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Mytho, la réponse fraîche et frenchie à Big Little Lies et Desperate Housewives

Mytho, la réponse fraîche et frenchie à Big Little Lies et Desperate Housewives

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©ARTE

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Par Marion Olité

Publié le

Enfin une série familiale française pas boring.

Mise en ligne ce jeudi 3 octobre sur la plateforme d’Arte, Mytho est sans conteste l’une des meilleures séries de l’année 2019. Auréolée de deux prix lors du dernier Festival Séries Mania (interprétation féminine pour la fantastique Marina Hands et Prix du public), elle met en scène une famille contemporaine un peu bordélique, où tout semble finir par rentrer dans l’ordre. Sauf que cet ordre, il incombe justement à la maman de le faire régner.

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Et Elvira, elle n’en peut plus de ranger, nettoyer et nourrir les siens (mari infidèle plus trois enfants) dans l’indifférence générale. À la suite d’une alerte médicale, elle se laisse tenter par un gros mensonge : faire croire à sa tribu qu’elle est atteinte d’un cancer. Le subterfuge pour recevoir enfin un peu d’attention fonctionne au-delà de ses espérances, ce qui la pousse à s’embourber encore plus dans ses mythos.

Oubliez le label pas sexy de “série familiale française” qui peut en rebuter plus d’un·e. Avec un point de départ qui peut paraître pour le moins tiré par les cheveux, Mytho s’impose vite comme un ovni en liberté, qui aborde des thématiques sociétales très réalistes à travers le prisme de la tragicomédie fantasque – et propose une vision de la famille qui ne sent pas la naphtaline, contrairement à la plupart des séries (shortcoms incluses) qui peuplent le petit écran français.

Si le concept de charge mentale n’était pas aussi connu quand Anne Berest a imaginé cette histoire il y a quatre ans, la créatrice et scénariste de la série met exactement le doigt dessus en racontant le quotidien de cette brave Elvira. Comme elle le dit dans un très beau monologue : “Je suis un distributeur de bouffe et d’amour. Qu’est-ce qu’on me donne en échange ?”

Au-delà de s’occuper des tâches ménagères et de la cuisine au quotidien, la charge mentale, c’est aussi avoir en tête le bien-être de sa tribu du matin au soir. Par exemple, alors qu’elle est sur son lieu de travail, Elvira reçoit un coup de fil d’un des ses enfants qui lui demande où est sa chemise à carreaux. Elle doit tout de suite avoir la réponse à ce genre de questions qui peuvent surgir n’importe quand dans la journée.

(© Arte)

Pour autant, la réussite de Mytho tient aussi au fait qu’Elvira n’est pas présentée uniquement comme une victime de plus d’un patriarcat qui fait croire aux femmes que s’occuper gratuitement des enfants et du foyer sans rechigner est quelque chose de naturel. Et c’est ce qui donne du relief à ce personnage.

Personne d’autre que Marina Hands ne pouvait incarner ce mélange de candeur et de fantaisie, tout en conservant un certain mystère. Elle est une antihéroïne à la Nurse Jackie, et comme Walter White, cette personne ordinaire au métier ennuyeux (assureuse), sur laquelle on ne se retournerait pas dans la rue, est capable de vriller en un instant et de s’affranchir des barrières morales d’une société qui l’étouffe. Quitte à passer pour la méchante, la folle, la psychopathe (rayez la mention inutile).

Petits mensonges en famille

Bien qu’unique en son genre, Mytho s’inscrit dans le sillage de séries US à la fois divertissantes et dépaysantes, mais qui pour autant s’intéressent aux dysfonctionnements des familles nucléaires. On pense à Desperate Housewives, pour la vision décalée de la banlieue, ou à Big Little Lies, qui aura su rassembler un public très large sur des thématiques comme l’infidélité ou les relations abusives, qui n’invitent pas forcément à la rêverie. Dans le sillage de la grande sœur de HBO, réalisée par Jean-Marc Vallée, Mytho bénéficie aussi d’une mise en scène particulièrement soignée, signée Fabrice Gobert.

Le showrunner des Revenants, également réalisateur au cinéma (Simon Werner a disparu…, K.O.), sait comment construire un écrin pour accompagner un scénario de série puissant. Il sublime la vie de banlieue pavillonnaire, en travaillant sur les cadres et la lumière, avec pour référence les tableaux de David Hockney ou les photos de Jeff Wall et Harry Gruyaert. Les scènes nocturnes sont teintées d’étrangeté tandis que celles qui se déroulent en plein jour sont extrêmement solaires, le tout porté par les compositions musicales de Jean-Benoît Dunckel du groupe Air.

À l’image de séries nous venant des États-Unis (où l’on est davantage rompu au mélange des genres qu’en France), Mytho n’hésite pas à changer de ton – parfois de manière un poil brutale –, naviguant entre des moments légers (on pense notamment à la fin surprenante de l’épisode 2) et des séquences de plus en plus sombres à mesure que la supercherie ne tient plus. Au-delà d’Elvira, chaque personnage recèle ses propres secrets et démons, ce qui fait qu’on a aussi envie de suivre Carole (Marie Drion), une ado rebelle en perdition après l’accident d’un camarade dont elle est en partie responsable, Sam (interprété avec justesse par le solaire Jérémy Gillet), un ado non-binaire en pleine quête identitaire, et Virginie (Zélie Rixhon), la plus jeune des enfants, qui va aussi être affectée par les mensonges de sa mère.

(© Arte)

En creux, ce que nous raconte la série, c’est qu’on s’arrange toutes et tous avec notre conscience pour obtenir ce qu’on veut. Elvira n’est pas la seule “mytho” : son mari, Patrick (personnage assez exaspérant, heureusement joué par le sympathique et lunaire Mathieu Demy) la trompe depuis plusieurs mois avec une pharmacienne (incarnée par la trop rare Linh-Dan Pham). De son côté, pour vivre une histoire d’amour avec son correspondant allemand, Sam prend la décision de lui mentir, ne lui avouant pas qu’il est non-binaire et en réflexion sur son genre. La chute n’en sera que plus dure. Même Virginie, la petite dernière, continue à alimenter son blog de petite fille parfaite qui aide sa maman malade après avoir appris la vérité. Sans omettre les pièges que tend notre société normative aux minorités et aux femmes, Mytho insiste aussi sur le fait que chacun de ses protagonistes est en capacité d’agir. Parfois, la non-action – laisser une situation perdurer, voire empirer, alors qu’on sait qu’elle n’est pas viable – est une solution.

“La folie, c’est faire tous les jours la même chose en pensant que le résultat sera différent”, explique le boss d’Elvira. À la fin des six épisodes qui constituent la première saison, on peut en être certain·e·s, plus rien ne sera comme avant dans cette tribu qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets. Ça tombe bien : une deuxième saison est déjà en cours d’écriture.

La série Mytho est disponible en intégralité sur la plateforme arte.tv jusqu’au 31 octobre, et sera diffusée sur la chaîne Arte les 10 et 17 octobre.