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Portée par Laura Smet, La Garçonne a des ambitions mais manque de moyens

Portée par Laura Smet, La Garçonne a des ambitions mais manque de moyens

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Par Marion Olité

Publié le

Ce qu'on a pensé de la série historique de France 2.

C’était l’un des événements de la rentrée côté séries françaises. Cette semaine, France 2 a lancé une nouvelle fiction historique, baptisée La Garçonne. Créée par Dominique Lancelot, avec également à l’écriture Marie-Anne Le Pezennec et Alexandra Juilhet, cette série composée de six épisodes nous plonge dans le Paris des Années folles à travers l’histoire de Louise Kerlac. Témoin d’un meurtre commis par des agents de l’État, elle doit disparaître. Pour réussir à se disculper dans cette affaire où elle a été piégée, elle va se faire passer pour son frère et entrer à la Criminelle, un rêve qu’elle a toujours eu.   

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Pour se laisser entraîner dans cette histoire, il faut donc accepter de croire que Laura Smet peut passer pour un homme. Sa transformation aurait mérité un peu plus de scènes pour qu’on y croit vraiment. Elle est réduite ici à une minute, au demeurant fort intéressante, durant laquelle le personnage se construit son look et une démarche masculine. Mais après tout, si Superman peut se faire passer incognito pour Clark Kent en mettant des lunettes, Laura Smet peut bien passer pour un homme du XXe siècle en se coupant les cheveux et en enfilant un chapeau vintage.

Elle incarne donc un personnage féminin qui essaie de se faire passer pour un homme. Ce qui sous-entend qu’elle doit être crédible en version masculine, mais pas trop non plus pour garder une tension autant chez la protagoniste que dans la dynamique narrative (on doit avoir peur qu’elle se fasse démasquer). Avec un jeu minimaliste, l’actrice s’en sort plutôt pas mal dans ce rôle casse-gueule. Malheureusement, elle n’est pas aidée par un scénario paresseux, le choix de dialogues contemporains qui sonnent anachroniques (on a plus l’impression d’une facilité que d’un véritable parti pris artistique) et des partenaires de jeu pas franchement à sa hauteur, excepté peut-être Grégory Fitoussi, un habitué des séries françaises de bonne qualité (Engrenages, Les Hommes de l’ombre).

Laura Smet apporte un petit côté Mata Hari à son personnage aux identités multiples (Louise, Antoine et Gisèle) qui fonctionne bien. Ses transgressions et sa performance du genre masculin / féminin – elle infiltre aussi le milieu mondain parisien de l’époque dans la peau d’une it-girl de l’époque surlookée – résonnent fortement avec notre époque, où la déconstruction des genres (le fameux “On ne naît pas femme : on le devient” de Simone de Beauvoir vaut aussi pour les hommes) se trouve au cœur de la dernière vague féministe portée par #MeToo.

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Le bât blesse esthétiquement. La Garçonne n’a clairement pas bénéficié du même budget reconstitution que Le Bazar de la charité, autre série historique mettant en scène des trajectoires féminines émancipatrices et diffusé à la rentrée 2019 sur TF1 et Netflix. Difficile de plonger complètement dans l’ambiance quand on a l’impression de déceler un bout du décor dans une scène, ou un pantalon H&M. La richesse d’une série tient aussi à l’importance que l’on accorde aux personnages secondaires. Mal desservis par des dialogues cousus de fil blanc, ils se révèlent ici assez mauvais, à l’exception de Lilly-Fleur Pointeaux. Et puis le versant policier de la série s’avère assez anecdotique, si bien qu’on se fiche presque d’attraper “les méchants” dans cette histoire.

Et la série d’empiler les scènes trop convenues, qui manquent de chair pour qu’on y croit vraiment. Pourtant de la chair, il y en a, enfin surtout de la chair féminine. Pour une série créée et écrite par des femmes et centrée sur une inversion des genres, on était en droit d’attendre un regard différent, peut-être même un female gaze. Il transparaît parfois, mais reste à l’état potentialité. Différentes scènes filment des corps féminins dénudés (certes moins sexualisés qu’habituellement ou pas de la même manière, comme lorsque Laura Smet se fait lourdement draguer par une femme bisexuelle plus âgée qu’elle), parfois en full frontal, tandis que les corps masculins n’ont pas droit au même traitement (du moins pas dans les deux premiers épisodes visionnés) et restent habillés. 

France 2 tenait là une série à la fois divertissante, d’actualité et au sous-texte passionnant. Mais si les intentions sont louables, il faut se rendre à l’évidence : La Garçonne n’a pas les moyens de ses ambitions, et c’est bien dommage. Reste donc Laura Smet. Sa performance convaincra peut-être les spectateur·ice·s, venu·e·s en masse suivre les deux premiers épisodes (4,5 millions de téléspectateurs) de la suivre dans le reste de ses aventures.