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Les Nouvelles Aventures de Sabrina s’achèvent sur une note amère

Les Nouvelles Aventures de Sabrina s’achèvent sur une note amère

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Par Delphine Rivet

Publié le

L'apocalypse n'a pas eu lieu, mais dans nos cœurs c'est un peu The Void.

La quatrième et dernière saison des Nouvelles Aventures de Sabrina arrivait à pic pour terminer avec panache cette année 2020, ou pour débuter 2021 pour celles et ceux qui ont sagement attendu les douze coups de minuit pour la binge-watcher. L’enthousiasme était de mise. Les séries qui nous ont accompagné·e·s durant cet annus horribilis ont été un refuge bienvenu et ce, que la qualité soit au rendez-vous ou non : l’important, c’était surtout d’échapper à l’ennui et au réel. Ce dernier chapitre de Sabrina, c’était ça : la promesse d’une évasion et un gros “fuck you” à la réalité.

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Huit épisodes nous attendaient, plein de monstres et de sang qui gicle, plein d’ados sexy aux hormones en feu, plein de magie, de puissantes sorcières aux lèvres carmin… Est-ce que la série, dans un ultime effort pour nous divertir, a rempli son rôle d’échappatoire ? Absolument ! Mais est-ce qu’elle tire sa révérence sur une note positive ? Pas vraiment. On aurait aimé vous dire oui, on aurait voulu passer totalement outre ses maladresses… Hélas, la sortie de Sabrina s’est faite en titubant.

Attention, spoilers droit devant !

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Tout au long de ce dernier chapitre, et plus encore qu’à l’accoutumée, la série a semblé bien embarrassée par les sous-intrigues qu’elle a elle-même posées là. Ce qui a eu pour conséquence d’utiliser les personnages secondaires souvent à mauvais escient, mais nous y reviendrons. Histoire de résumer en une phrase cette saison : Sabrina et les siens ont huit Eldritch Terrors à affronter pour empêcher l’apocalypse. La dernière, et donc le point culminant de la série, The Void, s’est avérée une vraie déception. Le décor est d’ailleurs le même que celui de l’au-delà – lequel rappelle furieusement l’esthétique de la salle d’attente de The Good Place – et on aurait dit une exposition de mauvaises œuvres d’art contemporain. Ce qui aurait dû être l’ultime challenge est hélas moins impressionnant, visuellement et métaphoriquement, que tous les autres Eldritch Terrors.

On en arrive à l’élément qui a fait bondir certain·e·s fan : la résolution. Sabrina choisit de se sacrifier pour empêcher la fin de tout. Une noble décision s’il en est, mais pas vraiment en accord avec tout ce qui l’a précédée. Pour une série qui nous a habitué·e·s à ce que rien ne soit jamais irréversible, pas même la mort, elle a opté pour une sortie plutôt surprenante et pas très cohérente. Ce que cette saison 4 a tenté d’établir, dans les derniers épisodes, c’est l’idée que Sabrina prenait soudain conscience d’avoir bien souvent agi au mépris des conséquences. Elle aurait enfin compris que son comportement était parfois égoïste, d’où son sacrifice, qu’elle accepte sans broncher.

On peut d’ailleurs faire un parallèle avec Buffy, dans l’épisode “The Gift”, qui marquait la fin de la saison 5, puisqu’elle aussi choisissait de se jeter dans le vide afin de sauver les siens (sa petite sœur en premier lieu) et d’empêcher l’apocalypse. Mais la comparaison s’arrête là. Car s’il n’a jamais été fait mystère de la nature sacrificielle de Buffy et de sa mission de martyre, Sabrina, elle, a toujours eu une approche plus… feel good et moins définitive. Manié avec précaution, le deus ex machina faisait toujours son entrée au moment opportun chez la jeune sorcière : le fameux “Wait, there’s another way !”. Même le plus méchant des méchants, que ce soit Father Blackwood ou Lucifer en personne, et en dépit de leurs plans parfaitement diaboliques, avait droit à ses touches d’humour, ce qui le rendait presque impossible à détester totalement. Bref, l’amour et la sororité finissaient toujours par triompher, et chaque saison qui passait, nos sorcières devenaient encore plus puissantes.

Pourtant, dans son ultime épisode, Sabrina opte donc pour une fin radicale, et, pensant terminer sur une note plus douce, culmine dans sa maladresse en assimilant le suicide de Nick (il lui dit être allé “nager dans la mer du chagrin”) à un acte superbement romantique, façon Roméo et Juliette. Netflix avait déjà été accusé de glamouriser le suicide chez les ados avec 13 Reasons Why, mais le géant du streaming et le showrunner pouvaient au moins arguer que la série tentait de mettre des mots (et hélas des images) sur ce genre de drames. Ici, avec Sabrina, il sera difficile de se planquer derrière un message de prévention (qui est totalement absent du discours). Cette incapacité à maintenir à flot une œuvre aussi riche est vraiment un superbe gâchis.

