Il faut qu’on parle d’American Gods et de sa descente aux enfers

Il faut qu’on parle d’American Gods et de sa descente aux enfers

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© Starz

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Par Delphine Rivet

Publié le

Un sacré gâchis, voilà ce qui nous vient à l’esprit en pensant à la trajectoire de la série et à ce début de saison 3.

C’est toujours un crève-cœur de voir une série que l’on a adorée péricliter de la sorte. En trois petites saisons, American Gods est passée d’un road trip magique et spirituel à un drama poussif sans queue ni tête… ni foi. Ce n’est plus un secret pour personne, la débandade à l’écran est le reflet du chaos qui régnait en coulisses. Depuis le départ pour “différends créatifs” (en réalité, une mésentente irréconciliable et des ambitions trop coûteuses du côté des showrunners) de Bryan Fuller et Michael Green, les tuiles se sont succédé.

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Leur sortie en a inspiré d’autres, comme Kristin Chenoweth ou Gillian Anderson, qu’il a bien fallu intégrer, avec peu de réussite, dans le script de la saison 2. Puis ça a été au tour d’Orlando Jones qui a accusé Charles H. Eglee, l’actuel showrunner, de l’avoir viré pour des raisons racistes. Son personnage, Mr Nancy, a été rayé de l’histoire sans plus d’explications. Une sacrée perte pour la série, tant le personnage portait en lui une force politique et la révolte du peuple noir. Les scénaristes, qu’on imagine bien embêté·e·s pour justifier les absences d’Easter, Media et Mr Nancy, ont fait comme si de rien n’était. À peine une mention d’Easter au tout début de la saison 2. Media a changé de visage et d’actrice (Kahyun Kim a pris la suite de Gillian Anderson), avant de s’évaporer sans plus de cérémonie. Mr Nancy, enfin, n’a pas eu droit à davantage d’égards : il a juste disparu de notre champ de vision. Pour couronner le tout, suite aux accusations de viols contre Marilyn Manson, le chanteur, qui interprétait la divinité viking Johan, a été coupé au montage des épisodes restants.

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Avant d’entrer dans les détails et de nous lamenter sur ce qu’elle est devenue, il faut faire un petit retour en arrière et se souvenir de ce qu’elle était et, surtout, de ce qu’elle aurait pu être. Au commencement, American Gods était pleine de promesses. La gestation fut longue. En 2011 déjà, Neil Gaiman, auteur du livre éponyme, annonçait que HBO était intéressée pour en faire une série. La chaîne et trois scénaristes s’y sont cassé les dents. Tout ça pour que le président de la programmation finisse, en 2014, par déclarer forfait. La même année, le studio FremantleMedia reprend les droits et, dans son sillage, la chaîne Starz entre dans la danse et place deux showrunners, Bryan Fuller et Michael Green, à la barre.

Les astres étaient enfin alignés et la série voyait le jour trois ans plus tard. Le roman de Neil Gaiman, réputé inadaptable, s’étalait enfin sur nos écrans dans une saison 1 aussi fascinante qu’audacieuse. Les divinités de papier prenaient vie sous nos yeux captivés par l’étrange vision de Bryan Fuller (la tête créative du duo). Shadow, le héros de l’histoire, n’était sans doute pas le personnage le mieux incarné (Ricky Whittle, fraîchement débarqué de The 100, fait le minimum syndical), mais le charisme de Ian McShane en Mr Wednesday, d’Emily Browning en Laura Moon, de Pablo Schreiber en Mad Sweeney, d’Orlando Jones en Mr Nancy et de Gillian Anderson en caméléon dans la peau de Media, compensait largement. Pleine de poésie, entre rêve et cauchemar éveillé, cette saison 1 était un voyage envoûtant aux origines des croyances.

Puis au moment où Fuller et Green ont quitté le navire, on a commencé à perdre la foi, doucement mais sûrement. La saison 2, qui a dû gérer bon gré mal gré les conséquences de ces départs consécutifs, nous a tout de même offert quelques beaux épisodes, certains magiques, d’autres tragiques. Jesse Alexander, qui devait prendre en charge l’écriture aux côtés de Neil Gaiman, a finalement été débarqué sept mois après l’annonce de son embauche. On apprenait qu’il y avait eu à nouveau des frictions en coulisses. On se retrouvait donc en pleine tempête sur un bateau qui n’avait plus de capitaine ou, pour être précise, dont le commandement était pour le moins “flottant”. On arrêtera ici avec les métaphores navales, le mal de mer nous guette. Un showrunner ou une showrunneuse, c’est la colonne vertébrale d’une série. Pas besoin d’être spécialiste pour comprendre que de tels problèmes derrière la caméra allaient forcément déteindre sur les intrigues à l’écran.

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Nous voilà donc en saison 3, à Lakeside, une petite ville où se planque Shadow. Pendant ce temps, Mr Wednesday/Odin essaie toujours de rallier d’ancien·ne·s dieux et déesses à sa cause. Il fait un stop par une clinique psychiatrique pour regagner le cœur (et l’adhésion) de son ancien amour Demeter. Mr World, jusque-là incarné par Crispin Glover, prend désormais les traits de Dominique Jackson (vue dans Pose) ou Danny Trejo, selon l’humeur. Bilquis se fait kidnapper pour d’obscures raisons, avant de trouver la force de se libérer en invoquant les orishas, déesses originaires d’Afrique de l’Ouest. Laura, quant à elle, fait un rapide passage au purgatoire avant de revenir parmi les vivants avec une seule idée en tête : se venger de Wednesday.

Il ne reste plus que trois épisodes avant de clore cette saison et, pourtant, cela fait sept épisodes que l’on fait du surplace. À la décharge de la série, qui abandonne donc ici son road trip magique pour poser ses valises, c’est aussi un moment assez statique du livre. L’adaptation télé sauve à peine les meubles en passant moins de temps que prévu avec Shadow et sa vie provinciale plan-plan, pour davantage diriger notre attention sur les autres personnages. Malgré ces efforts, on s’ennuie ferme. La magie a disparu. Ne restent que les délires psychédéliques visuels de Shadow devenus, à force, de vulgaires gimmicks sans âme.

Les réponses tardent à arriver et les séquences “coming to America” au début des épisodes, pourtant si réussies en saison 1, sont délaissées au profit de scènes bavardes ou d’hallucinations pompeuses. Même Wednesday a perdu de sa superbe… On ignore quelle est la part de responsabilité de Neil Gaiman, auteur pourtant vénéré, dans cette débâcle (qui prépare déjà la saison 4 avec Eglee) et on espère que la suite nous donnera tort. Quoi qu’il en soit, l’amertume est grande devant cette saison 3 qui donne l’impression d’assister à un crash au ralenti. Toutes les offrandes du monde ne sauraient extirper American Gods de ce marasme. Quel beau gâchis.

En France, la saison 3 d’American Gods est diffusée sur Prime Video au rythme d’un épisode tous les lundis.