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Neuf meufs : un instantané féminin séduisant, signé Emma de Caunes

Neuf meufs : un instantané féminin séduisant, signé Emma de Caunes

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©Canal+

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Par Marion Olité

Publié le

Une série courte qui plonge dans les vies loufoques, festives et sexy de neuf femmes.

On ne présente plus Emma de Caunes, l’une des chouchoutes du cinéma français, enfant de la balle qui a grandi sur les plateaux de tournage, entre les films et les émissions Canal+ présentées par son père, Antoine. C’est en toute logique qu’au moment de passer derrière la caméra pour réaliser et coécrire avec Diastème sa première série, on la retrouve sur Canal+. Appartenant au label “Création décalée”, Neuf meufs a des airs de projet de fin d’étude, mais avec les moyens de la chaîne câblée. Dans un format anthologique, inspiré d’un précédent court-métrage (intitulé Violette), Emma de Caunes livre neuf portraits de femmes en 2020, dans une atmosphère pré-Covid. Chaque épisode, d’une durée de dix minutes environ, pose un regard sur une tranche de vie, le dénominateur commun étant qu’elles habitent dans le même immeuble parisien.

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Les femmes en question sont interprétées par Aïssa Maïga, Camille Rutherford, Solène Rigot, Sarah Suco, Mademoiselle Agnès, Kaori Ito, Marie Bunel, Jeanne Rosa et Faustine Koziel. On sait gré à Emma de Caunes d’être allée chercher des actrices d’âges, d’origines ethniques et d’orientations sexuelles différentes. Cela évacue une critique de manque de diversité qui s’applique à 90 % de la production sérielle française. Emma de Caunes est une artiste et une femme qui vit avec son temps. Point ici non plus de dialogues qui sonnent faux. Les bases sont solides et débutent avec l’histoire de Sylvia, interprétée par Aïssa Maïga. Une femme décrite comme “un peu sorcière” et bien décidée à séduire son voisin, quitte à créer un nouveau dégât des eaux – qui représente évidemment son désir débordant. Ce premier épisode, éclairé aux néons violets, promet une anthologie stylisée sur le désir féminin, mâtinée d’un grain de folie très cinématographique (la situation est réaliste mais pas son déroulement, relevant lui du fantasme) qui fonctionne bien.

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Certains épisodes, filmés dans une ambiance plus réaliste, s’avèrent tout aussi réussis et donnent carrément envie de les voir creuser en série feuilletonnante : je pense à celui consacré à Violette, avec une Agnès B. parfaite en mère cool mais emmerdée par les questions de sa fille adolescente sur l’orgasme et la jouissance féminine ; ou celui consacré à Zoé (Faustine Koziel) et ses sentiments pour sa coloc (jouée par Alicia Hava) après une fête arrosée. On bascule ici dans une ambiance à la Skam France. L’épisode sur Lola, dans lequel une jeune femme discute de son chagrin d’amour avec son père en train de se travestir (pour faire du drag a priori) donne également envie d’en savoir plus. En ne disant pas tout sur ses protagonistes et en évitant les clichés éculés de la production audiovisuelle française (comme des dialogues qui sonnent faux ou des stéréotypes sexistes), Neuf meufs se place clairement au-dessus du lot. Emma de Caunes a été à bonne école, formée chez Canal+, qui ne manque pas d’ambition en matière de séries.

Cela dit, la série tombe dans un piège presque inévitable dans un exercice anthologique : des épisodes inégaux. Force est de constater que les plus réussis laissent entièrement la place aux personnages féminins et à leur capacité d’agir quand les plus anecdotiques, incohérents ou brouillons, se retrouvent vampirisés par les personnages masculins. Je pense aux épisodes consacrés à Charlie, à Anna ou à Yumi. Interprétée par Kaori Ito, cette dernière est une danseuse qui a visiblement subi des violences physiques pour une raison inconnue. Elle se tient dans son appartement, avec un œil au beurre noir, et commence à danser. Réalisant que son voisin la mate, elle se cache avant de revenir et de danser… pour lui. Puis la femme de cette dernière (qui prend les traits d’Emma de Caunes dans un caméo) débarque et les fenêtres du voisin se ferment.

On comprend l’idée de la scène : se réapproprier son corps par la danse, en revanche cela doit-il passer par le regard intrusif de cet homme par la fenêtre ? Le clin d’œil au film d’Alfred Hitchcock, Fenêtre sur cour, est évident et il en dit long sur les partis pris de réalisatrice. L’œil d’Emma de Caunes a été éduqué (comme celui du public et des critiques) par un cinéma de la scopophilie (le plaisir du voyeurisme genré, l’homme sujet regarde la femme objet). Dans cet épisode, le personnage féminin tente de retourner la situation, effectue des mouvements de clown, dévoile un sein par provocation… Mais au final, Yumi s’agite pour cet homme et son regard. Le message devient complètement contradictoire : Yumi s’est-elle vraiment réapproprié son corps en se focalisant sur cet homme ? La question reste en suspens.

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Notons aussi la présence de Philippe Katerine dans plusieurs épisodes. Elle ravira les fans du personnage et apporte une dose de loufoquerie, mais l’épisode où il est le plus présent, “Charlie”, s’avère assez faible. Celui consacré à Anna, la célibataire partie pour sermonner un pote qui trompe une de ses amies, est peut-être le plus symptomatique de mes réserves sur la série : fait-on vraiment face à ses envies à elle, à son choix ? Ne se retrouve-t-elle pas submergée par son désir à lui plutôt dans cette scène qui dérape ? La série aurait pu creuser davantage le point de vue des personnages féminins lors de leurs interactions hétérosexuelles, mais elles semblent à chaque fois (excepté pour Sylvia) être dominées par la situation.

En dépit de ses limites, Neuf meufs propose quelques jolies esquisses féminines – notamment Framboise une soixantenaire séparée de son mari (incarné par François Berléand) – et une succession de saynètes réalisées avec talent. Voilà qui est prometteur et donne envie de découvrir la suite de la carrière de réalisatrice d’Emma de Caunes.

Neuf meufs, série de 9 épisodes de 10 minutes, est diffusée sur Canal+ et myCanal depuis le 15 février.