Avec Mortel, la France a enfin une série ado fantastique digne de ce nom

Avec Mortel, la France a enfin une série ado fantastique digne de ce nom

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Par Florian Ques

Publié le

Bon, on ne voulait pas tomber dans la titraille ô combien prévisible mais oui : Mortel, c'est quand même plutôt mortel.

Alors même que l’année touche doucement mais sûrement à sa fin, 2019 aura été porteuse d’un cru conséquent de fictions hexagonales chez Netflix. En l’espace de quelques mois, le mastodonte du streaming a gâté ses abonné·e·s francophones avec des propositions sérielles aux antipodes les unes des autres. En tout et pour tout, on s’est retrouvé avec un Plan Cœur assez foireux, un Family Business plutôt convaincant et une Marianne stylisée qui nous aura bien foutu les jetons. Comme arrivée après la guerre, Mortel s’avère pourtant le pari le plus osé de la plateforme états-unienne… et, aussi, le plus réussi.

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Avec seulement six épisodes au compteur, Mortel nous embarque dans une banlieue française où les trajectoires de trois ados s’entrelacent. Le frère de Sofiane, Reda, a disparu. Désespéré de retrouver la trace de son aîné, cet ado impétueux est contraint de demander de l’aide à Luisa, élève artsy baignant dans l’occulte depuis son plus jeune âge, et Victor, solitaire assumé qui a des difficultés à se sociabiliser. Ce trio va rapidement faire la connaissance d’Obé, un être surnaturel qui prétend savoir ce qui a pu arriver à Reda. La course contre la montre est alors lancée.

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Créée par Frédéric Garcia (jeune scénariste passé par Skam France, entre autres), Mortel est l’aboutissement de longues années de gestation. Quand on le rencontre, le showrunner évoque “dix-neuf refus de boîtes de production” avant d’avoir élu domicile chez Netflix. Et quand on voit la saison inaugurale de sa toute première série, on comprend vite pourquoi : Mortel s’apparente à une anomalie au sein d’un paysage télévisuel français qui reste, encore aujourd’hui, bien trop frileux.

À tort, puisque cette dernière est une révélation de bout en bout. Malgré une bande-annonce bancale laissant présager un rendu final assez douteux, il n’en est rien. Portée par de jeunes talents en pleine forme (Carl Malapa, en particulier, à garder dans votre radar), Mortel est une œuvre hybride soignée, jouant aussi bien avec les codes du teen drama à l’américaine que de la fiction fantastique, avec tout un folklore pensé sur mesure à l’appui.

La notion de vaudou est évoquée à maintes reprises pour qualifier le surnaturel mobilisé dans Mortel. Quand on pense à ce mot-là, les moins éclairés s’imaginent des poupées ensorcelées, conçues pour maudire ceux qui nous auront causé du tort. Or ce n’est pas le cas ici. “On ne voulait pas d’appropriation parce que c’est une vraie religion, explique Frédéric Garcia. En gros, on a inventé notre vaudou pour la série. Obé, c’est un dieu vaudou mais il n’existe pas en réalité, c’est une espère d’aggloméré de plusieurs formes existantes. On crée un nouveau Panthéon”.

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Grâce à des dialogues fins et bien délivrés, les situations dans Mortel paraissent crédibles. Pour son créateur, cette vraisemblance est à mettre sur le compte de la diversité présente à l’écran. “Je voulais que ce soit quelque chose de très réaliste dans lequel tu fais naître du surnaturel, détaille le principal intéressé. Je me disais que ces personnages ultra réalistes qui ressemblaient à la France d’aujourd’hui allaient nous aider à faire gober l’aspect fantastique.” Bien vu, puisque ça fonctionne.

La force de Mortel réside dans ses protagonistes, pensés et écrits comme des ados de leur temps. Avec leurs habitudes, leur façon de parler. En prime, dans la grande tradition du teen show – un genre propice aux thématiques sociétales fortes la série ratisse large. Avec un nombre minime d’épisodes, elle réussit l’exploit de parler de relations toxiques, d’agressions sexuelles, de slut-shaming… Ainsi, Mortel s’ancre dans son époque, là où des séries font trop les timides (Plan Coeur, sens-toi visée).

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Dans leur quête de réalisme, Frédéric Garcia et son équipe ont réuni une distribution emmenée par des personnes racisées. Un constat suffisamment rare à l’échelle hexagonale pour qu’on le souligne. “Depuis que Netflix est arrivée, tu vois des choses comme Dear White People, When They See Us…”, fait remarquer le showrunner. “Quand tu ne vois que des Blancs à l’écran, il y a une distance qui se crée. Du coup, pour moi, la question de la représentation est évidente. Les gens viennent se voir à l’écran parce que la fiction est censée être un miroir.” 

Au-delà de sa dimension occulte, Mortel dresse en parallèle un portrait simple mais efficace de l’adolescence et des premiers émois qui vont avec. Entre deux scènes au rythme échevelé, soutenues par une bande-son remarquable (le rappeur Koba LaD a d’ailleurs enregistré un morceau pour cette première saison), la série se permet des instants plus contemplatifs, comme suspendus dans le temps. Qu’importe le tableau sur lequel elle joue, Mortel se meut d’un genre à l’autre avec habileté.

Avec des références comme Roswell, Dawson ou encore Buffy contre les vampires, Frédéric Garcia signe une première production sérielle audacieuse qui détonne avec le contexte français. Quid d’une suite ? “On a des plans, des plans de fou, assure le créateur. Mais ça va dépendre du succès, il faut que les gens cliquent fort et aient envie d’en voir plus. On a créé un univers qui peut clairement s’étendre”. En loucedé, une saison 2 serait déjà sur les rails. De loin la série francophone la plus aboutie et ambitieuse de Netflix, ça ne serait pas volé.

La première saison de Mortel est disponible en intégralité sur Netflix à l’international.