En saison 3, Killing Eve atteint les limites du “will they/won’t they”

En saison 3, Killing Eve atteint les limites du “will they/won’t they”

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Par Marion Olité

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Ira, ira pas ?

Même quand elle n’a pas grand chose à raconter, Killing Eve a ce petit truc en plus que les autres n’ont pas : le regard inquiet de Sandra Oh, la garde-robe de Villanelle, des méchants mémorables (cette saison, on a fait la connaissance de l’inénarrable Dasha, mentor russe de notre tueuse préférée), un sens du décalage tragicomique et du romantisme épique… La saison 3 qui vient de s’achever reprend cette recette testée et approuvée sur les deux précédentes, si ce n’est que le jeu du chat et de la souris prend des chemins plus diffus. Autrefois cible numéro 1 du MI6 et d’Eve Polastri, qui rêvait de l’attraper (pour lui faire quoi, that is the question), Villanelle s’inscrit désormais dans un rouage aux contours de plus en plus flous. L’intrigue policière n’a jamais vraiment eu ni queue ni tête. La nouvelle saison commençait par l’assassinat de Kenny Stowton, l’un des rares vrais gentils de la série, ex-collègue d’Eve et surtout fils de Carolyn Martens. Les deux femmes vont alors tout mettre en oeuvre pour comprendre ce qui a pu se passer. Et sans spoiler celles et ceux qui n’auraient pas visionné le final, autant vous dire que la résolution de cette enquête est assez déceptive… si vous en attendiez quelque chose. 

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En réalité, on se fout de savoir qui commande ou travaille pour les Twelve, cette organisation criminelle aux multiples ramifications. Elle ne manque pas de faire écho à l’Alliance des Douze présente dans la série d’espionnage culte, Alias, qui retourna à son époque les codes du genre en plaçant sur le devant de la scène une héroïne, Sidney Bristow, capable de tuer des gens sur commande… comme une certaine Villanelle. Mais si la série de JJ Abrams reposait majoritairement sur son aspect thriller et ses multiples mystères, Killing Eve effectue un retournement : c’est son histoire d’amour magnifique et tordue qui nous intéresse, le genre de l’espionnage servant de figure de style, pour raconter le cheminement romantique de ses protagonistes, irrémédiablement attirées l’une par l’autre.

La saison 1 était celle de la rencontre et du premier contact charnel. A la fin, Eve pénétrait Villanelle avec son couteau. Ira. Le jeu du chat et de la souris reprenait de plus belle en deuxième saison, où la tueuse plus accro que jamais entreprenait de conquérir le coeur (à sa façon complètement déjantée), envahissant toutes les pensées de l’agente du MI6. La fin de la saison 2 figurait alors la première rupture, Eve refusant de prendre la fuite avec son “beautiful monster”. L’amante éconduite lui tirait alors une balle dans le dos. Ira pas. 

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Au début de la saison 3, les deux femmes sont plus éloignées que jamais. Puis on assiste à des retrouvailles d’une violence inouïe, dans un bus, qui raconte en réalité la violence des sentiments qu’elles éprouvent l’une pour l’autre. Une scène de combat épique qui se termine par… un baiser cette fois, initié par Eve, ce qui a son importance. Car c’est elle qui possède un passé qu’on devine exclusivement hétérosexuel et c’est elle qui a rejeté Villanelle deux fois. C’est donc à elle de revenir. Un dernier test – la tentative de les séparer quand Dasha fait croire à Eve que c’est “sa” tueuse qui s’en est pris à son mari, Niko – viendra prouver que ces deux-là se connaissent par coeur. La famille se délite plus que jamais dans cette saison, entre le retour au pays d’Oksana qui tourne à la catastrophe dans peut-être le meilleur épisode de la saison (“Are You from Pinner?”, S3E5), l’incompatibilité de personnalités comique entre Carolyn (la toujours géniale Fiona Shaw) et sa fille Geraldine (incarnée par Gemma Whelan), ou encore les relations aussi attendrissantes que malsaines de Konstantin, dans son rôle de père avec sa fille ado ou de substitut paternel avec Villanelle. Plus seule que jamais, notre psychopathe se cherche, ne se trouve pas, veut redevenir Oksana, pense à raccrocher… Que reste-t-il alors ? Eve. Elle est devenue la famille de Villanelle, et il est temps qu’elle l’accepte pour la série puisse entamer une nouvelle (et certes délicate) étape de la vie des deux antihéroïnes : le couple. Ira. 

C’est une suite logique après ce final émouvant, d’une infinie tendresse. Killing Eve nous a montré que le lien qui unissait les deux femmes n’était pas destructible. Elles ont tout essayé, à part être ensemble. Si la saison 4 prend cette direction, il est certain que le pari sera osé, à plus d’un titre. Le premier très gros risque, c’est de casser toute la dynamique de la série. Le trope du “will they/won’t they”, omniprésent dans les séries policières, trouve son origine avec Clair de Lune. Dans cette série des années 80, la tension sexuelle entre les deux flics Maddie Hayes et David Haddison Jr. tenait les spectateur·ice·s en haleine, tout autant que les affaires de meurtre qui s’enchaînaient. Quand les scénaristes décidèrent finalement de les mettre en couple, la série plongea dans les audiences et creuse sa tombe. De X-Files à Bones en passant par Mentalist, le phénomène s’est reproduit de multiples fois. Si elle tente cette issue, Killing Eve risque donc de se suicider narrativement. Mais dans le même temps, elle ne peut plus laisser Eve et Villanelle dans cette indécision permanente, qui ne manque pas de lasser elle aussi, et de virer au queerbaiting (quand les scénaristes proposent un sous-texte homoérotique chargé entre deux personnages du même sexe, mais ne les font jamais passer à l’acte). D’autant plus que ce final de la saison 3 oeuvre doucement mais sûrement vers une reconnaissance mutuelle de leur sentiment, qui culmine lors de cette scène de danse puis dans la séquence finale. D’un autre côté, passer à l’acte, c’est transformer l’ADN d’une série qui repose sur le désir inassouvi. On n’aimerait pas être à la place des scénaristes d’un show qui ne tient qu’à un fil, aussi sublime soit-il. Il serait temps que Phoebe Waller-Bridge revienne mettre son nez dans les script du show qu’elle a crée. 

Jusqu’ici, l’utilisation du trope “will they/won’t they” par Killing Eve s’était révélée inédite parce qu’il s’agit d’un schéma classique dans les séries policières hétérosexuelles. Mais point trop n’en faut. On espère que les scénaristes oseront malgré tout tenter le couple Villanelle / Eve, car pour le meilleur et pour le pire, cette histoire d’amour impossible constitue le coeur de la série. Les personnages secondaires restent plutôt fun (même si j’attendais mieux du personnage de Camille Cottin) mais sonnent de plus en plus creux, car ils ne servent que d’entracte entre les moments que l’on brûle de voir dans chaque saison de Killing Eve : les retrouvailles. 

En France, la saison 3 de Killing Eve est diffusée sur Canal+Séries et MyCanal