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Sabrina a toujours mieux fonctionné sous sa forme épisodique, avec le monstre de la semaine, le happy end et l’insouciance de la jeunesse qui va avec. Et en cela, la saison 4 a su construire, crescendo, sa mythologie apocalyptique. Bâtir des intrigues sur le long terme n’a jamais été son point fort. Elle aurait pu grandement bénéficier de s’en rendre compte dès le départ. On reconnaît toutefois à la série le mérite de s’être arrêtée à temps. C’est très compliqué, à chaque saison, de trouver une nouvelle fin du monde à éviter. À la longue, ce serait même franchement lassant… les frères Winchester savent de quoi on parle. Et en parlant d’eux, on ne peut s’empêcher de voir un hommage à “The French Mistake” de Supernatural dans l’épisode 7.

Mais surtout, Sabrina nous a offert un univers gothique, au charme désuet mais au discours moderne, avec un bestiaire aussi riche que fabuleux, et une galerie de femmes puissantes comme on en voit hélas trop rarement sur nos écrans. Rendons donc un dernier hommage à celles qui nous ont ensorcelé durant quatre saisons : Kiernan Shipka, qui s’est réapproprié un rôle que l’on croyait un peu dépassé et en a fait une héroïne contemporaine à laquelle s’identifier. On pense aussi à Michelle Gomez, incandescente dans la peau de Lilith et timorée dans celle de Ms Wardwell ; Miranda Otto et Lucy Davis, en tante Zelda et tante Hilda ; Tati Gabrielle, aka la vénéneuse Prudence Blackwood, femme complexe et sorcière déterminée à qui la série n’a pas toujours su rendre justice.

Et elle n’est hélas pas la seule dont l’aura a été éclipsée par la place que prenait Sabrina. Certes, elle est l’héroïne qui donne son nom à la série, mais le mauvais usage des personnages secondaires trahit souvent un manque de maturité dans l’écriture. Une scène de la dernière saison semble résumer assez bien ce problème : dans l’épisode 4, Sabrina et Roz se présentent comme coprésidentes du lycée de Greendale. Dans un discours de campagne enflammé, Sabrina promet de combattre le patriarcat dans ses moindres recoins, en tant que féministe accomplie, et de porter la voix des marginaux·ales et des opprimé·e·s… Roz, sa colistière, est tout juste invitée à clamer son nom et partager l’attention à la toute fin du laïus empouvoirant.

Cette scène, pas très heureuse, c’est un peu l’incarnation de ce qu’a essayé de faire la série sur le front de l’intersectionnalité. Avec une naïveté tantôt touchante, tantôt déconcertante, et en dépit de certaines maladresses, Sabrina a toutefois eu ce mérite de confier des rôles de sorcières puissantes, figure féministe par excellence, à des femmes noires, de joliment mettre en scène le coming out trans de Theo, incarné par l’acteur·ice non binaire Lachlan Watson, et de lui offrir une histoire d’amour trop mignonne. Des initiatives positives mais hélas un peu étouffées dans l’ultime saison qui a concentré tous ses efforts sur, non pas une, mais deux Sabrina, et n’a laissé que des miettes à son entourage.

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L’utilisation paresseuse de la jumelle maléfique – ici dans un sens plus figuré que littéral puisque Sabrina Morningstar est la fille du Diable, mais est une personne tout à fait adorable – était vouée à l’échec. Il ne pouvait en rester qu’une, et pas besoin d’avoir le “cunning” (le don de clairvoyance de Roz) pour comprendre que la dernière arrivée serait celle à sacrifier en premier. Les deux frangines n’ont finalement pas offert autant de fun qu’espéré. La déception venant surtout du fait que ce bon vieux trope a, sans la moindre originalité, beaucoup servi aux sous-intrigues amoureuses. L’illusion et leur secret ne tenant qu’à la couleur du bandeau qu’elles ont dans les cheveux, ça a donné des répliques aussi nunuches que “mais, Sabrina, depuis quand tu portes un bandeau rouge ?”. Soupir…

Heureusement, on peut tirer quelques maigres satisfactions de cette dynamique : le duo met en exergue la solitude ressentie par notre héroïne et est aussi un vecteur de chaos. Un bon point pour la série qui a misé sur ces deux éléments sur le moyen terme, et le pari s’avère payant à mesure que l’on approche de la fin. De toute la saison 4, elles forment, symboliquement, la plus belle relation, là où les autres, établies depuis plus longtemps, nous ont laissé sur notre faim. Sabrina et Sabrina, les deux âmes sœurs dont le simple fait de coexister provoquait la fin du monde. Le plus bel hommage que l’on aurait pu faire au sacrifice de Morningstar aurait été de laisser vivre Spellman, entourée de l’amour des siens, mais amputée de sa moitié. Les scénaristes ont préféré une autre voie. Nous, on choisira de se souvenir de ces quatre saisons, certes inégales, d’un univers fantastique dans lequel il faisait bon s’évader.

Les Nouvelles Aventures de Sabrina sont à voir ou revoir sur Netflix.