Hippocrate, saison 2 : quand l’hôpital a mal

Hippocrate, saison 2 : quand l’hôpital a mal

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Par Delphine Rivet

Publié le

Sans même évoquer le Covid, cette saison 2 fait écho au surmenage du personnel hospitalier avec toujours autant de sincérité.

La saison 1, lancée en 2018 sur Canal+, avait imposé Hippocrate, créée par Thomas Lilti d’après son film éponyme, comme l’une des meilleures séries françaises. Et ce ne sont pas des paroles en l’air, dans un paysage sériel français de plus en plus attrayant. Trois ans plus tard, la saison 2 vient confirmer l’essai. Cette fois-ci, nos internes ne sont plus totalement livrés à eux-mêmes, mais le défi qui les attend est de taille. Nous les retrouvons à l’hiver 2019, une canalisation a explosé aux urgences à cause du gel et tout le service est transféré en médecine interne, déjà en flux tendu.

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C’est le chaos. Les patient·e·s s’entassent dans les couloirs, les soignant·e·s courent dans tous les sens, les familles des malades s’énervent, les dossiers se perdent… Chloé (Louise Bourgoin) est handicapée d’une main, Hugo (Zacharie Chasseriaud) a du mal à gérer la pression, et Alyson (Alice Belaïdi) sent naître en elle une vocation d’urgentiste. Arben (Karim Leklou), lui, a disparu de la circulation depuis que l’administration a découvert qu’il n’avait jamais été diplômé. Cette saison, ils ont pour mentor et chef de service le Dr Brun, interprété par un Bouli Lanners tout en puissance et en charisme.

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Le tournage avait à peine commencé, en mars 2020, qu’il a fallu tout arrêter. Thomas Lilti, médecin dans une vie antérieure avant de devenir cinéaste et scénariste, avait alors repris du service, bénévolement, pour soulager comme il le pouvait ses confrères et consœurs de l’hôpital Robert-Ballanger, l’établissement servant de décor à la série. La frontière entre fiction et réalité a rarement été aussi poreuse. La production d’Hippocrate a même fait don aux soignant·e·s de son matériel médical : blouses, gants, lits, masques.

La crise du Covid-19 est en sous-texte de cette saison 2 (dont nous avons vu les quatre premiers épisodes), parce qu’elle est dans tous les esprits. Mais Thomas Lilti n’avait pas besoin de ce prétexte pour écrire ces huit épisodes, qui se déroulent d’ailleurs quelques mois avant le premier confinement. La série existe parce que les dysfonctionnements et la dégradation de l’hôpital public précèdent l’actuelle crise sanitaire. La pandémie fut le dernier clou dans le cercueil d’une institution siphonnée par les gouvernements successifs, qui ont préféré regarder ailleurs.

Et il fait mal, ce désespoir que l’on lit dans les yeux du chef de service, excédé par la désorganisation de ses équipes, ou dans ceux de ses internes, volontaires mais paumé·e·s et épuisé·e·s. C’est là que les erreurs surviennent, des plus insignifiantes au plus dramatiques, et Hippocrate n’épargne ni ses personnages, ni ses téléspectateur·ice·s.

La série, toujours plus réaliste, s’écoule presque en temps réel et l’on passe sans ménagement de scènes chaotiques et émotionnellement éprouvantes, à des séquences plus lentes dont on chérit les silences. Car, si les dialogues d’Hippocrate sonnent tous infiniment justes, c’est aussi parce qu’ils sont entourés de moments où les mots sont superflus. Arben, qui revient évidemment en saison 2 (mais on ne vous dira pas dans quelles circonstances), est particulièrement doué à ce jeu-là, et beaucoup de ce qu’il transmet passe par le regard. 

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On parle beaucoup du réalisme d’Hippocrate, mais il faudrait sans doute plutôt évoquer son authenticité. Le fait qu’elle soit, comme on l’a dit, créée par un ancien médecin, n’y est évidemment pas pour rien. Mais la série a aussi su se reposer sur de vrai·e·s soignant·e·s en figuration, qui peuvent parfois aider les acteurs et actrices à pratiquer les gestes médicaux.

Plus touchant encore, l’un des patients qui traverse cette saison 2 est un SDF du nom de Bernard Le Barbu, qui joue son propre rôle (et a désormais sa propre fiche IMDB !). La douceur de cet homme, face à la violence et l’injustice de sa condition, est l’une de ces flèches décochées droit au cœur, dont Hippocrate a le secret. L’humain, celui qui doute, flanche et a de la compassion, est bien sûr au cœur du récit. Mieux que n’importe quelle tribune, la série dépeint l’étendue des dégâts de ce que Thomas Lilti appelle “un bateau qui coule”, et celles et ceux qui tentent d’écoper. Son casting, toujours aussi impeccable, se plie en quatre pour porter cette histoire, plus grande encore que ses personnages.

Lorsque, dans l’épisode 2, des dizaines de victimes intoxiquées au monoxyde de carbone attendent sur le parking, les failles du système nous apparaissent encore plus cruellement. Le rappel, douloureux, de ce que vivent actuellement les soignant·e·s, n’en est que plus manifeste. La surcharge de services en sous-effectif, un personnel qui tire constamment sur la corde, des jeunes médecins parfois inexpérimenté·e·s et jeté·e·s dans l’arène… et toute cette profonde souffrance que l’on n’entendait pas, ou que l’on refusait d’entendre, avant qu’on ne se mette à les applaudir depuis nos fenêtres et balcons en mars dernier. Thomas Lilti n’avait pas besoin d’instrumentaliser la crise du Covid pour mettre le doigt là où ça fait mal. 

La saison 2 d’Hippocrate est disponible sur Canal+ et Canal+ Séries depuis ce lundi 5 avril.