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Avec la web-série La naissance de la jalousie, Marion Seclin interroge les relations amoureuses normées

Avec la web-série La naissance de la jalousie, Marion Seclin interroge les relations amoureuses normées

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Par Marion Olité

Publié le

Une web-série qui imagine un monde où la jalousie n’existe pas.

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Si vous êtes du genre connecté·e·s, Marion Seclin ne devrait pas vous être totalement étrangère. Youtubeuse pour madmoiZelle ou le Studio Bagel, chroniqueuse sur Canal+, elle s’est attaquée à des sujets féministes ô combien touchy en France tels que le harcèlement de rue, ce qui lui a valu d’être victime de cyberharcèlement. Après avoir participé aux projets des potes, elle se lance en solo avec la websérie La Naissance de la jalousie, qu’elle a écrit et dans laquelle elle incarne le personnage principal, Katia.

L’histoire se déroule dans un Paris alternatif, où la norme dans les relations amoureuses a changé de camp. Tout le monde pratique le polyamour et les relations non exclusives. Katia rencontre Thomas, ils sont fous amoureux. Mais ils vont bientôt faire face à un sentiment inconnu, ou tabou, la jalousie…

Réalisée avec soin par Johann Dionnet en dépit des contraintes budgétaires, cette courte dramédie aurait pu être diffusée sur OCS. Un peu à la manière de Nu, cette série dans laquelle la société a imposé que tous et toutes vivent en tenue d’Adam, il faut accepter un concept de base plutôt tiré par les cheveux, ce que les Anglo-Saxons appellent la “suspension of disbelief” (“la suspension d’incrédulité”). Ce qui est donc très mal vu dans La Naissance de la jalousie, c’est la notion de possession et d’exclusivité sexuelle ou sentimentale. Le fait de vouloir rester avec une seule personne est un non-sens, une envie considérée comme malsaine.

“L’amour ça se divise pas, ça se multiplie”

Un retournement des valeurs qui crée immanquablement des situations comiques en tous genres. Et qui permet à Marion Seclin, sous couvert de l’humour, de remettre en cause la conception dominante de ce que doit être une relation amoureuse équilibrée de nos jours. L’un des points forts de sa websérie, ce sont les dialogues percutants, et les analogies avec la société française. Par exemple, dans un tacle malicieux aux idées rétrogrades de La Manif pour tous, Katia fait face à ses deux parents, catastrophés par ce qui ressemble à s’y méprendre à un coming out. Sauf qu’ici, elle leur explique qu’elle souhaite tester une relation exclusive avec son mec. “Parce qu’une famille, c’est pas juste un papa et une maman, il faut un village pour élever un enfant”, lui assène son père, qui lui rappelle qu’elle a appris l’espagnol grâce à une de ses amantes, ou la littérature de la Renaissance grâce au plan-cul de sa mère.

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Par cet effet de miroir, la scénariste propose une démonstration convaincante de l’absurdité de certaines de nos valeurs. Elle creuse aussi le sujet de la jalousie, qui trouve son point culminant dans une scène de dispute assez poignante. Un changement de ton étonnant pour une série jusqu’ici légère. Parce que ce sentiment dévore et ne trouve sa raison d’être qu’au sein de nos insécurités. Le postulat de départ de la websérie permet aussi de placer des scènes festives durant lesquelles le désir sexuel semble circuler de manière fluide. Katia est ainsi séduite autant par des hommes que par des femmes. Si cela n’est pas dit explicitement dans la série, la façon dont tous les personnages parlent de sexualité laisse à penser que le comportement dominant est la pansexualité.

Le concept, aussi original soit-il, a parfois ses limites. L’idée pour Katia et Thomas est d’aller contre la norme, mais ils finissent par adopter la norme que l’on connaît déjà dans notre société. Ce qui laisse un goût légèrement amer. Ce choix de la symétrie absolue dans le retournement des comportements fait que les personnages polyamoureux deviennent dans la série des gens intolérants : tous les proches réagissent violemment contre l’envie des tourtereaux d’être en relation exclusive. On imagine bien que Marion Seclin ne veut pas faire les faire passer pour les méchants de l’histoire, mais cette fin soulève tout l’épineux problème de réussir à retomber sur ses pattes avec un postulat dans lequel les comportements marginaux IRL sont la norme dans le show.

Avec sa première websérie, Marion Seclin prouve en tout cas qu’elle a des choses à dire sur les relations amoureuses et sa génération, entre autres. Et qu’elle possède un talent certain pour l’écriture, aussi bien comique que dramatique. On a détecté de jolies punchlines dans La naissance de la jalousie, premier essai sériel d’une voix féminine à suivre. 

Le premier épisode de La naissance de la jalousie est dispo gratuitement sur YouTube, après il faut aller sur Pickle TV.