Little Fires Everywhere, un Desperate Housewives sur fond de tensions raciales

Little Fires Everywhere, un Desperate Housewives sur fond de tensions raciales

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Par Florian Ques

Publié le

Reese Witherspoon et Kerry Washington s'écharpent pour notre plus grand bonheur, dans cette adaptation globalement réussie.

La question raciale, ainsi que les rapports de force qui en découlent, est placée sur le devant de la scène depuis plusieurs années, aussi bien sur le grand que le petit écran. Pendant que The Hate U Give met en exergue les violences policières ciblant en majeure partie les citoyens afro-américains, la mini-série When They See Us dénonce le système juridique biaisé que l’on observe (souvent) outre-Atlantique, souvent en défaveur des personnes racisées. Les grandes injustices sont enfin pointées du doigt. Little Fires Everywhere, elle, s’intéresse surtout au racisme ordinaire, une autre forme d’injustice bien plus insidieuse et répandue.

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Ohio, fin des années 1990. À Shaker Heights, banlieue résidentielle huppée, deux familles entrent en collision. D’un côté, les Richardson, blancs, bien sapés, éminemment bourgeois. De l’autre, les Warren, une mère célibataire noire et son adolescente, issues d’un milieu plus modeste. Lorsqu’Elena, la matriarche du clan Richardson, accepte de louer son appartement secondaire à Mia Warren, elle est loin de se douter qu’un choc culturel et racial est sur le point de se produire. Un cataclysme progressif, qui va secouer tout leur microcosme, alors qu’une affaire va impliquer toute la communauté locale.

Après le visionnage des trois premiers épisodes – dévoilés d’une traite sur Hulu aux US –, cette nouvelle production sérielle se présente comme une sorte de Desperate Housewives… si la série iconique de Marc Cherry avait été ouvertement engagée avec un propos fort. Moins drôle, mais pas forcément dénuée de légèreté, Little Fires Everywhere dépeint comment un quartier propret et friqué des États-Unis, un peu à la Wisteria Lane, est le terreau d’une forme de racisme tristement banalisé.

À travers deux destins croisés, on est face à un carambolage sociétal où deux classes se heurtent l’une à l’autre. La première est représentée par Elena, la bourgeoisie pure. Interprétée avec justesse par Reese Witherspoon, qui incarne peu ou prou une version assagie de son personnage dans Big Little Lies. Très portée sur les apparences et le qu’en-dira-t-on, elle essaie constamment de se donner bonne conscience en aidant les gens qui ne sont pas comme elle. En l’occurrence, Mia, son exact opposée.

Artiste menant une vie très carpe diem, Mia – jouée par une Kerry Washington en forme – est un électron libre habitué aux galères de la vie. Elle est une nomade affirmée, passant d’une ville à une autre dès qu’elle a trop pris racine, n’en déplaise à sa fille et la soif de stabilité que cette dernière nourrit. Si Elena fait beaucoup de manières et cultive une façade bien sous tous rapports, Mia n’a que faire des convenances et existe, tout simplement. Les deux ne pourraient être plus différentes. C’est justement grâce à ce fossé entre elles deux que Little Fires Everywhere réussit à poser un regard intéressant sur la société états-unienne.

Les tensions raciales sont présentes sur plusieurs niveaux au fil de la série. Entre les deux héroïnes, comme on a pu le soulever, mais aussi chez leurs enfants. Pour un essai censé lui garantir une entrée à l’université prestigieuse de Yale, Lexie, la fille aînée d’Elena, s’empare d’une histoire tragique arrivée à Pearl, la fille unique de Mia. L’air de rien, elle explique que “quand quelque chose comme ça arrive à l’un d’entre nous, c’est comme si ça nous arrivait à tous, que tu sois Noir ou une fille ou les deux”. Sauf que… pas vraiment, non, et c’est ce que la série va s’efforcer à faire comprendre.

Lexie, comme sa mère, est biaisée. Sous couvert de bonne volonté, elle amoindrit le vécu de sa camarade et s’approprie son discours. La famille Richardson dans son ensemble représente ces personnes qui s’intéressent à la condition des individus noirs, mais ne veulent pas entendre leur vision des choses. Elena prétend comprendre Mia parce qu’elle est ouverte d’esprit, mais ne réussit pas pour autant à faire usage de cette ouverture d’esprit. Il n’y a aucune performativité dans sa démarche et c’est ce schéma pernicieux que reproduit sa fille. En ça, Little Fires Everywhere montre avec une ferveur louable que le racisme relève en grande partie de l’éducation qu’on reçoit.

Cependant, on pourrait reprocher à la série son manque de finesse dans certaines scènes, trop criantes dans leur volonté d’éveiller les consciences. Heureusement, cet aspect-là est contrebalancé par le face-à-face brûlant entre Reese Witherspoon et Kerry Washington. Dès que les deux actrices se donnent la réplique, une tension immédiate se crée. On a l’impression que le petit monde de Little Fires Everywhere frôle l’implosion dès que l’une d’elles prend la parole. Chaque échange est criblé de sous-entendus, apportant une subtilité autrement absente dans la narration.

Tirée du best-seller de Celeste Ng, Little Fires Everywhere peut se vanter d’être une adaptation somme toute aboutie, bien que moins délicate que le roman dont elle s’inspire. Cela dit, elle compense cette dimension-là par une cadence efficace et un tandem d’actrices impeccable. Il n’y a plus qu’à prier pour que la série se dégote un diffuseur dans notre Hexagone.

Little Fires Everywhere est diffusée sur Hulu depuis le 17 mars aux États-Unis.

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