Mixte, une rencontre gagnante entre Sex Education et La Bonne Épouse

Mixte, une rencontre gagnante entre Sex Education et La Bonne Épouse

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Par Marion Olité

Publié le

Une jolie surprise à découvrir sur Amazon Prime Video.

En France, on aime beaucoup les fictions d’époque à teneur sociétale. Il est plus facile de regarder dans le rétro et d’être choqué par les mentalités d’antan que de se regarder dans la glace, en particulier quand on aborde les sujets toujours terriblement d’actualité du racisme ou du sexisme. La sympathique comédie La Bonne Épouse, qui a cumulé plus de 600 000 entrées au box-office français en 2020, tombait dans cet écueil. Calibré comme un divertissement grand public et porté par un casting séduisant (Juliette Binoche, Yolande Moreau ou encore Édouard Baer), le film de Martin Provost racontait la libération d’un groupe de femmes en 1967, alors qu’elles œuvrent en tant que professeures ou élèves dans une école ménagère qui apprend aux jeunes filles à devenir de parfaites femmes au foyer.

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Gentiment féministe, la comédie dénonçait les carcans de l’époque, mais en prenant bien soin de les enrober sous une bonne couche d’humour et de lisser son discours sur la forme (une mise en scène surannée) comme sur le fond. Mis à part quelques groupes masculinistes, les mentalités ont évidemment évolué en 2020 et le sexisme décomplexé des années 1960 est majoritairement condamné. Cela ne signifie pas qu’il a disparu, seulement qu’il a changé de forme. Certaines idées féministes considérées comme audacieuses à l’époque – les femmes ont le droit de travailler, d’être célibataires, de choisir le ou partenaire de leur choix, de ne pas être cantonnées à un travail domestique – sont en effet devenues hégémoniques, soixante ans plus tard. Alors, quelque part, est-ce que le film ne nous demandait pas de rire de l’oppression de nos grands-mères et arrière-grands-mères, trop attachées à leur tradition, trop zélées à satisfaire les hommes ?

En attendant, le succès de films comme La Bonne Épouse et d’autres œuvres d’époque, comme Les Choristes en son temps, a prouvé que le public français est friand de ce genre de fictions. Rien d’étonnant, donc, à voir débarquer Mixte sur Amazon Prime Video (dont la première tentative de série originale française était le cuisant échec Deutsch-les-Landes). Créée et écrite par Marie Roussin (qui a travaillé sur Un village français et Les Bracelets rouges), elle place son action en 1963, au lycée Voltaire. Jusqu’ici réservé aux garçons, il accueille pour la première fois onze filles. C’est le début de la mixité scolaire en France et, évidemment, cela ne va pas sans résistances conservatrices et bouleversements de part et d’autre, qui aboutiront à la révolution de 1968. On suit la trajectoire d’une poignée d’élèves, en particulier celle de Michèle, Simone et Annick.

Les premiers épisodes de Mixte ne nous épargnent pas les situations de sexisme révoltant et frontal auxquelles font face les nouvelles arrivées. Toutefois, contrairement à La Bonne Épouse, la série adopte une tonalité dramatique nécessaire quand il s’agit d’aborder les questions du harcèlement scolaire, de la violence du système patriarcal et des normes sociales de l’époque. On ne rit pas de ses héroïnes, mais avec elles quand les situations s’y prêtent, les épisodes trouvant le juste équilibre entre drame et comédie. Il faut dire que si la série est réalisée par deux hommes – Alexandre Castagnetti et Édouard Salier –, elle a été produite et écrite par une majorité de femmes, ce qui transparaît dans le récit.

Les personnages féminins brillent par leur complexité et leur richesse, autant du côté des élèves que des adultes. Écrits avec finesse, ils sont brillamment incarnés, notamment par Anouk Villemin, irrésistible dans le rôle de Simone, jeune femme issue d’une famille de pieds-noirs (les Français originaires d’Algérie), dont l’humour, la vivacité et le désir de liberté emportent tout sur leur passage. Léonie Souchaud et Lula Cotton-Frapier ne sont pas en reste dans les rôles de Michèle, jeune fille en pleine crise d’adolescence issue d’une famille de charcutiers conservateurs et hostiles à sa scolarisation, et d’Annick, la belle gosse du lycée, qui se bat au quotidien pour assurer dans ses études et prendre soin de sa mère célibataire.

