Jupiter’s Legacy : grands pouvoirs, petite série

Jupiter’s Legacy : grands pouvoirs, petite série

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Ⓒ Netflix

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Par Adrien Delage

Publié le

La nouvelle série de super-héros de Netflix, basée sur un comics de Mark Millar, n’apporte rien de nouveau au genre.

Après avoir conquis le cinéma avec les franchises Kick-Ass et Kingsman, Mark Millar, créateur de renom dans le milieu des comics, se lance à l’assaut du petit écran. Le Millarworld, sa maison d’édition rassemblant ses créations originales, a été racheté par Netflix en 2017 afin de s’offrir une collection de licences possiblement adaptables. La plateforme de streaming n’a pas traîné, lançant dans la foulée le développement de sept projets dérivés pour son catalogue original, avec notamment dans le viseur The Magic Order, Huck, Prodigy ou encore Sharkey the Bounty Hunter. Mais pour leur premier essai, Netflix s’est concentré sur une BD particulièrement appréciée de l’auteur aux États-Unis, Jupiter’s Legacy.

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Moins connue dans nos contrées (mais tout de même publiée chez Panini Comics en France), Jupiter’s Legacy est une œuvre de super-héros créée par Mark Millar, Frank Quitely et Peter Doherty. Selon les dires de l’auteur, le comics s’inspire de la pop culture, de la mythologie romaine et de la grande récession de 2008, pour en faire une critique du capitalisme et du rêve américain. Au fil de sa publication, la BD a reçu des critiques élogieuses, évoquant l’humour noir et la maturité des thèmes explorés. C’est désormais au showrunner Steven S. DeKnight de prendre la relève avec l’adaptation en série de Netflix, un spécialiste du genre déjà vu à l’œuvre sur Smallville, Daredevil et Spartacus.

Jupiter’s Legacy introduit deux générations de super-héros, à la fois liées et en conflit permanent. Il y a d’abord les anciens justiciers menés par Sheldon Sampson alias The Utopian, archétype du surhomme façon Superman. Il est le leader de l’Union, un groupe de super-héros qui ont développé leurs pouvoirs dans les années 1930. Puis, on fait la découverte de leurs héritiers à notre époque, dont Brandon et Chloe, qui sont en réalité les enfants de Sheldon et sa femme Grace. Lorsqu’un ancien super-vilain s’échappe d’une prison de haute sécurité, les deux adolescents vont devoir prouver à leurs aïeuls qu’ils sont capables de prendre la relève et de marcher dans leurs traces.

Plus Pluton que Jupiter

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Ces dernières années, Steven Spielberg, Martin Scorsese et une poignée d’autres cinéastes ont publiquement déclaré leur ras-le-bol des super-héros dans les médias. Certains d’entre eux annonçaient même leur déclin à l’aube de la nouvelle décennie. Et pourtant, ces personnages en costume dotés de super-pouvoirs sont toujours d’actualité, et même plus diversifiés que jamais. Le MCU de Kevin Feige continue de faire les beaux jours de Disney, DC exploitera HBO Max pour approfondir son univers étendu sur le petit écran, l’Arrowverse de Greg Berlanti semble immortel, et les autres plateformes se partagent le reste du butin avec les maisons d’édition indépendantes comme Image Comics pour piocher allègrement dans la mythologie du neuvième art.

À première vue, Jupiter’s Legacy avait tout pour plaire : un grand nom derrière l’œuvre, un showrunner plébiscité pour son univers adulte et cru développé dans Daredevil, une tête d’affiche en la personne de Josh Duhamel (Unsolved, Transformers) au casting et une critique sociale très contemporaine à explorer dans son sous-texte. Et pourtant, les signes de son échec étaient déjà présents avant la mise en ligne de la série sur Netflix. Steven S. DeKnight a quitté le navire en cours de route pour ces fameuses “divergences artistiques” qui freinent la vision des créateurs au sein des grands studios, et le géant américain s’est contenté d’une promo marketing très discrète, souvent symbole de mauvais présage quant à la pérennité du “produit de consommation” Netflix.

