La Flamme, de et avec Jonathan Cohen, ou l’hymne à l’humour façon téléréalité

La Flamme, de et avec Jonathan Cohen, ou l’hymne à l’humour façon téléréalité

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Par Delphine Rivet

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Le fleuron de la comédie à la française s'empare des codes des émissions de dating pour le meilleur et pour le pire.

Treize filles, une villa en région parisienne, et un cœur à prendre. Celui de Marc, 36 ans, beau gosse, pilote de ligne et insupportable bouffon, qui cherche l’amour. La Flamme, créée par Jonathan Cohen, Jérémy Galant et Florent Bernard, a été présentée lors de l’ouverture de Canneséries, le vendredi 9 octobre, à un public déjà conquis. Impossible d’échapper à la campagne promotionnelle : le visage de Marc, ce Bachelor de pacotille, est placardé partout depuis quelques jours.

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Lancée ce lundi 12 octobre sur Canal+, cette série parodique est une adaptation fidèle de la websérie Burning Love, produite par Ben Stiller et créée par Ken Marino et Erica Oyama, diffusée sur Yahoo! Screen en 2012. Le célibataire s’appelle toujours Marc, et les candidates sont peu ou prou les mêmes. Mais le public français, qui en grande majorité n’a pas vu l’originale, devrait sans mal y trouver son compte. Après tout, les codes de la téléréalité, et de ce mastodonte de la pop culture qu’est le Bachelor, sont universels.

Si La Flamme ne réinvente pas la roue de la comédie – elle assume d’ailleurs entièrement d’être une copie fidèle de Burning Love –, elle maîtrise en revanche parfaitement la grammaire visuelle et narrative de ce genre de programmes. Tout y est : les confessions face caméra, le panneau générique qui marque les coupures pub, les teasers des prochains épisodes montés à toute allure, les twists, la sur-dramatisation du récit et, bien sûr, les robes de cocktail plus bling que chic des candidates à chaque cérémonie d’élimination. Pour peu qu’on aime ce genre de programmes au second degré, c’est assez savoureux.

Fidèle aux codes de la téléréalité, donc, à un détail près : contrairement à celles du Bachelor et consorts, les prétendantes ont ici chacune leur signe distinctif. Entendons-nous bien, elles restent des clichés sur pattes, comme leurs versions originales. Mais à la différence de leurs frangines du “vrai” monde qui semblent toutes sorties du même moule, on identifie immédiatement Marina, Soraya, Alexandra, Victoire et les autres.

On arrive ainsi à dépasser l’enchevêtrement de stéréotypes sexistes qui sont habituellement associés aux pauvres âmes prises dans le filet du jeu et qui se résume bien souvent à nous présenter les filles comme des saintes romantiques ou des putes qui ne reculent devant rien. Ici, elles ont donc ce petit quelque chose en plus qui vient nourrir le burlesque de cette compétition avilissante : l’une a un cœur de singe et pousse des petits cris de macaque, une autre est lesbienne et donc parfaitement désintéressée par notre pilote célibataire, une autre enfin se balade la chatte au vent, se moque éperdument du jugement d’autrui et est surtout là pour s’envoyer en l’air.

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Dès le premier épisode, la série signe un pacte avec nous : abandonne ton cerveau, toi qui entres ici (si vous nous permettez ce léger coup de griffe à la fameuse citation de la Divine Comédie). Le Bachelor, comme les autres ersatz du genre, a toujours été le bastion de l’hétérosexualité portée en triomphe par des codes patriarcaux d’un autre monde. Pendant longtemps, il n’a été question que d’un homme “goûtant” chaque candidate avant de les jeter une par une sans ménagement. Et même avec l’arrivée de la première Bachelorette, le double standard avait la peau dure. La polygamie est plus universellement acceptée que la polyandrie.

Ce genre d’émissions est le théâtre des pires humiliations pour les femmes qui se prêtent au jeu, encouragées (et manipulées par la production) à se piétiner les unes les autres pour la validation d’un homme. Unreal, au moins durant sa première saison, exposait magistralement l’hypocrisie de ce type de téléréalité où la décence (et l’amour) meurt sur l’autel de l’audience.

La Flamme n’est pas dans cette démarche, et c’est très bien comme ça. Elle ne prétend pas être autre chose que ce qu’elle est : du pur divertissement. Et ce n’est pas un gros mot, c’est même un rôle assez noble surtout en cette période anxiogène. La Flamme ne dénonce rien, si ce n’est la goujaterie et la bêtise de son héros, elle revendique juste le droit de rire de tout, même si ça tache. Surtout si ça tache.

Mais ce refus de se prendre au sérieux atteint ses limites quand il ignore volontairement les évolutions et progrès sociétaux. Le monde a tellement changé depuis 2012, date de diffusion de Burning Love, et pourtant, La Flamme a choisi de conserver certaines vannes, au mieux éculées, au pire offensantes. L’exemple le plus flagrant est celui d’Orchidée, la femme trans, personnage campé par un homme cis Youssef Hajdi. Le ressort comique repose ici essentiellement sur le fait que ce pauvre bougre de Marc est le seul à ne pas voir le “subterfuge”.

En 2020, montrer les femmes trans comme étant des créatures hyper sexuelles avec une grosse voix, des poils sur les bras et surtout un “truc à cacher” (leur pénis), c’est très problématique quand on connaît les risques qui pèsent sur ces personnes lorsque leur transidentité est révélée.

On déplore également les petits tacles assénés au “politiquement correct” qui nous apparaissent, eux aussi, un peu fainéants. Mais au moins, le présentateur, incarné par Vincent Dedienne, annonce la couleur dès le départ : “Dans la vraie vie, un homme qui mettrait une quinzaine de femmes en compétition serait considéré comme un immonde porc dégueulasse. Mais ici ce n’est pas la vraie vie, bienvenue dans La Flamme !”

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Fort heureusement, la série a d’autres atouts dans sa manche, et notamment son incroyable casting. À l’instar de Burning Love, La Flamme convoque une galerie d’actrices au talent comique indéniable. Doria Tillier est bluffante en Valérie, candidate hyper sensible qui jure ne pas avoir pété pendant la cérémonie d’élimination ; Leïla Bekhti, terrifiante en Alexandra, une psychopathe prête à tuer pour s’attirer les faveurs de Marc ; Ana Girardot est Anne, prototype de la femme parfaite n’inspirant pourtant au célibataire qu’un mépris le plus profond ; ou encore Camille Chamoux, qui campe une femme libre et très en phase avec ses désirs, l’inoubliable Chataléré.

Et si les filles mettent la barre assez haut, les garçons de la série ne sont pas en reste. Le timing comique impeccable et le sens de l’impro gênante de Jonathan Cohen offrent quelques grands moments burlesques. Il se fait toutefois voler la vedette dans les scènes qu’il partage avec Pierre Niney lors de séances hilarantes chez le Dr Juiphe, le psy délicieusement incompétent du célibataire. 

Vu le quotient sympathie de Jonathan Cohen, décidément sur tous les fronts en ce moment (au cinéma avec Énorme, et dans une autre série, sur Netflix cette fois, Family Business), on ne doute pas une seconde que le public de Canal+ sera au rendez-vous et qu’une saison 2 verra le jour. L’équipe, présente à Canneséries et à qui nous avons pu poser la question, nous assurait en tout cas qu’ils réfléchissaient déjà à la suite avec, pourquoi pas, une Bachelorette à l’affiche.

La première saison de La Flamme est diffusée actuellement sur Canal+.