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La Guerre des mondes : une adaptation moderne et introspective du roman de H. G. Wells

La Guerre des mondes : une adaptation moderne et introspective du roman de H. G. Wells

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©Canal+

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Par Adrien Delage

Publié le

Cette coproduction européenne a opté pour une transposition intimiste et quasi antispectaculaire de l'œuvre britannique culte.

En pleine ère de Peak TV, il arrive régulièrement que des séries se marchent dessus en ayant des thèmes communs. En revanche, il est plus rare que deux diffuseurs sortent en même temps l’adaptation du même livre. C’est pourtant le cas de la BBC et de Canal+, au coude à coude pour sérialiser La Guerre des mondes de H. G. Wells, un roman qui a déjà été le sujet de nombreuses réinterprétations : une émission de radio à la fin des années 1930, une mini-série éponyme en 1988, le film de Steven Spielberg en 2005…

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Si la BBC retourne aux origines de l’œuvre, avec une intrigue qui se déroule dans l’Angleterre édouardienne, la coproduction entre Canal+ et Fox Networks Group se veut contemporaine, eurocentrée et multiculturelle, avec la présence d’acteurs américains au casting.

L’histoire du roman qu’on connaît tous ne change pas, dans les grandes lignes : des extraterrestres lancent une invasion sur la Terre, afin de coloniser la planète et d’éliminer l’espèce humaine. Privés de vivres, de moyens de communication et de transport, les survivants vont devoir s’organiser et apprendre à se défendre pour repousser l’envahisseur.

Des aliens et (surtout) des Hommes

Ⓒ Joss Barratt/Urban Myth Films

À première vue, tout spectateur lambda pourrait se dire que La Guerre des mondes sera le blockbuster SF de la rentrée chez Canal+. Il n’en est rien, et il fallait se tourner vers les coulisses du projet pour tenter de le deviner. En effet, l’homme à la tête du show n’est autre qu’Howard Overman, le créateur de Misfits, Atlantis et Crazyhead. Un showrunner habitué à concocter des séries ambitieuses avec des petits budgets, et qui privilégie toujours ses héros et leurs démons intérieurs au spectaculaire des scènes d’action, peu importe les genres (super-héros, fantasy, comédie horrifique, SF avec Future Man…).

À la manière de ce qu’a pu devenir The Walking Dead et ses zombies, La Guerre des mondes est avant tout une série de personnages et d’introspection. Si le show commence bien par une invasion extraterrestre, ces derniers ne sont jamais au premier plan et pratiquement invisibles dans les premiers épisodes. À l’inverse, Overman multiplie les personnages pour transformer La Guerre des mondes en une série chorale, avec des pointures à leur tête : Léa Drucker (Le Bureau des légendes) et Adel Bencherif (Ad Vitam) côté Gaulois ; Gabriel Byrne (Vikings) et Elizabeth McGovern (Downton Abbey) chez nos voisins d’outre-Manche.

Rapidement, on prend conscience que l’aspect SF de la série n’est qu’un prétexte pour étudier les blessures et séparations entre couples, amis et familles. La métaphore n’est pas toujours subtile, notamment via la tempête magnétique des aliens qui détruit les moyens de communication terrestres, et vient donc appuyer le mutisme entre les protagonistes. Mais la sauce prend grâce à des comédiens impeccables et un pilote haletant de bout en bout. Si les dialogues français ne sonnent pas toujours justes, surtout dans les moments d’émotion, la dynamique entre Byrne et McGovern rattrape ces faiblesses.

Ⓒ Joss Barratt/Urban Myth Films

Avec cette Guerre des mondes, on comprend également que le message d’Overman est plus politique qu’historique. Là où H. G. Wells profitait de l’invasion extraterrestre pour critiquer l’oppression des colonies britanniques, le créateur de Misfits en profite pour créer un monstre sans-visage. Au spectateur de choisir si l’attaque alien est une allégorie écologique (comme les Marcheurs blancs dans Game of Thrones), un cri d’alerte à l’égard du Brexit ou bien un avertissement sur l’abrutissement général lié aux nouvelles technologies. La série fait appel à l’imaginaire du spectateur et c’est bien tout ce qui fait le charme de cette adaptation.

En revanche, les lecteurs et les sériephiles moins patients pourront juger que cette Guerre des mondes manque de mordant. La série aurait pu trouver un meilleur équilibre entre action et intimisme, surtout après les débuts prometteurs de l’attaque dans l’épisode 1, avec sa tension gérée de bout en bout et une mise en scène qui traduit bien le sentiment d’urgence. On a parfois l’impression que cette adaptation trahit son aspect fantastique voire son matériau de base à trop vouloir se moderniser : l’absence totale de Tripods, robots destructeurs emblématiques de l’œuvre originale voire de la pop culture, équivaut à faire disparaître les sabres laser de Star Wars.

Partis pris contemporain et humaniste sur une menace venue de l’espace, La Guerre des mondes version Howard Overman a des qualités indéniables et une intelligence d’adaptation appréciable. Toutefois, elle ne réinvente pas les codes de la survie et s’écarte parfois trop de son univers originel, qui a pourtant fasciné des dizaines d’auteurs et de scénaristes de science-fiction. À vous de juger si une plongée antispectaculaire et introspective dans l’imaginaire de H. G. Wells vous convient davantage qu’un blockbuster spielbergien, même si on attendra l’équilibre parfait entre les deux pour choisir un gagnant et mettre un terme à cette guerre des adaptations.

La première saison de La Guerre des mondes est disponible en intégralité sur Canal+ Séries.