Sans surprise, Jupiter’s Legacy est une série ratée dans les grandes lignes, qui souffre en plus de sa concurrence directe. Il y a d’abord The Umbrella Academy forcément, autre série Netflix qui a déjà traité le thème de la famille dysfonctionnelle, plus pop et explosive que cette adaptation convenue de Mark Millar. On pense aussi à l’originalité des plateformes rivales, dont Amazon et la satire The Boys ou plus récemment la très réussie Invincible, ou encore à des productions qui proposent un grain de folie exaltant comme la Doom Patrol de HBO Max. Difficile de faire son trou parmi ces œuvres éclectiques dans un genre super-héroïque faussement exponentiel.

Ainsi, Jupiter’s Legacy pique des idées à droite et à gauche, mais le plus souvent à mauvais escient. On y trouve notamment la laideur numérique de certains films DC (le design du méchant Blackstar copié-collé sur le Darkseid de Zack Snyder) et en même temps l’étalonnage Instagram des productions Marvel Studios. Pire, la série recopie même avec un budget dérisoire des affrontements épiques de ses modèles. Le combat final de l’épisode 1 nous donne l’impression d’assister de nouveau à l’affrontement entre les Avengers et Thanos dans Avengers: Infinity Wars, dans une version plus cheap et qui manque sérieusement d’intensité de mise en scène.

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Globalement, les ambitions de la série dépassent largement le budget alloué par Netflix. Des effets spéciaux aux costumes en passant par le maquillage complètement raté pour vieillir les acteurs, Jupiter’s Legacy donne une impression de série B. Et celle-ci se prend bien trop au sérieux pour profiter d’un côté pulp voire nanardesque involontaire qui donne lieu à des plaisirs coupables, à la manière de The Witcher ou Legends of Tomorrow pour rester dans le thème. Le show tombe aussi dans des écueils trop communs du genre, comme la relation entre puberté et super-pouvoirs, se permettant même de citer le célèbre proverbe d’oncle Ben à Spider-Man sans vraiment creuser le débat autour des responsabilités des super-héros.

Utopian et les autres personnages de la série sont en réalité des archétypes du trope “Good is Dumb”, exprimé à travers leur fameux code d’honneur : ne pas utiliser ses pouvoirs pour tuer, vilain ou non. Ils idéalisent ainsi leur rôle de sauveur de l’humanité et agissent comme des idiots au nom d’une cause plus grande. On comprend la volonté des scénaristes de déconstruire le manichéisme ambiant du genre, mais l’exécution ne suit pas. Les dialogues tournent autour des zones grises pour finalement offrir une conclusion… dichotomique : ne rien faire ou prendre le risque de contrôler le monde.

Avec l’explosion des œuvres dérivées sur tous les supports et le recyclage abusif des grosses licences, on est peut-être devenus trop exigeants avec les productions super-héroïques. Après tout, Jupiter’s Legacy n’est pas non plus un étron sériel : le cast fait le job, la photo est soignée, la mise en scène des combats agréablement lisible et certains abonnés trouveront les huit épisodes plutôt divertissants dans l’ensemble.

Mais au fil des ans, Netflix nous noie de contenus et se contente de plus en plus de productions tout juste passables, histoire de passer le temps, en attendant une énième saison de Stranger Things ou la prochaine mini-série à Emmy type Le Jeu de la dame. Où sont passées les prises de risque comme la noirceur sociale et envoûtante de Daredevil, les thématiques de violences sur les femmes de Jessica Jones ou même le cool désinhibé de The Umbrella Academy ? Il est sûrement temps de rappeler à Netflix qu’une grande série implique de grandes responsabilités.

La première saison de Jupiter’s Legacy est disponible en intégralité sur Netflix.