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Montre jamais ça à personne : d’Orel à san, récit intimiste d’un shinobi du rap français

Montre jamais ça à personne : d’Orel à san, récit intimiste d’un shinobi du rap français

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Par Adrien Delage

Publié le

Clément Cotentin rend hommage à son frère dans une série documentaire saisissante, à découvrir sur Amazon Prime Video.

Comment c’est loin. Le film d’Orelsan et Christophe “Tof” Offenstein sorti en 2015 était déjà le mantra de la vie du rappeur, quand il s’appelait encore Aurélien Cotentin, et qu’il passait plus de temps à fumer des spliffs qu’à kicker sur des instrus de Skread. Mais dans la vie d’Orel, il y a une personne qui n’a jamais douté de sa capacité à percer dans le rap game, et même dans l’industrie musicale. Cette personne, c’est son frère Clément Cotentin, journaliste sportif devenu réalisateur de documentaires, dont un qui risque de marquer à jamais les fans du ninja du rap, Montre jamais ça à personne.

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Avant d’être une série documentaire de six épisodes, présentée en avant-première au dernier Festival Canneséries, Montre jamais ça à personne rassemble surtout des images d’archive exceptionnelles et très intimes sur la vie d’une bande de potes. Des moments d’extrême sincérité préservés grâce à la confiance de Clément en son frère, mais aussi de la bromance qui lie cette confrérie de stars en devenir, Gringe, Skread et Ablaye. Clément et Tof ont passé plusieurs années à éplucher des centaines et des centaines d’heures d’images enregistrées sur une petite caméra, qui a suivi la carrière d’Orelsan sur une vingtaine d’années. Il en tire un documentaire authentique, drôle, touchant, qui retrace le parcours étonnant du rappeur d’Alençon.

L’anti-8 Mile

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Montre jamais ça à personne nous invite dans l’intimité d’Orelsan comme jamais nous pensions la découvrir. D’ailleurs, c’est Aurélien qui ordonne à son frère à l’époque de ne jamais dévoiler ces images très personnelles au grand public. À ce moment-là, Orel bosse comme vigile dans un hôtel de Caen. Avec son air benêt et sa voix désabusée, il est encore loin de l’aura lumineuse et charismatique qu’il renverra sur ses millions de fans. Pour le moment, il s’enferme dans son appart avec Gringe, Skread et le reste de la clique pour poser des punchlines sans vraiment se soucier de leur image ni même de leur avenir.

Outre l’authenticité de la série documentaire, on découvre également tout le parcours du rappeur français avant son explosion. Des moments de doute, quelques instants de gloire et surtout une montagne de galères qui semblaient parfois infranchissables. Entre la polémique de “Sale p*te”, celle de “Saint-Valentin”, le concert du Zénith improvisé, la peur de se renouveler et de perdre son âme d’enfant, Orelsan a mis du temps à mettre en place sa success story. Celui qu’on présentait au début comme le Eminem français n’a pourtant jamais pris sa revanche au micro : il est l’anti-8 Mile, le rappeur raté voire humilié lors de l’Ünkut Freestyle devant ses pairs, Booba, Rim’K et La Fouine en tête, riant à gorge déployée devant sa prestation médiocre.

Sa revanche, il la prend dans ses textes énervés, souvent vulgaires voire pornographiques, qui lui collent une image de emcee misogyne et provocateur. À l’époque, Orelsan ne comprend pas la haine des politiques et des féministes. Pour lui, dans son esprit d’adolescent et son univers fantaisiste, tout n’est que fiction.

À chaque chanson, il crée des personnages qui lui permettent de s’exprimer et d’extérioriser sa vie de provincial. Cette naïveté enfantine est touchante et ressort dans l’intégralité de la série documentaire, montée avec brio par Clément, qui témoigne son amour fraternel avec sa narration dynamique. Orelsan est à part, spécial, unique, mais assurément touché par le don du rap et de la punchline tranchante, comme ne cessera de lui répéter son ami et beatmaker Skread, pilier de sa percée fulgurante dans le game.

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Car Montre jamais ça à personne, c’est avant tout une histoire d’amitié et de famille très émouvante. D’abord, du respect d’un frère pour son frère, mais aussi d’une fidélité à toute épreuve. Celle de Skread, qui n’a jamais quitté Aurélien malgré sa carrière précoce, celle de Skread et Ablaye, qui ont fondé le label 7th Magnitude pour diffuser les sons de leurs potes, celle, indescriptible et indestructible, entre Orel et Gringe, qui ont mutuellement repoussé leurs limites pour balayer le game et s’imposer comme les aliens du rap français sous le nom des Casseurs Flowters. Un véritable braquage de l’industrie musicale et du conformisme, (b)romancé dans une série documentaire inspirante et lumineuse.

Au fond, Montre jamais ça à personne c’est le récit shonen dont tout fan de mangas et de super-héros, comme Orelsan, rêve, et qu’il est parvenu à le retranscrire dans la réalité. Comme ses idoles Luffy, Saitama et Seiya, il a surmonté les obstacles et les péripéties sans jamais renoncer, même si c’était “perdu d’avance”. C’est le parcours parfois miraculeux, souvent génial et toujours poignant, d’une prophétie autoréalisatrice inversée, où un mec paumé d’Alençon qui pensait courir à sa perte a finalement évolué en Super Saiyan du rap game. Une histoire de ratés, d’humilité, de fragilité et surtout d’amitié très inspirante qui, après avoir fait le tour du monde on l’espère, nous donnera toujours envie de rentrer à la maison.

Les six épisodes de Montre jamais ça à personne seront disponibles dès le 15 octobre sur Amazon Prime Video.