Paris Police 1900, ou la Belle Époque démystifiée

Paris Police 1900, ou la Belle Époque démystifiée

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Par Delphine Rivet

Publié le

Dans sa nouvelle création originale, Canal+ nous emmène dans le Paris, violent et poisseux, du début du XXe siècle.

Chassez de votre esprit l’image d’Épinal du Paris du début du XXe siècle. Ici, nous sommes plus proches du Londres de Jack l’Éventreur. La capitale, poisseuse jusque dans ses moindres recoins, est un baril de poudre, et c’est la République qui est sur le point d’exploser. Dans cette série créée pour Canal+ par Fabien Nury, scénariste de bande dessinée, celle que l’on surnomme la Belle Époque s’étale, en huit épisodes de 52 minutes, dans toute sa laideur et toute sa violence. Nous sommes en réalité en 1899, à l’aube d’un siècle nouveau, plein de promesses. Le ventre de Paris gronde sous la montée de l’antisémitisme et de l’anarchisme et la police a fort à faire entre l’arrivée du préfet Lépine et la mort, aussi choquante que mystérieuse, d’une femme découpée en morceaux.

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Paris Police 1900 s’attaque à un sujet passionnant, bien que parfois assez dense, et à un pan de notre histoire finalement rarement abordé sur nos écrans avec autant d’aplomb. La première scène de la série donne le ton : nous sommes dans un salon cossu parisien et un homme, avachi sur un divan, reçoit une fellation d’une femme. Celle-ci a un mouvement de recul quand son amant lui attrape les cheveux. Le voilà qui jouit. À moins qu’il ne fasse une attaque ? L’homme qui décède sous nos yeux, le pantalon baissé, n’est autre que le président de la République, Félix Faure.

Si sa mort restera dans la postérité, le sobriquet misogyne et cruel que l’on donna à maîtresse de l’époque, Marguerite Steinheil, aussi : “la pompe funèbre”. Au même moment, un jeune inspecteur du nom d’Antoine Jouin (Jérémie Laheurte) remonte la piste d’une femme, dont le cadavre a été retrouvé découpé en morceaux et retrouvé dans la Seine, jusqu’à un complot d’État. Lors de son enquête, il fait la connaissance de Jeanne Chauvin, une jeune avocate, qui devient une alliée inattendue.

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La série ne fait clairement pas dans la dentelle quand il s’agit de représenter cette époque, et pourtant, sa réalisation et sa direction artistique sont un travail d’orfèvre. Derrière la caméra de ces huit épisodes, Fabien Nury, son créateur, mais aussi Julien Despaux et Frédéric Balekdjian. Ce Paris de 1899 reconstitué est une réussite, mais on n’en attendait pas moins d’une des créations originales Canal+ qui, visuellement, déçoivent rarement. Grosse présence masculine aussi au scénario, qui compte quatre hommes à l’écriture. Cela s’en ressent, hélas, à bien des niveaux. Les personnages féminins, avant qu’on ne leur donne une “agency”, une capacité d’agir sur leur destin, sont d’abord des objets de désir.

Bien souvent soumises au “male gaze”, objectifiées, insultées, humiliées, découpées, battues (rayez la mention inutile), elles sont d’abord le reflet d’un regard masculin posé sur elles, avant d’être des représentations fidèles d’une époque. Elles finissent heureusement par se faire une place de choix dans la série, qui mêle chroniques d’une époque patriarcale, enquête policière, thriller politique et reconstitution historique. Paris Police 1900 s’articule en effet autour de trois axes majeurs, dont les intrigues s’entremêlent plutôt habilement : la condition des femmes, les débuts de la police scientifique et la montée du mouvement antisémite jusque dans les plus hautes sphères de l’État. 

Ses héroïnes sont inspirées de femmes ayant vraiment existé comme Marguerite Steinheil (Évelyne Brochu, qui jouait Delphine dans Orphan Black), la maîtresse de Félix Faure devenue espionne, ou Jeanne Chauvin (Eugénie Derouand), qui fut la toute première femme avocate à être acceptée au Barreau. La série décrit assez bien l’asservissement auquel elles étaient réduites. À cette époque, les épouses devaient obéissance à leur mari, et ne pouvaient travailler sans leur autorisation (une injustice qui ne sera officiellement abolie qu’en 1960). Les femmes infidèles, comme le montre le premier épisode de la série, étaient répudiées, la police allant jusqu’à les réprimander après les avoir amenées au poste.

Les hommes pouvaient, quant à eux, sortir à leur guise et aller dans l’un des nombreux bordels de la capitale sans jamais être inquiétés. Tandis que les violences sexistes font aujourd’hui les gros titres et qu’on se bat encore pour nos droits, la série rappelle à la fois le chemin parcouru mais aussi, hélas, la triste réalité d’une société patriarcale qui a bien du mal à disparaître. 

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Autre intrigue qui résonne avec l’actualité, alors que l’on débat sur la laïcité et le séparatisme, c’est toute celle qui entoure l’affaire Dreyfus, du nom de ce capitaine soupçonné d’avoir livré des documents secrets aux Allemands et qui fut en fait la cible d’une campagne antisémite sans précédent. Dans Paris Police 1900, celui qui mène la charge est Jules Guérin, fondateur du journal L’Antijuif. Le créateur de la série a repris, mot pour mot, certains de ses discours dans lesquels on le voit notamment égorger un porcelet. Il se mettait régulièrement en scène, clamant sa haine viscérale des juifs. L’antisémitisme à cette époque prend tellement d’ampleur qu’il infiltre, comme on le disait plus haut, les plus hautes sphères de l’État. On comptait ainsi, en 1899, pas moins de vingt-trois députés ouvertement antisémites. 

Enfin, comme l’indique le titre de la série, la police est évidemment au cœur de cette histoire. Corrompues et violentes, ses méthodes sont alors archaïques. Les enquêtes non résolues s’empilent, et elle aussi est infiltrée par des antisémites. Il est temps de mettre un grand coup de balai dans cette institution. L’arrivée du préfet Lépine (Marc Barbé), tel un nouveau shérif en ville, marque un tournant. Ce sont les débuts de la criminologie et de la police scientifique avec des avancées technologiques et logistiques, comme le relevé d’empreintes digitales et la création des fichiers d’identité. Dans cet entrelacs d’intrigues et de mystères, Paris Police 1900 rend compte d’une histoire peu connue. Ou plutôt, elle la démystifie, avec l’aide d’un casting souvent très juste, et d’une reconstitution belle, mais sans concession.

Paris Police 1900 est disponible sur Canal+ Séries.