vue semblent parfois irréconciliables. Et ça fait du bien.

* Pour l’exhaustivité, notons la présence de deux femmes à la production : Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez aux côtés d’Olivier Nakache et Éric Toledano.

En thérapie est disponible en intégralité sur arte.tv dès le 28 janvier 2021, diffusion sur Arte à compter du 4 février.