La série brosse également de jolis portraits masculins, de Henri Pichon (excellent Nathan Parent), cible des bullies de l’établissement, à Alain Laubrac (Gaspard Meier-Chaurand), jeune homme issu de la classe ouvrière pour qui réussir son année est une nécessité absolue et qui doit travailler dans une ferme en même temps que ses études. Portée par cette troupe de jeunes talents attachants, Mixte brasse ainsi avec pertinence des thématiques liées à la classe et aux privilèges, au féminisme et au racisme (de façon plus légère). La violence d’un avortement, les premières règles et autres émois orgasmiques font partie des séquences les plus réussies et réalistes de la série.

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L’épisode 5, consacré à Jeanne Bellanger (Maud Wyler), la femme du surveillant général Paul (Pierre Deladonchamps), suit ce personnage de femme lesbienne au placard, dont le mariage est une couverture, pendant une journée et une nuit. Ses rares moments de liberté sont vite entachés par les violences homophobes et les discriminations qui pourraient lui coûter son travail d’infirmière au lycée Voltaire. Mixte raconte en creux le poids écrasant des conventions de l’époque et la culture dévastatrice de la réputation et de la rumeur.

Le personnage de Paul est, lui, presque trop positif : attaché au principe de justice et d’équité, il évolue très vite, prenant régulièrement la défense des jeunes filles et développant même un contre-discours à une réaction masculine typique, à savoir blâmer la victime (les femmes en général). Dans une scène, il rabroue ainsi l’un de ses élèves machistes, Jean-Pierre (Baptiste Masseline, clairement la réincarnation d’Alain Delon jeune). En probation pour avoir violemment agressé un autre élève qui s’en prenait à sa sœur, ce dernier finit par blâmer… sa sœur Michèle pour sa réaction violente qui met en péril son avenir scolaire. Paul lui répond dès le premier épisode de la série : “C’est à vous de savoir vous tenir. C’est à vous de changer.” Le personnage peut ainsi passer pour “le sauveur de ces dames” mais, dans le même temps, on rêve que dans la vraie vie, un homme, qui plus est un personnel du corps enseignant, tienne un discours pareil à ses élèves masculins.

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Sur la forme, Mixte ne s’endort pas sur ses lauriers non plus. La reconstitution des années 1960, crédible, n’a pas un instant l’air kitsch. La série adopte un style mouvant et solaire (les différentes histoires d’amour sont mises en scène avec délicatesse et un beau travail est fait sur la lumière selon les duos) pour accompagner les émois de ses jeunes protagonistes. Les choix musicaux, étonnants, distillent du rock esprit 60’s mais aussi des chansons plus contemporaines, et ça fonctionne. Composée par Fred Avril, la bande originale énergique comprend des compositions originales et des standards comme “Salut les copains” (Michel Colombier, 1962) ou des hits plus récents comme “Dimestore Diamond” (Gossip, 2009).

Si elle n’est pas exempte de petits bémols liés à son calibrage pour un public large (l’histoire entre Paul et la prof d’anglais Camille Couret, incarnée par Nina Meurisse, nous fait un peu bayer aux corneilles… Pris indépendamment, les deux personnages sont plus intéressants), Mixte est en fait une excellente surprise, qui parvient à ne pas tomber dans les écueils du genre historique et reprend les codes du teen drama avec intelligence. Contrairement à l’expérience de mixité du lycée Voltaire, constamment menacée lors de cette première saison, on espère que l’avenir de la série sera vite assuré par un renouvellement pour une deuxième saison.

La saison 1 de Mixte, composée de huit épisodes de 30 à 40 minutes, est disponible sur Amazon Prime Video.